Écologie

Réponse au changement climatique et questions migratoires

Politiste

Loin des discours alarmistes sur de futures vagues de réfugiés climatiques, la recherche sur les liens entre climat et migrations a permis de mettre en lumière des dynamiques nuancées. Le changement climatique et les dégradations environnementales peuvent pousser des populations à se déplacer, mais celles-ci s’installent souvent dans une région voisine. Ces migrations s’inscrivent aussi dans des dynamiques plus larges et sont rarement le fruit du seul facteur climatique. Répondre à ces phénomènes nécessite une action coordonnée des gouvernements et de leurs partenaires.

Les acteurs du climat sont souvent réticents à l’idée de se mobiliser sur les questions migratoires. Cette frilosité tient notamment à la complexité des relations entre climat et migrations : celles-ci changent selon les contextes, le même désastre naturel peut condamner des populations à l’immobilité dans une région ou au contraire, les forcer à déménager. Pour des porteurs de projets d’aide au développement international, cela implique de mener des recherches encore plus poussées sur ces dynamiques en amont même de leur intervention.

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Au niveau opérationnel, c’est également complexe et les acteurs du climat et des migrations avancent à tâtons pour savoir comment à la fois permettre de limiter les impacts du changement climatique, et se préparer à de futures migrations. Les projets dans le domaine des migrations suscitent régulièrement de vifs débats. Certains craignent que la politisation des questions migratoires ralentisse leurs actions sur le climat. Malgré ces obstacles, la réponse aux enjeux climatiques doit impérativement intégrer la dimension migratoire pour être efficace et à l’inverse, mieux gérer les migrations demande de s’intéresser aux effets du changement climatique sur les mouvements de populations.

Articulations entre dérèglement climatique et migrations

Au cours des deux dernières décennies, des travaux étudiant l’effet du changement climatique sur les migrations ont permis de déconstruire le mythe de l’arrivée imminente de millions de personnes dans les pays occidentaux. D’abord, les données empiriques ont mis en évidence que le changement climatique alimente largement des migrations internes aux régions et aux pays affectés. Ces flux migratoires se dirigent essentiellement vers des centres urbains, où les migrants espèrent trouver des opportunités économiques. Au Bangladesh, par exemple, Dhaka accueille un nombre croissant de migrants venant des régions côtières affectées par la montée des eaux.

La recherche a aussi montré comment le changement climatique accentue d’autres causes des migrations, en particulier l’absence d’opportunités économiques, les tensions entre communautés, ou l’instabilité politique. Ces facteurs s’agencent différemment selon les contextes, et ont des effets différents sur les migrants et les communautés qui les accueillent. Au Nord-Est du Nigéria, les populations dépendantes de l’agriculture vivrière font face à une augmentation de l’insécurité alimentaire, principalement due à la dégradation des sols. Cette situation a entraîné des migrations internes vers les villes, dans la région ou plus au Sud, à Lagos, pour permettre aux familles de diversifier leurs revenus. Dans cette même zone, le changement climatique a attisé les tensions autour du partage des ressources, par exemple dans la commune de Logone Birni au Nord du Cameroun. Depuis 2021, des violences intercommunautaires ont alimenté une série de déplacements internes et internationaux. En quelques mois, près de 36 000 réfugiés camerounais se sont installés du côté tchadien de la frontière, entraînant de nouvelles difficultés liées à la gestion des ressources aux alentours des camps d’accueil.

En parallèle, les catastrophes climatiques sont devenues à la fois plus fréquentes et plus intenses. Elles soulèvent de multiples défis en termes de déplacements soudains, d’accueil, et de reconstruction. À l’été 2022, une série d’inondations au Pakistan a ainsi affecté près de 33 millions de personnes à travers le pays. Beaucoup n’ont toujours pas retrouvé leur foyer, tandis que cinq millions de personnes n’ont pas pu être évacuées et sont restées bloquées dans les zones inondées. En Amérique Centrale, 1.5 million de personnes ont été déplacées après deux ouragans en 2020. Certaines ont pu retourner dans leur village, mais d’autres se sont installées dans une ville voisine ou ont décidé de migrer vers les États-Unis, souvent avec l’aide de leur famille pour financer le voyage.

