Enseignement privé : un séparatisme social qui ne dit pas son nom
Faut-il que nous soyons collectivement aveuglés pour encore nous demander si notre École s’oriente vers un système à deux vitesses ? Il y a bien longtemps que notre École fonctionne à plusieurs vitesses avec, à ses extrémités, deux pôles socialement ségrégués qui accueillent chacun 20 % des collégiens : l’enseignement privé, où 54 % des élèves sont issus de milieux sociaux favorisés et/ou très favorisés et l’éducation prioritaire, où au moins 60 % des élèves proviennent de milieux sociaux défavorisés. La différence entre les deux versants de ce fait social est que dans le premier cas, il s’agit d’une ségrégation choisie, alors que dans l’autre c’est une ségrégation subie.
Or cette réalité sociale, qui provient notamment de l’instauration du dualisme scolaire en 1959 et de son renforcement après 1984[1], n’est pas une découverte. Depuis plus de vingt ans, tant les études sociologiques que les statistiques publiques constatent l’augmentation continue de la ségrégation sociale et scolaire au sein du système éducatif français, sans que le ministère de l’Éducation nationale ne s’en émeuve outre mesure, car à part quelques expérimentations[2], peu a été entrepris sur cette question.
Enfin, ce n’est pas totalement exact, puisqu’en 2017, il a été décidé, sans que cela ait suscité la moindre protestation, que, via les contrats locaux d’accompagnement[3], les moyens de l’éducation prioritaire seraient désormais élargis à l’enseignement privé ! Voilà donc comment l’État entend lutter contre les effets de la ségrégation sociale et scolaire : donner encore plus à ceux qui ont déjà plus en prenant aux plus pauvres et ce, en toutes circonstances[4]. Cette conception de la « solidarité à l’envers[5] », théorisée par le sociologue Robert Merton comme « effet Mathieu », prêterait à sourire si elle ne minait les fondements même de notre contrat social.
Vingt ans d’accroissement de la ségrégation éducative : la responsabilité de l’enseignement privé
À la rentrée 2021, la part des écoliers scolarisés dans le privé est de 13,4 %, représentant un élève sur sept. Elle est de 21,3 % au collège, ce qui représente un élève sur cinq (RERS 2022), soit autant que dans l’éducation prioritaire. Ce taux est l’un des plus élevés des pays de l’Union européenne, seuls l’Espagne, les Pays-Bas et la Belgique ont un secteur privé plus important. Cette proportion de 20 % qui reste relativement stable au cours des années (+2 points en 27 ans) ne dit rien du nombre d’élèves par génération passés par le secteur privé.
Selon Toulemonde[6], 40 % des élèves d’une génération parvenue en terminale auraient été scolarisés dans le privé, seuls 7 % y feraient toute leur scolarité. Ce taux signifie néanmoins que 60 % n’y ont jamais eu accès. Parmi ce pourcentage, combien de familles populaires, qui souhaiteraient y scolariser leur enfant, n’ont pas la capacité (financière) de le faire en raison de tarifs particulièrement dissuasifs[7], même s’il n’existe pas d’informations générales sur ce point, seulement des données locales[8] ?
De manière générale, depuis 2003, l’enseignement privé est passé de 47 % d’élèves issus de milieux favorisés et/ou très favorisés à 54 %, dégradant encore un peu plus la mixité sociale et scolaire au sein de l’enseignement public. C’est ainsi que l’écart de composition sociale entre le privé et le public n’a cessé d’augmenter : un peu supérieur à 10 points en 1989, l’écart de recrutement social moyen entre le premier secteur et le second en termes d’élèves de catégorie très favorisée est passé à plus de 15 points en 2015 pour les entrants en sixième, pour atteindre 23 points en 2020.
Or cette ségrégation sociale ne s’explique pas uniquement par la ségrégation résidentielle. Bien sûr, il existe une affinité élective de l’enseignement privé avec la solvabilité de la demande. Il n’y a qu’à comparer la proportion d’établissements privés à Paris, notamment dans les 6e, 7e et 16e arrondissements, et en Seine-Saint-Denis : deux tiers dans un cas, moins de 20 % dans l’autre. Mais cette ségrégation sociale se trouve aussi renforcée par l’évitement scolaire vers le privé.
