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Présidentielle au Nigeria : que le plus riche gagne !

Journaliste

Le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, élira dans quelques jours son prochain président dans l’un scrutin des plus incertains et volatiles de son histoire. Une bataille sans merci se joue entre trois candidats principaux, dans un contexte de grave crise sécuritaire, d’une économie à genoux, d’âpres divisions ethniques et religieuses, mais surtout de corruption massive et endémique… qui redessine intégralement les « règles » de la démocratie.

Pendant près d’un an, Peter Obi, l’outsider qui vient bousculer la candidature des deux partis historiques, a mené campagne. Il a organisé des réunions communautaires de supporters, a fait remonter leurs doléances, il a réfléchi à sa stratégie de communication sur les réseaux sociaux, il a convoqué la presse locale, mené des interviews, il a rencontré des hommes d’affaires, espérant les convaincre de lui apporter leur soutien, il a élaboré un programme électoral, proféré des promesses peu réalistes… Bref, il a fait de la politique. Et même si personne ne peut faire de pronostics sur l’issue de ce scrutin extrêmement serré, c’est peut-être bien ce qui le conduira à son échec face à ses deux opposants, Bola Tinubu (APC, parti au pouvoir) et Abubakar Atiku (PDP), dinosaures de la politique nigériane, souvent détestés, réputés ultra corrompus et à la limite de la sénilité.

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Le Nigeria, géant économique d’Afrique de l’Ouest, premier exportateur de pétrole du continent, mastodonte démographique avec quelque 220 millions d’habitants, est souvent surnommé « la plus grande démocratie d’Afrique ». Sur le papier, il l’est depuis 1999, année qui marque la fin de trois décennies de dictatures militaires et de coups d’Etat à répétition. En apparence, il coche toutes les cases de ce que nous pouvons attendre d’une démocratie : une Constitution qui garantit les droits et les devoirs des citoyens, une Assemblée censée contrebalancer le pouvoir de l’exécutif, une Cour Suprême, un scrutin multipartite, des stades remplis à craquer de supporters, un président de la Commission électorale plutôt considéré comme neutre dans la bataille politique, un vainqueur encore inconnu, une certaine liberté d’expression de l’opposition et de la presse et… summum de la validation occidentale de bonne gouvernance: le Nigeria a fait élire le candidat de l’opposition, l’actuel président au pouvoir Muhammadu Buhari en 2015, sans heurts et sans que son prédécesseur ne crie à la tricherie ni au scandale.

 Cette vitrine idéale donne régulièrement l’opportunité à l’ancien général Buhari – qui avait pourtant pris le pouvoir déjà en 1981 suite à un coup d’Etat militaire – de se porter en héraut de la démocratie sur la scène régionale de la CEDEAO, ou des Nations Unies. N’a-t-il pas décidé de quitter son poste au terme de ses deux mandats comme exige de lui la Constitution ? A côté de son voisin camerounais, Paul Biya, qui fête cette année ses 90 ans dont 41 au pouvoir, le Nigeria ne peut qu’avoir bonne presse. Le pays a d’ailleurs déjà accueilli sans broncher les 90 observateurs de l’Union Africaine, et la centaine de l’Union Européenne… Une infime goutte d’eau néanmoins, dans ce pays où plus de 93 millions d’électeurs sont appelés aux urnes (plus que les quatorze pays d’Afrique de l’Ouest réunis).

Comment quelques centaines d’observateurs pourraient remplir dignement leur mission à travers 180.000 bureaux de vote dispersés dans un pays où les infrastructures sont totalement défaillantes ? Comment pourraient-ils accompagner le travail de centaines de milliers d’agents électoraux déployés sur un territoire gangréné par une insécurité qui s’aggrave d’année en année ? Dans le Nord-Ouest, on craint les « bandits », leurs massacres de masse et les kidnappings contre rançons. Dans le Sud-Est, les militants indépendantistes pro-Biafrais menacent toute personne voulant se rendre aux urnes. Idem, des jihadistes de l’Etat Islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap, anciennement Boko Haram), qui occupent encore un important territoire dans le Nord-Est. Sans compter, les groupes de jeunes payés directement par les politiciens qui sévissent à peu près dans chaque ville et chaque Etat… Qui intimident les électeurs, volent les urnes, obligent à voter, déploient des armées d’électeurs fantômes.