Dans le même temps, les migrations peuvent aussi avoir des conséquences sur l’environnement. Par exemple, la présence de vastes camps de réfugiés peut entraîner des déboisements, des érosions de terrain, ou encore la pollution de l’eau. Au Bangladesh, l’arrivée de plus de 740 000 réfugiés rohingyas à Cox Bazar et la construction de camps pour les accueillir ont accéléré la déforestation de la région. Ces effets sont particulièrement perceptibles dans les villes puisque celles-ci doivent gérer l’exode rural et, souvent, l’accueil de populations déplacées et de migrants internationaux. À Amman, par exemple, l’installation de centaines de milliers de réfugiés syriens a créé des difficultés supplémentaires pour les systèmes jordaniens de gestion des eaux et des déchets, et les autorités locales ont dû solliciter l’appui d’acteurs internationaux pour financer des infrastructures mieux adaptées.

À l’inverse, les migrants peuvent être porteurs de nouvelles pratiques, de nouvelles technologies, et permettre des investissements dans des secteurs verts. Par exemple, au sud-est de la Mauritanie, des réfugiés maliens ont échangé avec les populations locales sur des pratiques agricoles permettant de mieux sauvegarder l’eau et diversifier les cultures. Les diasporas sont également de plus en plus mobilisées dans des secteurs visant à atténuer ou s’adapter aux effets du changement climatique. Ainsi, depuis 2022, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) cherche à mobiliser les diasporas issues du Ghana, du Bangladesh, de la Jamaïque, et des Philippines au Royaume-Uni pour des actions de philanthropie, des investissements, ou bien des transferts de compétences. Ces dynamiques témoignent à quel point les réponses au climat et aux migrations ont besoin d’être coordonnées, pour mieux répondre aux défis mais aussi pour tirer parti d’opportunités inédites.

Les limites des réponses actuelles

Les difficultés pour proposer des actions au croisement du climat et des migrations sont néanmoins nombreuses. Elles tiennent à quatre facteurs principaux : le manque de politiques publiques adaptées, l’engagement insuffisant des acteurs sur le climat, un savoir-faire et des budgets limités, et l’absence de discussions sur des voies légales de migration. Parmi les pays les plus affectés par le changement climatique, principalement les pays à faible revenu, beaucoup n’ont pas de stratégie dédiée pour répondre aux enjeux climatiques et migratoires. C’est un problème car ils doivent urgemment répondre à trois difficultés. D’abord, permettre aux populations de rester là où elles souhaitent vivre, aussi longtemps que possible. Il faut également les soutenir en cas de déplacement forcé, ainsi que les communautés qui les accueillent. Enfin il est nécessaire d’aider certaines populations à être relocalisées, en anticipation des effets délétères du dérèglement climatique.

Beaucoup de projets de développement sur le climat n’intègrent pas, ou pas suffisamment, la dimension migratoire. Les acteurs du climat redoutent en effet la politisation de leurs actions s’ils y intègrent une composante sur les migrations, et que leurs interventions soient retardées ou détournées. Les projets sur les migrations soulèvent en effet de vifs débats, puisque des gouvernements européens souhaitent conditionner leur financement à la coopération des pays récipiendaires sur les retours et les réadmissions. Certains souhaiteraient même étendre ce principe de conditionnalité à l’ensemble de l’aide publique au développement, et notamment les actions climatiques. En d’autres termes, agir à l’intersection du climat et des migrations présente le risque de faire passer l’agenda climatique au second plan par rapport à des objectifs de gestion des frontières.

Cette absence de coopération relève aussi d’un fonctionnement en silo entre ministères ou départements d’une agence de développement. Les bureaux gérant les problématiques climat et migrations ne sont pas habitués à collaborer, ils ne parlent pas le même langage, et travaillent sous la pression d’agendas politiques différents. Toutes ces dynamiques internes rendent très complexes les efforts de coordination. Ce sont des opportunités manquées puisque cela limite les effets des projets de développement. Dans certains cas, cela peut même avoir des effets contreproductifs, avec des déplacements de populations non anticipés ou des cas de mal adaptation. Par exemple, aux îles Fiji, des infrastructures construites pour résister à la montée des eaux ont en fait rendu certaines populations plus vulnérables, en les encourageant à rester dans des zones à risque et leur donnant la fausse impression d’être à l’abri.

Au cours de la dernière décennie, des projets ont néanmoins été lancés pour piloter de nouvelles approches et mieux répondre au double enjeu du changement climatique et des migrations. La France soutient une initiative en Afrique de l’Ouest visant à encourager la recherche sur les liens entre migrations et changement climatique et la mise en place de nouvelles politiques publiques. À travers cette action, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) collabore avec des associations locales, par exemple dans le domaine de l’agroforesterie dans des régions de départ et de retour des migrants au Sénégal. Le problème est que ces interventions restent trop souvent au stade de l’expérimentation. D’une part, elles ne font pas suffisamment l’objet d’analyses pour comprendre ce qui fonctionne et sous quelles conditions. Et d’autre part, ces projets sont généralement dotés de petits budgets et de calendriers resserrés, et ne permettent donc pas une véritable logique de développement.