C’est le cas lorsqu’un établissement public se trouve en concurrence directe, en raison de sa proximité (15 minutes), avec un collège privé : la fuite des parents aisés vers ce dernier peut conduire le collège public à se retrouver avec les caractéristiques sociales et scolaires d’un établissement labellisé éducation prioritaire, alors qu’initialement son secteur de recrutement était mixte socialement. C’est ce que montrent Botton et Souidi dans leur étude. Leur constat tend donc à « relativiser l’idée selon laquelle les collèges les plus défavorisés le sont nécessairement, du fait de leur implantation au sein de quartiers enclavés, exclusivement peuplés de ménages pauvres ». Ainsi, de la participation initiale au service public, on est passé, au fil du temps et des concessions toujours plus nombreuses accordées à l’enseignement privé[9], au droit de le concurrencer.
Enseignement privé et éducation prioritaire : une différenciation sociale et scolaire très nette
En raison d’un modèle économique qui amène l’enseignement privé à privilégier les enfants des catégories aisées, la proportion d’enfants d’ouvriers et d’inactifs scolarisés dans le privé est seulement de 16,7 %, soit deux fois moins que dans le public (32,7 %), alors qu’en éducation prioritaire ils constituent presque 60 % des effectifs. En conséquence de quoi, un peu moins de 11 % des collégiens scolarisés dans le privé sont boursiers, contre un quart dans le secteur public (24,6 %) et presque la moitié en éducation prioritaire (49,3 %) (RERS 2022). Ce qui signifie que les enfants des milieux populaires scolarisés dans le privé appartiennent à ses fractions salariées stables et qualifiées.
Au final, non seulement la part des élèves de milieux populaires est plus faible dans l’enseignement privé que dans le secteur public, mais en plus, contrairement à l’éducation prioritaire, elle n’y est pratiquement jamais concentrée : à peine 1 % des collèges privés concentre au moins 60 % d’élèves issus des catégories défavorisés, contre 90 % des collèges REP+ et 45 % des collèges REP (4 % hors éducation prioritaire) [Les collèges REP et REP+ correspondent à deux réseaux d’éducation prioritaire. Les collèges REP sont socialement plus mixtes que les REP+ – ndlr].
Par ailleurs, si les élèves scolarisés en enseignement privé n’offrent pas le même profil social que ceux scolarisés en éducation prioritaire, ils ne présentent pas non plus le même profil scolaire. En effet, la demande étant supérieure à l’offre, l’enseignement privé est amené à sélectionner sur dossier scolaire les (bons) élèves qui candidatent, sans être soumis à aucune contrainte de carte scolaire.
Rappelons ici combien la faiblesse des élèves étrangers – 1,7 % contre 3,2 (RERS 2021) ou d’origine étrangère, 9,1 % contre 19,4[10] – scolarisés dans l’enseignement privé constitue l’une des raisons d’y recourir pour nombre de familles. C’est sans doute pourquoi certains établissements privés mettent en place des pratiques discriminatoires afin de contrôler l’origine géographique supposée de leurs élèves[11]. Du fait de cette sélection discriminatoire, la proportion des élèves de sixième en retard dans le privé est trois fois moindre (2,8 %) que celle observée en REP+ (8,8 %). À titre d’indication, cette part est de 6,3 % en REP et de 4,1 % hors éducation prioritaire (RERS, 2022).
Dans ces conditions et sans surprise, le niveau scolaire des élèves fréquentant l’enseignement public ségrégué et l’enseignement privé ségrégué n’est pas identique. Ainsi en début de CP, si un quart des élèves scolarisés dans le privé présente des acquis « fragiles ou très fragiles » dans le domaine « résoudre des problèmes », c’est presque 60 % en REP+ et presque la moitié en REP, contre un tiers hors établissements prioritaires (EP). Si 20 % des élèves scolarisés dans le privé présentent des difficultés à « comprendre des mots à l’oral », ils sont plus du triple en REP+ (60,8%) et plus du double en REP (contre un tiers hors EP). Quand moins de 10 % des élèves de l’élémentaire privé sous contrat sont dans le groupe « à besoins » pour la compréhension de l’écrit, c’est plus d’un tiers en REP+ et presque un quart en REP (14,6 % hors EP). De même, pour la résolution de problèmes, quand 7,8 % des élèves dans le privé sous contrat sont dans le groupe « à besoins », ils sont presque 30 % en REP+ et plus de 20 % en REP (12,1 hors EP) (RERS 2022).