Une cinquantaine de bureaux de votes ont été incendiés ou détruits ces quatre dernières années, et l’élection ne se tiendra pas dans un nombre encore inconnu mais sûrement élevé de circonscriptions à cause de l’insécurité (Etats d’Imo, d’Anambra, Benue, Katsina, Zamfara, Sokoto, Borno,…). Et pourtant, malgré sans doute quelques nuances et réserves, il est fort à parier que les observateurs valideront ce scrutin au nom de la stabilité de la région et pour l’exemple sur le continent. 

Les défaillances massives du système ne sont pas nouvelles, elles se répètent à chaque élection depuis la fin des dictatures militaires.

Ces élections coûtent une fortune à la communauté internationale et au pays (plus de 700 millions de dollars). Et personne ne peut souhaiter que le processus ne s’enlise et que ce mastodonte, cette poudrière qu’est le Nigeria, n’implose. La Cedeao a d’ailleurs prévenu fin janvier lors d’un atelier « pour la paix et la sécurité », qu’en cas de « fortes déstabilisations et de violences, aucun pays de la région n’aurait la capacité d’accueillir des flots de réfugiés du Nigeria ». Sa démographie est seize fois plus importante que n’importe lequel de ses voisins… Dans 25 ans, le Nigeria devrait être le troisième pays le plus peuplé au monde, derrière la Chine et l’Inde… avec près de 400 millions d’habitants.  

Les défaillances massives du système ne sont pas nouvelles, elles se répètent à chaque élection depuis la fin des dictatures militaires et de la « transition démocratique ». Mais chaque année, on fait avec les erreurs et approximations. Comme un moindre mal, que l’on souhaiterait voir disparaître comme par magie, une petite blessure de rien du tout qui peu à peu est devenue une gangrène suppurante et insoutenable.  

Dès 1999, « nous avions déjà bien compris que le processus démocratique était une farce », écrit le professeur Pat Utomi, ancien activiste des droits de l’Homme et intellectuel renommé, dans ses mémoires intitulées Why Not ? Citizenship, State Capture, Creeping Fascism and Criminal Highjack of Politics in Nigeria (Book Craft Africa). « En 1999, les élections n’étaient pas crédibles. Les observateurs étrangers, et même l’ancien président Jimmy Carter l’avaient vu. Ils faisaient d’ailleurs des blagues à ce propos », se souvient-il. « Mais nous espérions que l’expérience ferait que la prochaine fois serait meilleure. Finalement 2003 fut pire, et 2007 (…) bien pire encore. En fait, tout semble aller de mal en pis. »

Corruption, violences ethniques et religieuses, absence de recensement clair de la population et des registres de votes, achat de la presse, intimidations… Avec ces défaillances, “L’incertitude et les tensions ont augmenté à chaque élection au Nigeria », écrit Don Okereke, analyste en sécurité (Election Security Risk Analysis : hybrid threats, early warning signs and prospects of a seamless political transition in Nigeria). « La bonne gouvernance a été peu à peu reléguée au second plan, au profit des conflits ethnico-religieux, des petites stratégies politiciennes, de l’intolérance, et de la désinformation », abonde-t-il.

Malgré ces déconvenues, Pat Utomi, s’est tout de même engagé en politique en se présentant au poste de gouverneur de l’Etat de Delta (sud) puis du candidat du Parti Travailliste à la présidentielle (Labour Party). Il raconte dans son ouvrage son dilemme, « le piège moral » auquel il dit avoir été confronté : « Je savais pertinemment que le processus électoral était chaotique, mais à la fois je souhaitais m’y engager justement pour détruire ce système entièrement fondé sur la corruption, qui tue le mérite chacun de nos citoyens et entraîne irrémédiablement le pays vers sa chute. Ce tiraillement intérieur me hantait. »

Il n’a finalement pas remporté le poste de gouverneur, et il a choisi de céder sa place à Peter Obi pour représenter le Parti Travailliste à la présidence. Il s’affiche désormais à chacune de ses sorties publiques. Ancien membre du PDP, “Peter” bénéficie d’un bilan plutôt positif en tant qu’ancien gouverneur de l’Etat d’Anambra (sud-est) et malgré des soupçons autour de ses activités économiques enregistrées dans des paradis fiscaux et révélées par les Pandora Papers, il se présente comme le candidat « anti-système », anti-corruption, prônant la bonne gouvernance. Sa candidature a fait renaître de ses cendres l’espoir des manifestants du mouvement #EndSARS, une révolte populaire née d’abord pour dénoncer les tortures et violences policières avant de dégénérer en protestations contre le pouvoir, à travers tout le sud et le centre du pays en octobre 2020. Pour la première fois de son histoire, la jeunesse riche ou pauvre, éduquée ou sans travail, criait, d’une seule et même voix, son envie irrépressible de liberté, s’insurgeait contre l’injustice, les exactions, le manque de travail et d’opportunités… avant d’être matée dans le sang par l’armée, marquant à jamais les cœurs et les esprits. 