Un dernier obstacle tient à l’absence de discussions sur des voies légales de migration pour les populations qui vont devoir quitter leur habitat du fait du dérèglement climatique. Différentes approches pourraient être envisagées, notamment le ciblage de régions à risque pour des programmes de migration de travail, ou des mécanismes de réinstallation visant des communautés vulnérables au changement climatique. En 2022, l’Argentine a ainsi créé un visa accordant une protection temporaire aux personnes affectées par les désastres naturels dans la région. De l’autre côté du monde, des discussions sont en cours en Australie pour favoriser l’attribution de visas à des travailleurs des îles du Pacifique particulièrement affectées par le changement climatique. Aller plus loin nécessiterait néanmoins un engagement politique d’autres pays de destination, en particulier des pays occidentaux, et celui-ci est loin d’être acquis.

Mieux répondre au changement climatique et aux migrations qui y sont associées

Ces difficultés ne doivent pas empêcher les pays concernés, les bailleurs, les agences de développement, et leurs partenaires de se mobiliser pour mieux répondre aux enjeux du changement climatique et des migrations. Ces efforts sont essentiels pour éviter que les migrations liées à ces bouleversements se fassent de manière chaotique et entraînent des tensions avec les communautés d’accueil et des dégradations supplémentaires de l’environnement.

Les projets visant à accompagner le développement de politiques publiques sont les bienvenus. Au Sierra Leone, l’OIM a ainsi fourni une assistance technique au gouvernement pour mieux cerner les enjeux associés au changement climatique et aux migrations dans le pays. Les autorités sont maintenant en train de finaliser une nouvelle stratégie sur l’adaptation au changement climatique et la réduction des risques de catastrophes naturelles, et celle-ci devrait prévoir des mesures spécifiques sur la gestion des déplacements en cas de catastrophe. Et parce que la question des migrations dépasse souvent le cadre des frontières d’un seul État, ces efforts pour créer de nouveaux cadres juridiques sont également menés à l’échelle régionale. Dans la Corne de l’Afrique, plusieurs organisations internationales et gouvernements se sont justement associés pour développer des politiques communes sur l’adaptation au changement climatique et les migrations.

Ces efforts doivent néanmoins être accompagnés d’investissements structurels, pour permettre des changements concrets pour les populations concernées. À ce titre, les banques multilatérales de développement telles que la Banque Mondiale et la Banque Européenne d’Investissement peuvent être mobilisées sur des projets d’infrastructures, en particulier pour aider à réduire les vulnérabilités au changement climatique. En 2022, la Banque Mondiale a annoncé 169 millions de dollars de crédit pour des travaux d’infrastructure au Cambodge, afin de permettre une meilleure résistance des routes et des ponts aux inondations. Les effets d’un tel projet devront être évalués mais ils visent à garantir l’accès à des voies d’évacuation (et de retour) en cas de nouvelle catastrophe naturelle. L’accompagnement du secteur privé est aussi essentiel, pour créer de nouvelles opportunités économiques pour les migrants et les communautés qui les accueillent, surtout dans l’économie verte.

Enfin, il est indispensable de mieux évaluer les politiques publiques et des projets de développement au croisement de l’adaptation au changement climatique et des migrations. Mieux documenter les effets de ces interventions et être transparent sur ce qui ne fonctionne pas est essentiel. Ces recherches doivent aussi être rendues publiques, et disséminées d’une manière qui soit accessible à divers publics, et pas seulement les spécialistes des agences internationales. Cela demande de créer une communication moins jargonneuse et d’encourager les échanges avec la presse ou via les réseaux sociaux dans les pays concernés. Cette communication devrait permettre une meilleure redevabilité des gouvernements et des bailleurs, avec la possibilité pour la société civile et les chercheurs de suivre ces initiatives de plus près.

Agir à l’intersection du climat et des migrations est remarquablement compliqué mais absolument nécessaire. Il existe de nombreuses pistes à explorer et des partenariats à mettre en place, et tous ces efforts doivent être menés en tenant compte des agendas et des contraintes des acteurs du climat et des migrations.


Camille Le Coz

Politiste, Chercheuse au Migration Policy Institute