Rediffusion

La maintenance au premier plan, quelques enseignements du procès de Brétigny

Sociologue, Sociologue et anthropologue

Quatre boulons et une éclisse. Tels étaient les principaux protagonistes du procès de l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge, qui a fait 11 morts en juillet 2013. Et pour cause : leur usure a causé le déraillement du train. Au-delà de la tragédie humaine, ce « procès de la maintenance » aura été l’occasion de redonner une portée politique aux notions d’obsolescence et d’entretien. Non seulement des rails, mais de toute l’infrastructure qui fait la trame des activités humaines. En effet, les êtres humains ne se contentent pas d’inventer : ils passent une partie de leur vie à entretenir, réparer, préserver. Rediffusion du 10 octobre

Le 12 juillet 2013, la gare de Brétigny-sur-Orge a été le théâtre d’un accident spectaculaire. Le train Intercités 3757 reliant Paris à Limoges a déraillé, provoquant sept morts et des centaines de blessés physiques et psychiques. Près de neuf ans plus tard, le procès de la catastrophe s’est tenu au tribunal d’Évry. Sur le banc des accusés se trouvaient deux entreprises : la SNCF (héritière de « SNCF Infra », responsable à l’époque de l’entretien des voies) et SNCF Réseau (anciennement « Réseau ferré de France », gestionnaire de l’infrastructure). Aux côtés des représentants de ces deux entreprises, l’ancien « dirigeant de proximité » du site, employé de la SNCF et seule personne physique à comparaître. Tous faisaient face à des charges de blessures et d’homicides involontaires.

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Si ce procès a fait événement, c’est bien sûr à cause du caractère exceptionnel de l’accident et du nombre très important de parties civiles, 215, qu’il a rassemblées. Mais c’est aussi parce qu’il a porté sur un domaine d’activités qui reste habituellement dans l’ombre : « l’organisation, le contrôle et la réalisation des opérations de maintenance », que le texte de la mise en accusation cité par la presse a explicitement pointés comme défaillants. Les débats ont été l’occasion de scruter ces opérations dans les moindres détails et d’interroger au plus près les conditions de leur réalisation. Autant d’aspects du transport ferroviaire et de ses infrastructures qui n’ont fait que rarement la une des journaux et que peu de gens connaissent.

L’accident de train de Brétigny a donc donné lieu à ce que la presse a unanimement appelé le « procès de la maintenance ». Mais de quoi parle-t-on exactement lorsque l’on parle de maintenance ? Le terme est vague. À l’heure où l’innovation demeure au centre des politiques publiques et des promesses des startups, il semble même désuet. Souvent associé à l’industrie, il ne résonne pas non plus avec les préoccupations écologiques qui se focalisent sur


[1] Collins, H. et Pinch T., The Golem at Large. What You Should Know About Technology, Cambridge University Press, Cambridge, 2002.

[2] Akrich, M., « Comment décrire les objets techniques ? » Techniques et Culture, n° 9, p. 49-64, 1987 ; Latour, B., « Une sociologie sans objet ? Remarques sur l’interobjectivité », in Sociologie du travail, vol. 36, n° 4, p. 587-607, 1994 ; Winner, L., « Do artifacts have politics? », Daedalus, vol. 109, n° 1, p. 121-136, 1980.

[3] Barad, K., « Posthumanist Performativity: Toward an Understanding of How Matter Comes to Matter », Signs: Journal of Women in Culture and Society, vol. 28, n° 3, p. 801-831, 2003 ; Bennett, J., Vibrant Matter. A Political Ecology of Things, Duke University Press, Durham, 2010 ; Ingold, T., Making: Anthropology, Archaeology, Art and Architecture, Routledge, Londres, 2013.

[4] Mollier-Sabet, L., « Le Sénat va se saisir du nouveau contrat entre SNCF Réseau et l’État, qui met en péril les petites lignes », Public Sénat, 6 juillet 2022, consulté le 31 août 2022.

[5] Le Meur, M., Le mythe du recyclage, Premier Parallèle, Paris, 2021.

[6] Slade, G., Made to Break: Technology and Obsolescence in America, Harvard University Press, Cambridge, 2006.

[7] Monnin, A., Politiser le renoncement, Éditions Divergences, Paris, 2022, à paraître.

Jérôme Denis

Sociologue, Professeur de sociologie à Mines Paris - PSL

David Pontille

Sociologue et anthropologue, Directeur de recherche au CNRS

Notes

[1] Collins, H. et Pinch T., The Golem at Large. What You Should Know About Technology, Cambridge University Press, Cambridge, 2002.

[2] Akrich, M., « Comment décrire les objets techniques ? » Techniques et Culture, n° 9, p. 49-64, 1987 ; Latour, B., « Une sociologie sans objet ? Remarques sur l’interobjectivité », in Sociologie du travail, vol. 36, n° 4, p. 587-607, 1994 ; Winner, L., « Do artifacts have politics? », Daedalus, vol. 109, n° 1, p. 121-136, 1980.

[3] Barad, K., « Posthumanist Performativity: Toward an Understanding of How Matter Comes to Matter », Signs: Journal of Women in Culture and Society, vol. 28, n° 3, p. 801-831, 2003 ; Bennett, J., Vibrant Matter. A Political Ecology of Things, Duke University Press, Durham, 2010 ; Ingold, T., Making: Anthropology, Archaeology, Art and Architecture, Routledge, Londres, 2013.

[4] Mollier-Sabet, L., « Le Sénat va se saisir du nouveau contrat entre SNCF Réseau et l’État, qui met en péril les petites lignes », Public Sénat, 6 juillet 2022, consulté le 31 août 2022.

[5] Le Meur, M., Le mythe du recyclage, Premier Parallèle, Paris, 2021.

[6] Slade, G., Made to Break: Technology and Obsolescence in America, Harvard University Press, Cambridge, 2006.

[7] Monnin, A., Politiser le renoncement, Éditions Divergences, Paris, 2022, à paraître.