Depuis ces événements historiques, l’apathie qui caracterise d’habitude la jeunesse du Sud n’est plus de mise. Une certaine conscience politique a commencé à voir le jour. Peter Obi ne cesse de gagner des supporters, et les « Obidients » affichent des drapeaux du LP dans les rues et dans leur voiture, vantent sans nuance ses mérites sur les réseaux sociaux, clament leur amour inconditionnel pour “Peter” tels des fans de Beyoncé avant un concert… En plus de la jeunesse éclairée, de plus en plus d’hommes d’affaires influents et même des anciens cadres des forces de sécurité lui apportent leur soutien. Le candidat de 61 ans peut aussi espérer rassembler une partie de la classe moyenne, une grande partie des votes chrétiens face à deux candidats musulmans, et les votes igbo modérés, son groupe ethnique. Il pèsera sans aucun doute dans le scrutin comme il a pesé dans cette campagne : plus personne ne peut prétendre l’ignorer, et tout le monde se prépare désormais à s’engager pour la première fois dans un second tour. Mais cela lui suffira-t-il pour gagner ?

 « Au Nigeria, le pouvoir est à vendre. C’est juste celui qui mettra le plus d’argent qui l’emportera », confie un homme d’affaires proche du pouvoir. Et les deux candidats des partis historiques de l’APC et du PDP qui ont eu accès pendant des décennies aux caisses de l’Etat, sont richissimes. Leurs fortunes ne sont pas connues officiellement, mais toutes les estimations les évaluent à plusieurs milliards de dollars.

Abubakar Atiku a fait fortune d’abord dans les douanes du port de Lagos, une manne financière extraordinaire, avant de devenir vice-président d’Olusegun Obasanjo pendant 8 ans, entre 1999 et 2007. Bien qu’il ait gagné une réputation d’homme politique parmi les plus corrompus du Nigeria, il l’a annoncé : il « mérite cette victoire ». Il y a en effet dépensé toute sa fortune depuis 2007, se présentant et échouant de peu à chaque scrutin, au point que ses proches reconnaissent qu’il est désormais totalement fauché. Les mauvaises langues supputent qu’il a mené cette dernière campagne à crédit, grâce à ses nombreux amis millionnaires… A qui il faudra un jour où l’autre rendre des comptes. 

En effet, les millionnaires sont nombreux dans ce pays qui brasse autant de milliards de dollars que de centaines de millions de barils de pétrole depuis l’indépendance et la découverte de ses puits “miraculeux”. Et Bola Tinubu, le candidat de l’APC le parti au pouvoir, est considéré comme l’un des hommes les plus riches du Nigeria. Surnommé « Jagaban » (le chef des combattants), il est en sans aucun doute son « faiseur de rois ». Le vieil homme – dont l’âge réel porte à débats – tient à peine debout, il apparaît très fébrile et parfois totalement incohérent, mais il contrôle tout Lagos, de son plus fragile vassal jusqu’à tous les gouverneurs qui lui ont succédé. “Tinubu” fait toujours la pluie et le beau temps sur cette ville gigantesque de plus de 20 millions d’habitants. Il y maintient son emprise financière en faisant collecter des taxes quotidiennes plus ou moins formelles sur ses millions d’étals de marchés et dans les centaines de milliers de minibus. 

Absolument certain de sa victoire, Jagaban a placardé son visage souriant – d’une photo datant d’il y a 20 ans de moins – dans absolument tous les recoins des rues, des ponts, des ronds-points. Il a prévenu le pays : 2023, “c’est mon tour”. Sa fortune immense, teintée de nombreux scandales de corruption, de blanchiment et d’accusations de trafic de drogues, a permis l’élection de son prédécesseur, le président Buhari lui-même, et il espère bien ce que celui-ci lui rendra la pareille. Le Haoussa musulman et austère du Nord, ancien dictateur militaire des années 1980, avait besoin des voix du sud-ouest yoruba pour être élu en 2015 et 2019. Jagaban lui a donné les moyens : des fourgons blindés remplis de billets de cash à distribuer entre les cadres locaux des partis, puis aux électeurs en échange de leurs voix.