En lien avec ces résultats scolaires et l’origine sociale des élèves scolarisés en privé, seuls 0,6% des élèves accueillis en collège privé suivent un enseignement adapté contre 3% en collège public (RERS 2021). Ainsi quand les familles recourent au privé en cours de scolarité pour des raisons liées aux difficultés d’apprentissage, on constate que ce ne sont pas pour des difficultés scolaires de même nature, puisque l’enseignement privé accueille peu d’élèves ayant des difficultés « graves et persistantes » caractéristiques d’une orientation en section d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) (Monso, 2015).
Élèves à besoins particuliers : le privé peu « charitable », l’éducation prioritaire trop solidaire
Maintenant, si l’on s’intéresse à l’offre scolaire, on s’aperçoit qu’elle est, elle aussi, fortement différenciée selon le secteur (privé, public, éducation prioritaire) dont relèvent les établissements[12]. En voici quelques chiffres assez édifiants. En 2017-2018, 26 % des collèges publics comptent une SEGPA. Mais, cette moyenne statistique cache mal leur concentration en éducation prioritaire : presque un collège REP+ sur deux (49,3 %) comprend une SEGPA contre 5 % des collèges privés (RERS, 2022), soit dix fois plus !
Un constat comparable vaut pour les unités locales pour l’inclusion scolaire (ULIS) à destination des élèves en situation de handicap. Ainsi, en 2019-2020, 63,5 % des collèges en REP+ disposent d’une ULIS, contre 18,8 % dans l’enseignement privé. Quant aux unités pédagogiques pour les élèves allophones arrivants (UPE2A), elles sont majoritairement installées en éducation prioritaires : 58 % des collèges REP+ disposent d’une UPE2A contre 0,8 % dans l’enseignement privé[13].
In fine, presque 20 % des collèges en REP+ (10 % en REP) – contre 0,2 % des collèges privés –, cumulent une SEGPA, une ULIS et une UPE2A, soit 100 fois plus ! Et on ne peut admettre le point de vue qui consisterait à dire que c’est parce que ces élèves résident sur place, puisque, en ce qui concerne le privé, les parents sont prêts à imposer de longs trajets à leurs enfants. Il n’y a pas de raison de douter que les parents des milieux populaires seraient prêts à consentir aux mêmes efforts dans l’intérêt de leurs enfants.
Une performance scolaire identique « toutes choses égales par ailleurs »
Notons que, si les rapports sur la performance de l’éducation prioritaire sont nombreux – sans doute avec la méchante idée que cette politique coûte quand même un « pognon de dingue[14] » ! –, plus rares sont ceux sur la performance de l’enseignement privé, comme le rappelle judicieusement la Cour des comptes dans son rapport thématique de 2010. Ainsi, après avoir noté « la très grande faiblesse actuelle des données et des études conduites par le ministère de l’Éducation nationale sur le secteur de l’enseignement privé », elle ajoute ceci : « lorsque [ces études existent], elles ne permettent pas de comparer de façon pertinente les performances des enseignements privé et public. En effet, elles portent sur les compétences et les résultats des élèves à un moment précis de leur parcours, mais ne donnent aucune information sur le niveau initial des élèves, ni sur leur progression au cours du cursus scolaire, alors même que les établissements privés peuvent sélectionner leurs élèves. »
C’est sans doute pourquoi des études conduites par la DEPP [Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance – ndlr] sont opportunément sorties en 2015 et 2017, montrant combien les meilleurs résultats affichés par les établissements privés (taux de réussite au baccalauréat) s’expliquent principalement par les caractéristiques sociales et scolaires des élèves qu’ils accueillent.
