Société

La valeur travail bat-elle vraiment de l’aile ?

Sociologue

Largement reprises par de nombreux médias dans le contexte du débat sur les retraites, un ensemble de notes publiées par l’Ifop et la Fondation Jean Jaurès sont venues affirmer un déclin spectaculaire de la « valeur travail ». Sauf que : un examen précis de la méthodologie de ces publications, doublé d’une attention portée aux véritables travaux de sciences sociales laissent entrevoir une toute autre réalité.

Expression polysémique par excellence, la « valeur travail » fait régulièrement l’objet d’appréciations contrastées dans le débat public. Manifestation d’un relâchement collectif qui nous mettrait en péril sur le plan économique et social, la crise de la valeur travail exigerait, pour les uns, que nous remettions le sens de l’effort au goût du jour. La rhétorique du « travailler plus » de Nicolas Sarkozy hier, celle qui teinte le projet de réforme des retraites d’Emmanuel Marcon aujourd’hui, constituent deux illustrations saillantes d’un tel point de vue. Quand elle n’est pas suspectée de véhiculer des représentations idéologiques douteuses, la valeur travail serait abîmée, pour les autres, par les conditions d’emplois de plus en plus dégradées ou encore par l’arrivée sur le marché du travail d’une génération friande d’un mode de vie plus respectueux de la vie personnelle.

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La publication récente de notes de l’Institut français d’opinion public (Ifop), conjointement avec la Fondation Jean Jaurès[1], a recueilli sur ce sujet un écho médiatique d’autant plus important que la thèse énoncée, celle d’un sévère déclin de l’importance accordée au travail, paraît aussi originale que spectaculaire. Elle est pourtant fondée sur une démonstration plus qu’insatisfaisante. Parce que ces notes ont précédé de peu les manifestations et les grèves contre le projet de réforme des retraites à l’occasion desquelles de nombreux protagonistes ont pris la parole sur la place du travail dans leur vie, il vaut de revenir sur les conditions de production d’un type de données qui, régulièrement, alimente un débat rarement avare de jugements à l’emporte-pièces.

L’évolution du sens et de l’importance accordés au travail

Comme toutes les catégories qui nous servent à percevoir et apercevoir le monde, celle de travail n’a rien d’universel. La sociologie s’est tôt penchée sur le sens et les représentations qui, historiquement, ont été associées à une pratique aux frontières aussi variable


[1] Romain Bendavid, « “Plus rien ne sera jamais comme avant” dans sa vie au travail », Ifop Focus, Département Opinion et stratégies d’entreprise, Ifop et Fondation Jean Jaurès, n° 232, juillet 2002, 14 pages ; R. Bendavid, F. Baumlin, « Je t’aime, moi non plus : les ambivalences du nouveau rapport au travail », Ifop Focus, Département Opinion et stratégies d’entreprise, Ifop et Fondation Jean Jaurès, n° 234, janvier 2023, 14 pages.

[2] Max Weber, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, trad. J.-P. Grossein, Gallimard, 2003.

[3] Daniel Bell, Les Contradictions culturelles du capitalisme, PUF, 1979, première édition originale : 1976 ; Luc Boltanski, Eve Chiapello, Le nouvel Esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.

[4] Pierre Bréchon, « Les grandes enquêtes internationales (Eurobaromètres, Valeurs, ISSP) : apports et limites », L’Année sociologique, vol. 52, n° 1, 2002, p. 105-130.

[5] Telle est, en substance, la définition proposée par P. Bréchon, in P. Bréchon (sous la direction de), Les Valeurs des Français. Évolution de 1980 à 2000, Colin, 2000, p. 9.

[6] Pierre Bréchon, F. Gonthier, S. Astor (dir.), La France des valeurs. Quarante ans d’évolution, Grenoble, PUG, 2019, p. 14.

[7] Romain Bendavid, « “Plus rien ne sera jamais comme avant” dans sa vie au travail », art. cit., p. 1.

[8] Romain Bendavid, « “Plus rien ne sera jamais comme avant” dans sa vie au travail », art. cit., p. 1.

[9] Ibid., p. 5.

[10] On peut penser par exemple à l’enquête de l’Institut Montaigne (Les Français au travail : dépasser les idées reçues, février 2023), think tank d’inspiration libérale, qui aboutit à des conclusions également discutables, mais en décalage avec celles de l’Ifop.

[11] Ifop pour la Fondation Jean Jaurès, «Les Français, l’effort et la fatigue », 48 pages ; J. Fourquet (Ifop), J. Peltier (Fondation J. Jaurès), « Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces », Fondation Jean Jaurès, 25 octobre 2022, 21 pages.

[12] S. Astor

Michel Lallement

Sociologue, Professeur du Cnam, titulaire de la chaire d'analyse sociologique du travail

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Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Romain Bendavid, « “Plus rien ne sera jamais comme avant” dans sa vie au travail », Ifop Focus, Département Opinion et stratégies d’entreprise, Ifop et Fondation Jean Jaurès, n° 232, juillet 2002, 14 pages ; R. Bendavid, F. Baumlin, « Je t’aime, moi non plus : les ambivalences du nouveau rapport au travail », Ifop Focus, Département Opinion et stratégies d’entreprise, Ifop et Fondation Jean Jaurès, n° 234, janvier 2023, 14 pages.

[2] Max Weber, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, trad. J.-P. Grossein, Gallimard, 2003.

[3] Daniel Bell, Les Contradictions culturelles du capitalisme, PUF, 1979, première édition originale : 1976 ; Luc Boltanski, Eve Chiapello, Le nouvel Esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.

[4] Pierre Bréchon, « Les grandes enquêtes internationales (Eurobaromètres, Valeurs, ISSP) : apports et limites », L’Année sociologique, vol. 52, n° 1, 2002, p. 105-130.

[5] Telle est, en substance, la définition proposée par P. Bréchon, in P. Bréchon (sous la direction de), Les Valeurs des Français. Évolution de 1980 à 2000, Colin, 2000, p. 9.

[6] Pierre Bréchon, F. Gonthier, S. Astor (dir.), La France des valeurs. Quarante ans d’évolution, Grenoble, PUG, 2019, p. 14.

[7] Romain Bendavid, « “Plus rien ne sera jamais comme avant” dans sa vie au travail », art. cit., p. 1.

[8] Romain Bendavid, « “Plus rien ne sera jamais comme avant” dans sa vie au travail », art. cit., p. 1.

[9] Ibid., p. 5.

[10] On peut penser par exemple à l’enquête de l’Institut Montaigne (Les Français au travail : dépasser les idées reçues, février 2023), think tank d’inspiration libérale, qui aboutit à des conclusions également discutables, mais en décalage avec celles de l’Ifop.

[11] Ifop pour la Fondation Jean Jaurès, «Les Français, l’effort et la fatigue », 48 pages ; J. Fourquet (Ifop), J. Peltier (Fondation J. Jaurès), « Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces », Fondation Jean Jaurès, 25 octobre 2022, 21 pages.

[12] S. Astor