La pratique est connue et totalement généralisée au Nigeria. Un candidat du PDP à un poste de gouverneur a même menacé de mort -par Juju, magie noire- les électeurs qui oseraient collecter ses billets et voter ensuite pour un autre candidat dans l’isoloir. « Si je te donne mon argent et que tu ne le dépenses pas, alors tes rêves vont te tourmenter. Tu commenceras à sentir le froid envahir ton corps et tu perdras la vie », a-t-il proféré dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux. Il a démenti, hurlant à la manipulation de ses propos, mais le message est passé. D’autres, pour éviter toute « spoliation », rétribuent leurs électeurs en échange de photos prises avec leur téléphone dans l’isoloir comme preuve de vote.  

Dans son article paru dans The Africa Report, “Vous voulez devenir président du Nigeria? Voici ce qu’il vous en coûtera”, Akin Irede cite un ancien porte-parole du gouvernement qui estime qu’ “aucun candidat à la présidentielle n’a dépensé moins de 100 millions de dollars pour sa campagne, voire, aujourd’hui, 300 millions de dollars”. Le chiffre peut sembler hallucinant dans un pays où près de la moitié de la population vit avec moins de deux dollars par jour. Et quand bien même, il est crédible et tous les experts s’accordent à dire qu’il est probablement sous-évalué. En effet, les partis historiques du PDP et de l’APC, qui se partagent le pouvoir depuis 1999, ont à leur disposition – entre autres – une manne financière gigantesque détournée de l’argent du pétrole, qui défie l’imagination et l’entendement: les “Security Votes” .

Les “Security Votes” sont des sommes de plusieurs dizaines de millions d’euros, remises entièrement en cash, chaque mois, aux gouverneurs des Etats, mais aussi à certaines institutions publiques, à l’armée, à la police…, pour participer à leur “lutte contre l’insécurité”. Leur attribution est aussi opaque et floue que leur dépense. Aucun audit n’est requis. Leur utilisation est totalement à la discrétion de leur destinataire. 

Une enquête de Transparency International estime que cette “caisse noire de l’Etat dont les politiciens abusent pour se faire élire” ou pour récompenser leurs soutiens, atteignait jusqu’à 670 millions de dollars par an. Ces chiffres publiés en 2018 ont sans aucun doute fortement augmenté depuis, à cause d’une inflation galopante de l’insécurité croissante. Car évidemment, plus un Etat est affecté par les groupes armés qui le déstabilisent… plus l’enveloppe est importante. L’Etat du Borno, qui lutte contre le groupe jihadiste de Boko Haram depuis 13 ans, est l’un des plus importants récipiendaires de ce mécanisme hérité des dictatures militaires. Encore une fois, aucun chiffre officiel n’est disponible, mais selon Transparency International, l’Etat, berceau du groupe jihadiste qui a donné naissance à l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap), a dépensé 62 millions de dollars en équipement militaire dans les seules premières années de la guerre. Le conflit s’est enlisé, Iswap règne en maître sur plusieurs circonscriptions du territoire. Et aujourd’hui son ancien gouverneur, Kashim Shettima, brigue le poste de Vice-Président aux côtés de Bola Tinubu pour le parti au pouvoir (APC). 

Alors, pour tenter de mettre fin à ce système d’achats des voix des électeurs qui faisait tâche dans ses discours anti-corruption, le président Buhari et son allié de la Banque Centrale ont décidé d’adopter une politique plus que radicale : supprimer tous les billets de banque du pays. Dans une déclaration qui a pris tout le monde de court, ils ont annoncé fin 2022 qu’à dater du 31 janvier, aucun ancien billet de banque ne serait plus utilisable. Seuls les “nouveaux” nairas datés de 2023, imprimés bleus, verts, et rouges, pourraient être utilisés dans les marchés, les industries, les transports… dans ce pays qui vit encore pour l’immense majorité de l’économie informelle et de l’agriculture de subsistance. 