En effet, les analyses « toutes choses égales par ailleurs » qui prennent en compte ces spécificités sociales et scolaires montrent que les établissements privés ne font pas progresser davantage leurs élèves que les lycées publics[15]. Il en est de même pour le primaire. « Une fois prises en compte les différences de composition, notamment sociale, des élèves fréquentant les écoles des secteurs privé et public, mais aussi après avoir réduit le biais d’endogénéité du choix du secteur privé à l’aide de la technique des variables instrumentales, il apparaît qu’en moyenne et toutes choses égales par ailleurs, les résultats scolaires en CE2 ainsi que la probabilité de redoubler le CP ou le CE1 ne diffèrent pas significativement entre les écoles des deux secteurs, public et privé sous contrat. Les écarts pouvant apparaître toutes choses non égales par ailleurs, c’est-à-dire lorsque l’on compare au niveau global les résultats en CE2 des élèves scolarisés dans les deux secteurs, sont essentiellement dus à des différences de contexte familial[16]. » D’autre part, « l’hypothèse parfois avancée, selon laquelle le privé serait plus efficace pour les élèves de milieux sociaux les plus défavorisés ou les plus en difficultés scolaires ne reçoit ni confirmation ni information nette[17] ».
Enfin, il faut ajouter que si « la hausse des inégalités sociales [constatée en France entre 2003 et 2012 lors des évaluations PISA] est attribuable à la façon dont l’école a pris en charge les élèves les plus défavorisés, elle l’est aussi à l’amélioration des conditions de scolarisation des élèves les plus favorisés[18] ». Autrement dit, c’est la double peine pour les élèves les plus pauvres et les moins performants.
Or on sait que l’équité d’un système scolaire va de pair avec son efficacité. Ainsi, la Finlande, pays souvent cité comme « modèle » mais étrangement jamais sur ce point, dispose d’un secteur privé, non financé par les fonds publics, où seulement 3 % des élèves sont scolarisés[19], ceci étant sans doute l’un des facteurs expliquant sa bonne performance, tandis que le système scolaire suédois s’est affaibli au fur et à mesure que l’enseignement privé prenait du poids et s’autonomisait, amplifiant de ce fait la fuite du secteur public et le creusement des inégalités scolaires. Toute comparaison avec la politique menée par la France depuis quarante ans, avec les résultats aux évaluations internationales (PISA, TIMS) que l’on connaît, serait totalement fortuite !
Où l’État demande à l’éducation prioritaire d’être partageuse avec l’enseignement privé
L’éducation prioritaire n’aurait pas le monopole des élèves pauvres et/ou en difficultés scolaire. Effectivement, mais en même temps ce n’est pas sa prétention. Il y a ici une confusion regrettable, mais partagée, entre ce qui relève de la justice sociale (faire en sorte que les élèves de milieux populaires et/ou en difficultés réussissent partout sur le territoire) et ce qui relève de la lutte contre les effets de la ségrégation sociale (faire en sorte que les élèves les plus pauvres des milieux populaires, souvent en fragilité dans leurs apprentissages, réussissent malgré des conditions de scolarisation dégradées). En effet, on n’enseigne pas de la même manière quand on a quelques élèves en difficultés ou quand il s’agit de la moitié de la classe !
Que des établissements privés rencontrent des difficultés avec certains de leurs élèves, c’est un fait. Pour autant, ces difficultés sont-elles d’une ampleur telle qu’elles justifient qu’ils émargent sur les moyens de l’éducation prioritaire ? En comparant tant leurs IPS [indice de position sociale. Outil de mesure quantitatif utilisé par l’Éducation nationale – ndlr] que leurs caractéristiques scolaires (notamment le taux d’élèves en retard à l’entrée de la classe de sixième, les scores en français et en mathématiques, etc.) avec ceux des établissements en éducation prioritaire, on voit bien que la réponse est négative. C’est d’ailleurs pourquoi le secteur privé a été exclu de la refondation de l’éducation prioritaire en 2014.
