La guerre russo-ukrainienne, un conflit nationaliste

Politiste

Il y a un an débutait « l’opération spéciale militaire » lancée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine. À cette guerre, qui a pris de court la communauté internationale, on prédisait un dénouement imminent, et la plupart du temps au profit de Moscou. Elle s’est pourtant inscrite dans la durée, tout en s’enfermant dans une logique d’escalade. Beaucoup d’analyses pertinentes ont été produites sur cette guerre mais un aspect demeure à ce jour sous-estimé : sa dimension identitaire, relevant de dynamiques nationalistes de part et d’autre.

La guerre entre la Russie et l’Ukraine fournit un exemple de conflit nationaliste entre deux États[1], à condition qu’on utilise le terme « nationalisme » comme une catégorie d’analyse, libre a priori de tout jugement de valeur.

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La première façon d’appréhender le concept de nationalisme est de le rapporter au principe moderne de légitimité politique selon lequel les peuples n’ont pas à être gouvernés par des étrangers, mais par les membres d’un même groupe ethnique ou national. Dans ce sillage, le nationalisme peut être défini comme « une forme de politique », axée sur les rapports de pouvoir dans un État et porté par des acteurs qui cherchent à exercer, ou exercent, le pouvoir étatique au nom de la nation. Celle-ci est susceptible d’avoir, et d’entretenir, une identité singulière permettant de la distinguer des autres nations. Les intérêts et les valeurs de la nation, sa souveraineté au premier chef, sont proclamés comme étant supérieurs à toute autre considération d’ordre individuel ou corporatiste[2].

Cette approche a le mérite d’accentuer le caractère éminemment politique du nationalisme et met en lumière sa dimension parfaitement rationnelle : le nationalisme résulte d’une volonté des acteurs de conquérir, de conserver et d’exercer le pouvoir, et ce malgré l’apparente irrationalité des revendications nationalistes, qui en appellent aux émotions collectives.

Si l’on retient cette définition du nationalisme « par la politique », il ne serait pas injustifié d’affirmer, statistiques en main, qu’il fut, et reste, un moteur clef de la guerre au cours des deux derniers siècles[3]. Les guerres interétatiques et les conflits civils ont en effet accompagné la généralisation de l’idée selon laquelle les peuples ont le droit de se gouverner eux-mêmes, sans pour autant aboutir à ce que la nation au sens plein du terme – communauté jouissant d’une souveraineté complète, d’un régime démocratique et d’une unité morale et culturelle – devienne une donnée universelle[4


[1] Gretchen Schrock-Jacobson, « The Violent Consequences of the Nation : Nationalism and the Initiation of Interstate War », Journal of Conflict Resolution, vol. 56, n° 5, 2012 p. 825-852.

[2] John Breuilly, Nationalism and the State (1982), 2de éd., Manchester, Manchester University Press, 1993.

[3] Andreas Wimmer, Waves of War : Nationalism, State Formation, and Ethnic Exclusion in the Modern World, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.

[4] Raymond Aron, « Universalité de l’idée de nation et contestation » (1982), in Giulio De Ligio (dir.), Raymond Aron, penseur de l’Europe et de la nation, Bruxelles, Peter Lang, 2012, p. 125-140.

[5] Eleanor Knott, « Existential Nationalism : Russia’s War against Ukraine », Nations and Nationalism, vol. 29, n° 1, 2023, p. 45-52.

[6] https://theconversation.com/la-russie-une-nation-en-suspens-174141

[7] G. Schrock-Jacobson, op. cit., p. 834.

[8] Jules Sergei Fediunin, « Russian Nationalism », in Graeme Gill (dir.), Routledge Handbook of Russian Politics and Society, 2de éd., 2023, Londres, Routledge, p. 437-448.

[9] https://www.eurozine.com/no-empire-without-end/

[10] https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/pas-dalternative-a-la-victoire-de-lukraine-declare-volodymyr-zelensky-a-la-conference-de-munich-sur-la-securite/

[11] Iver B. Neumann, Uses of the Other. The « East » in European Identity Formation, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1999 ; Martin Malia, L’Occident et l’énigme russe : du cavalier de bronze au mausolée de Lénine (1999), Paris, Seuil, 2003 ;

[12] Timothy J. Colton, « Ukraine and Russia : War and Political Regimes », Journal of Democracy, vol. 33, n° 4, 2022, p. 20-36.

[13] Vincent Della Sala, « Europe’s Odyssey ? Political Myth and the European Union », Nations and Nationalism, vol. 22, n° 3, 2016, p. 524-541.

[14] John Hutchinson, Nationalism and War, Oxford, Oxford University Press, 2017.

[15] Marlène Laruelle, « So, Is Russia Fascist Now? Labels and Policy Implications », T

Jules Sergei Fediunin

Politiste, post-doctorant au CESPRA à l'EHESS

Mots-clés

Guerre en Ukraine

Notes

[1] Gretchen Schrock-Jacobson, « The Violent Consequences of the Nation : Nationalism and the Initiation of Interstate War », Journal of Conflict Resolution, vol. 56, n° 5, 2012 p. 825-852.

[2] John Breuilly, Nationalism and the State (1982), 2de éd., Manchester, Manchester University Press, 1993.

[3] Andreas Wimmer, Waves of War : Nationalism, State Formation, and Ethnic Exclusion in the Modern World, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.

[4] Raymond Aron, « Universalité de l’idée de nation et contestation » (1982), in Giulio De Ligio (dir.), Raymond Aron, penseur de l’Europe et de la nation, Bruxelles, Peter Lang, 2012, p. 125-140.

[5] Eleanor Knott, « Existential Nationalism : Russia’s War against Ukraine », Nations and Nationalism, vol. 29, n° 1, 2023, p. 45-52.

[6] https://theconversation.com/la-russie-une-nation-en-suspens-174141

[7] G. Schrock-Jacobson, op. cit., p. 834.

[8] Jules Sergei Fediunin, « Russian Nationalism », in Graeme Gill (dir.), Routledge Handbook of Russian Politics and Society, 2de éd., 2023, Londres, Routledge, p. 437-448.

[9] https://www.eurozine.com/no-empire-without-end/

[10] https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/pas-dalternative-a-la-victoire-de-lukraine-declare-volodymyr-zelensky-a-la-conference-de-munich-sur-la-securite/

[11] Iver B. Neumann, Uses of the Other. The « East » in European Identity Formation, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1999 ; Martin Malia, L’Occident et l’énigme russe : du cavalier de bronze au mausolée de Lénine (1999), Paris, Seuil, 2003 ;

[12] Timothy J. Colton, « Ukraine and Russia : War and Political Regimes », Journal of Democracy, vol. 33, n° 4, 2022, p. 20-36.

[13] Vincent Della Sala, « Europe’s Odyssey ? Political Myth and the European Union », Nations and Nationalism, vol. 22, n° 3, 2016, p. 524-541.

[14] John Hutchinson, Nationalism and War, Oxford, Oxford University Press, 2017.

[15] Marlène Laruelle, « So, Is Russia Fascist Now? Labels and Policy Implications », T