Écologie

Le Rapport Meadows ou les limites des Limites de la croissance

Philosophe

La publication du rapport Meadows en 1972 fait aujourd’hui figure de jalon dans l’histoire de la prise de conscience écologique. Victoire à la Pyrrhus, le document commandé par le Club de Rome apparaît pourtant un simple pot-pourri des éléments les plus consensuels de l’écologie de l’époque, réorientée vers une « écologie scientifique » à visée néo-impérialiste, et signe une défaite de l’écologie politique, celle de Bookchin et d’André Gorz.

Le rapport Meadows (Les limites de la croissance) a fêté cet automne ses 50 ans. Avec le temps, il s’est imposé comme le rapport de référence, amorçant une prise de conscience écologique à l’échelle mondiale[1]. Autour de lui, s’est construit un récit standard des 50 dernières années : à trente ans à peine, l’ingénieur du MIT, Dennis Meadows, entouré de Dana Meadows, Jorgen Randers et William Behrens, établit le lien entre le développement des activités économiques du monde industriel et une crise écologique dont nous ne pouvions alors qu’envisager les prémisses – la croissance, selon le titre du rapport, atteignait ses limites naturelles dans un monde fini.

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Longtemps, toujours selon ce récit, ces « visionnaires » ont prêché dans le désert, eux et ceux qui portaient dans l’espace public les constats établis dans ce rapport. Le climato-scepticisme avait la peau dure, les pouvoirs publics, l’industrie et une bonne partie des intellectuels (que l’on pense en France au brûlot commis par Luc Ferry en 1992, par exemple[2]) restaient sourds, et l’opinion publique, timide.

Mais, peu à peu, des mouvements écologistes se sont structurés en partis politiques. L’ONU crée la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement en 1983, le GIEC est créé en 1988, 1992 est aussi l’année du sommet de Rio, qui popularise la notion de développement durable, issue des travaux de la commission onusienne[3], fixe un cap, et donne naissance à la Conference of Parties (COP), dont la vingt-et-unième a, en 2015, produit le fameux « Accord de Paris », fixant, pour la première fois, des objectifs juridiquement contraignants. Dans le même temps, les enjeux écologiques pénétraient, plus ou moins, tous les discours politiques.

Ce récit est devenu une telle évidence que toute critique du rapport Meadows, et surtout des conditions de sa production, est devenue une manière efficace d’être taxé de climato-sceptique. Aussi efficace que de douter du discours « effondriste » ou de l’imp


[1] Faisant même l’objet d’une réédition en mars dernier (édition Rue de l’Échiquier, spécialisée en ESS et développement durable).

[2] Le nouvel ordre écologique, réédité en poche en 2002. Le même Luc Ferry a réitéré en avril dernier avec Les sept écologies (édition J’ai lu, 2022). Si cette fois il fait droit à la diversité des mouvements écologistes, il n’en qualifie pas moins ceux « qui plaident pour la décroissance, comme les écoféministes, les décoloniaux et les véganes, qui considèrent la lutte pour l’environnement comme indissociable de celle pour le droit des femmes, des colonisés et des animaux », ainsi que tous ceux qui associent écologie et critique du capitalisme, d’« alarmistes révolutionnaires ». L’intention reste la même, pour cet ancien Chiraquien : désamorcer politiquement l’écologie au nom d’un humanisme vague.

[3] Il semble que l’expression apparaisse pour la première fois dans la publication commune UICN/PNUE/WWF, Stratégie mondiale de la conservation : la conservation des ressources vivantes au service du développement durable, 1980. Voir D. Chartier, « Aux origines du flou sémantique du développement durable. Une lecture critique de La stratégie mondiale de la conservation », in Ecologie et politique, n°29, 2004.

[4] « Socialisme ou écofascisme », in Le Sauvage, 1973, repris dans Écologie et politique, Le Seuil, 1978.

[5] Voir son livre L’utopie ou la mort de 1973. Auparavant, il était partisan d’une agriculture intensive.

[6] « Le sentiment de la nature, force révolutionnaire », in Journal intérieur des forces personnalistes du Sud-Ouest, 1937.

[7] Même si ses textes écologistes majeurs (La convivialité et Énergie et équité) datent de 1973.

[8] Le rapport Meadows amorce un type de démarche, qui va vite devenir un standard : s’emparer de modèles scientifiques à la mode (en l’occurrence, la cybernétique), pour en faire un usage peu rigoureux au service d’une heuristique écologiste – le dernier exemple étant l’usage de la théorie transdisciplinai

Arnaud Milanese

Philosophe, Maître de conférences à l'ENS de Lyon

Rayonnages

Écologie

Mots-clés

Néolibéralisme

Notes

[1] Faisant même l’objet d’une réédition en mars dernier (édition Rue de l’Échiquier, spécialisée en ESS et développement durable).

[2] Le nouvel ordre écologique, réédité en poche en 2002. Le même Luc Ferry a réitéré en avril dernier avec Les sept écologies (édition J’ai lu, 2022). Si cette fois il fait droit à la diversité des mouvements écologistes, il n’en qualifie pas moins ceux « qui plaident pour la décroissance, comme les écoféministes, les décoloniaux et les véganes, qui considèrent la lutte pour l’environnement comme indissociable de celle pour le droit des femmes, des colonisés et des animaux », ainsi que tous ceux qui associent écologie et critique du capitalisme, d’« alarmistes révolutionnaires ». L’intention reste la même, pour cet ancien Chiraquien : désamorcer politiquement l’écologie au nom d’un humanisme vague.

[3] Il semble que l’expression apparaisse pour la première fois dans la publication commune UICN/PNUE/WWF, Stratégie mondiale de la conservation : la conservation des ressources vivantes au service du développement durable, 1980. Voir D. Chartier, « Aux origines du flou sémantique du développement durable. Une lecture critique de La stratégie mondiale de la conservation », in Ecologie et politique, n°29, 2004.

[4] « Socialisme ou écofascisme », in Le Sauvage, 1973, repris dans Écologie et politique, Le Seuil, 1978.

[5] Voir son livre L’utopie ou la mort de 1973. Auparavant, il était partisan d’une agriculture intensive.

[6] « Le sentiment de la nature, force révolutionnaire », in Journal intérieur des forces personnalistes du Sud-Ouest, 1937.

[7] Même si ses textes écologistes majeurs (La convivialité et Énergie et équité) datent de 1973.

[8] Le rapport Meadows amorce un type de démarche, qui va vite devenir un standard : s’emparer de modèles scientifiques à la mode (en l’occurrence, la cybernétique), pour en faire un usage peu rigoureux au service d’une heuristique écologiste – le dernier exemple étant l’usage de la théorie transdisciplinai