Dans un contexte budgétaire contraint, vouloir élargir le périmètre de l’éducation prioritaire, ce n’est pas faire œuvre de justice sociale, c’est réduire d’autant les moyens supplémentaires attribués aux écoles et aux établissements les plus désavantagés et aux élèves les plus pauvres pour les donner à d’autres qui n’en ont aucune des caractéristiques, ni sociales ni scolaires. Il faut ainsi arrêter de penser que l’éducation prioritaire constitue l’alpha et l’oméga de la politique de justice sociale. Si la lutte contre les inégalités sociales devant l’école comprend celle contre les effets de la ségrégation sociale et scolaire, elle ne s’y réduit pas. Tout comme la politique de l’éducation prioritaire ne saurait se substituer à la politique de justice sociale, laquelle doit être menée en adoptant une stratégie dite de « l’universalisme proportionné ».
Il s’agit ainsi d’adapter l’intensité et les modalités des efforts budgétaires en fonction de l’indice de position sociale des établissements. C’est la logique même de l’allocation progressive de moyens mise en place en 2014. Ainsi, l’État peut à la fois sacraliser les crédits supplémentaires accordés aux élèves concentrés dans les établissements les plus pauvres, comme il sait si bien le faire pour les élèves favorisés, et répartir les moyens d’enseignement et d’éducation proportionnellement aux difficultés économiques, sociales et scolaires des élèves, et non en fonction uniquement des effectifs, et ce à toutes les échelles du système (académie, département, établissement, école). Pourquoi règne-t-il sur ce point une telle mauvaise foi intellectuelle ?
Que faire ?
Comme on le voit, il ne suffira pas de soumettre l’enseignement privé à la sectorisation pour mettre fin à une École qui fonctionne à plusieurs vitesses depuis si longtemps, surtout si les mesures d’assouplissement à la carte scolaire persistent, surtout si l’inégalité territoriale de l’offre scolaire demeure[20], surtout si la mixité sociale et scolaire reste à la porte des classes. Il faudra faire beaucoup plus, sinon beaucoup mieux, si l’on souhaite mettre fin à la concurrence, le plus souvent déloyale, entre établissements et entre élèves[21] (Cour des comptes, 2010) et ce, d’autant que l’iniquité de notre système scolaire pèse principalement sur les familles de milieux populaires. En effet, faute de moyens financiers suffisants, elles voient « leur assignation spatiale (liée dans les quartiers les plus dégradés à une stigmatisation) renforcée par une assignation scolaire[22] ».
Parce qu’elles ne peuvent pas se protéger contre de mauvaises conditions d’étude, elles se sentent diminuées dans leur « liberté de choix » et ont donc le sentiment légitime que leur enfant ne dispose pas des mêmes chances que les autres pour réussir à l’école ; ce qui suscite leur exaspération, voire leur ressentiment[23], et parfois leur colère[24]. C’est d’ailleurs ce que reconnaît le ministre Ndiaye dans une tribune récente : « Une école qui, tout en la promettant, n’accorde pas l’égalité produit non seulement des injustices mais aussi une défiance et un sentiment de colère dans les classes populaires. »
En conséquence de quoi, la lutte contre les effets délétères de la ségrégation sociale et scolaire, qui la marque en ses deux extrémités, ne peut que relever d’une forte ambition nationale et en cela, elle interroge le rôle de l’État : entend-t-il continuer à « laisser faire » en régulant le système à la marge avec des mesures éparses (dispositifs d’égalité des chances par-ci, filières d’excellence par-là), dont on sait déjà qu’elles seront peu efficaces ? Ou souhaite-t-il reprendre la main, en proposant une véritable politique publique « cohérente, accompagnée, soutenue et pilotée[25] », telle que la mentionnent explicitement les articles L.111-1 et L.213-1 du Code de l’éducation, quitte à affronter les intérêts particuliers des parents socialement et culturellement aisés qui ont la capacité sociale suffisante pour faire pression sur lui[26], sans même parler des lobbys locaux ?
Autrement dit, est-on réellement décidé, au plus haut niveau de l’État, à remédier, avec courage, à ce séparatisme social qui ne dit pas son nom et qui pourtant ronge, lentement mais sûrement, la cohésion sociale du pays ? Et dans ce cas, est-on prêt à mettre en chantier, dans le cadre du Conseil national de la refondation, un grand service public unifié et laïc de l’éducation ?