Société

Le stock, nouvel avenir de la ville

Architecte

Quoi de mieux que les villes pour stocker ? C’est à partir des stocks et non de l’habitat qu’elles ont commencé à être construites, à rebours des centres urbains à flux tendus que nous connaissons aujourd’hui. Faire face à la pandémie de Covid-19 sans stocks s’est révélé quasiment impossible, expérience que la crise écologique risque de répéter sur bien d’autres plans. La vocation des villes est de stocker des bâtiments pour la collectivité.

Alors même qu’ils étaient considérés comme quasi-sacrés durant plusieurs millénaires, les lieux du stockage sont perçus aujourd’hui comme des entraves au développement des villes. Le prestige s’incarne désormais dans tous les lieux qui concrétisent l’agilité, l’innovation de dépassement, le just-in-time. Le privilège urbain et architectural est ainsi accordé à toutes les installations qui concourent à la performance de la chaîne de distribution des biens et des services, transformant les villes, et plus particulièrement leurs centres, en des espaces purement servis, d’où toute production serait exclue.

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La révolution numérique est devenue le moteur principal de ce mirage d’une ville constamment sous flux tendu, réduisant d’autant l’intérêt architectural que nous pourrions porter à la matérialité du stock et de l’archive. La logistique urbaine est devenue un des déterminants principaux de cette dissolution du stock[1]. Les entrepôts qui lui sont consacrés ne remplacent pas les réserves et les greniers : ils les vident de leurs substances en s’assurant de la mise en mouvement de toutes les provisions.

Le stock n’a pas pour autant disparu – ses contenants ont même acquis des dimensions considérables, tels les datas-centers[2] ou les sites de self-stockage –, mais il a quitté la ville pour s’installer à la campagne, là où le foncier est moins cher et où il n’y a plus aucun risque d’interférer avec la vie urbaine. Il existe certes des lieux de stockage en ville mais ils demeurent petits et marginaux. Ils restent pour la plupart dissimulés, voire camouflés, traduisant ainsi tout le mépris qu’on leur porte.

Mais pour combien de temps encore ? Les perspectives d’épuisement des ressources pourraient bien, à court terme, nous amener à reconstituer des réserves et à revaloriser la fonction même du stockage. Une telle revalorisation ne contribuerait pas seulement à réduire les gaspillages générés aujourd’hui par le flux tendu (production inutile, gaspillage, extension


[1] Voir le dossier réalisé par Cyrille Véran dans la revue d’Architectures n° 301, septembre 2022. Le dossier présente notamment une belle plateforme de logistique à Toulouse conçue par l’agence d’architecture Expérience qui détonne dans un domaine encore peu investi, à ce jour, par les architectes.

[2] Sur la réalité matérielle des infrastructures du numérique et des data-centers, voir Fanny Lopez, À bout de flux, Paris, éditions Divergences, 2022.

[3] Voir à ce sujet le chapitre V d’André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, Paris, Bibliothèque Albin Michel, tome 1, 1964, p. 205-260.

[4] Les villes-tremplins propices à l’accueil des migrants qu’a étudiées Doug Saunders disposent, entre autres qualités, d’une offre de stockage permettant aux nouveaux arrivants de développer une capacité d’agir, même lorsque leurs conditions d’habitat restent déficientes. Doug Saunders, Du village à la ville. Comment les migrants changent le monde, Paris, Le Seuil, 2012.

[5] Le premier à avoir mis en lumière ce phénomène de clôture, voire de sécession urbaine, est probablement Mike Davis, mort très récemment, dans son ouvrage sur Los Angeles : Mike Davis, City of Quartz. Los Angeles capitale du futur, Paris, La Découverte, 2006 (1990).

[6] Paul Landauer, L’architecte, la ville et la sécurité, Paris, PUF, 2009.

[7] Voir à sujet l’excellent essai de Jacques Frenais, La ville hérétique, consultable en ligne.

[8] Je me réfère ici au mouvement soviétique des « désurbanistes » qui prônaient, il y un siècle, la disparition des villes au profit d’implantations humaines directement connectées aux réseaux territoriaux de transport.

[9] Pierre Veltz, La société hyper-industrielle. Le nouveau capitalisme productif, Paris, Seuil/La République des Idées, 2017, p. 87.

[10] Charles Merruau, conseiller municipal de la Ville de Paris, rapportait ainsi que, pour Napoléon III, « il fallait relier ces portes nouvelles [les gares] afin que le passage de l’une à l’autre, c’est-à-dire d’une région de Fra

Paul Landauer

Architecte

Notes

[1] Voir le dossier réalisé par Cyrille Véran dans la revue d’Architectures n° 301, septembre 2022. Le dossier présente notamment une belle plateforme de logistique à Toulouse conçue par l’agence d’architecture Expérience qui détonne dans un domaine encore peu investi, à ce jour, par les architectes.

[2] Sur la réalité matérielle des infrastructures du numérique et des data-centers, voir Fanny Lopez, À bout de flux, Paris, éditions Divergences, 2022.

[3] Voir à ce sujet le chapitre V d’André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, Paris, Bibliothèque Albin Michel, tome 1, 1964, p. 205-260.

[4] Les villes-tremplins propices à l’accueil des migrants qu’a étudiées Doug Saunders disposent, entre autres qualités, d’une offre de stockage permettant aux nouveaux arrivants de développer une capacité d’agir, même lorsque leurs conditions d’habitat restent déficientes. Doug Saunders, Du village à la ville. Comment les migrants changent le monde, Paris, Le Seuil, 2012.

[5] Le premier à avoir mis en lumière ce phénomène de clôture, voire de sécession urbaine, est probablement Mike Davis, mort très récemment, dans son ouvrage sur Los Angeles : Mike Davis, City of Quartz. Los Angeles capitale du futur, Paris, La Découverte, 2006 (1990).

[6] Paul Landauer, L’architecte, la ville et la sécurité, Paris, PUF, 2009.

[7] Voir à sujet l’excellent essai de Jacques Frenais, La ville hérétique, consultable en ligne.

[8] Je me réfère ici au mouvement soviétique des « désurbanistes » qui prônaient, il y un siècle, la disparition des villes au profit d’implantations humaines directement connectées aux réseaux territoriaux de transport.

[9] Pierre Veltz, La société hyper-industrielle. Le nouveau capitalisme productif, Paris, Seuil/La République des Idées, 2017, p. 87.

[10] Charles Merruau, conseiller municipal de la Ville de Paris, rapportait ainsi que, pour Napoléon III, « il fallait relier ces portes nouvelles [les gares] afin que le passage de l’une à l’autre, c’est-à-dire d’une région de Fra