Bien sûr, aucune de ces nouvelles devises n’était prête à temps. Et cette réforme a fini d’asphyxier une économie déjà à bout de souffle après trois années de pénuries et d’inflation dues aux mauvaises politiques économiques, à la crise du Covid et à la guerre en Ukraine. Bien sûr, les dizaines de millions de Nigérians qui vivent dans les régions rurales n’avaient pas de comptes en banque où déposer leur argent, ni de carte bancaire pour se payer à manger, sombrant encore plus dans l’immense pauvreté. Depuis, des files d’attente interminables devant les quelques distributeurs qui ne sont pas vides, ne cessent de s’allonger sous un soleil assommant. Des inconnus pleurent sur les trottoirs car ils n’ont pas de monnaie pour payer le bus et rentrer chez eux, les clients des banques deviennent fous. Depuis le 31 janvier, 220 millions de personnes sont à cran. Malgré l’irruption de quelques émeutes dans le sud du pays, la situation reste encore calme. Chaque camp vit avec  la certitude que la victoire de son candidat mettra fin à cette période cauchemardesque et à deux mandats présidentiels qui ont ruiné le Nigeria… considéré il y a peu comme la première économie d’Afrique et l’espoir de tout un continent.  

Personne à l’heure actuelle ne peut affirmer avec certitude pourquoi cette décision, aussi imprévue qu’absurde, a été engagée. Les trois candidats principaux crient à la spoliation et au scandale. Le gouverneur de la Banque Centrale, sur ordre du pouvoir, a-t-il vraiment voulu “assainir” la campagne électorale, sans même réfléchir aux conséquences dramatiques que cela pouvait entraîner sur la population? Etait-ce de la pure incompétence économique? Etait-ce un coup bas des dirigeants pour détruire Tinubu, leur propre candidat? Souhaitent-ils secrètement se ranger aux côtés d’Atiku, candidat de l’opposition, mais Hausa et du Nord, tout comme eux…? 

Il est en effet peu probable que cette disette de billets fasse de ce scrutin la première élection où les pauvres ne recevront pas de billets en échange de leur vote. Ces nouveaux billets, tant espérés, sont d’ailleurs aujourd’hui plus convoités que des lingots d’or, et il ne serait pas étonnant de les voir apparaître comme par magie, ce samedi 25 février, entre les mains de tel ou tel cadre local de parti. Mais entre quelles mains seront-ils… cela reste la grande inconnue. Dans tous les cas, tout le monde se battra encore davantage pour les récupérer… 

A quelques jours du scrutin, personne ne peut prédire qui gagnera cette élection.

Sur les réseaux sociaux et sur les ondes des radios locales, les organisations de la société civile et les partisans de Peter Obi – qui n’a de toute façon pas la fortune pour s’engager dans de telles pratiques – s’égosillent pour demander aux plus pauvres de renoncer aux quelques milliers de nairas (quelques euros) en échange de leur vote. Mais comment peut-on espérer que des dizaines de millions d’électeurs tenaillés par la faim, angoissé par le manque d’avenir pour leurs enfants, ou ruinés par des politiques économiques absurdes, puissent miser sur un avenir politique qui ne leur a apporté jusqu’à présent que déconvenues et illusions, à défaut d’un prochain repas, une promesse d’embauche, ou d’une commission future pour un chantier? 

A quelques jours du scrutin, personne ne peut prédire qui gagnera cette élection : celui qui aura réussi à galvaniser les foules? Celui qui parviendra à rassembler le plus grand nombre d’électeurs sous une bannière religieuse ou ethnique? Ou celui qui aura réussi à récupérer les nouvelles devises avant les autres? Pire encore, personne ne sait comment chacun des deux camps réagira et quelles alliances ils pourraient former en cas de second tour, dans un contexte inflammable où des millions de jeunes n’ont plus rien à perdre. Le Dr Olisa Agbakoba, avocat pour les droits de l’Homme et fervent défenseur de la démocratie pendant les dictatures militaires ne se fait pourtant guère d’illusions. “Chaque année, c’est la même chose. Nous élisons une nouvelle équipe de voleurs”, confie-t-il, désabusé. “Parfois, je me demande, est-ce que j’ai bien fait de me battre toute ma vie pour la démocratie? Est-ce que ce système peut fonctionner dans un État où la moitié de la population ne sait ni lire ni écrire, ne pense qu’à son prochain repas et s’en remet à Dieu pour son avenir?”, se lamente-t-il. “Je n’en sais rien”. 


Sophie Bouillon

Journaliste

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