International

La gauche brésilienne sur les braises du crédit

Sociologue et ethnographe

À peine revenu au pouvoir, Lula Da Silva doit affronter l’épineuse question du surendettement des classes populaires : un problème qu’il a lui-même contribué à engendrer dans les années 2000. Analyser les trajectoires familiales sous le prisme de la dette éclaire les contradictions et les défis d’une gauche de gouvernement.

Au Brésil, la gauche a fait du crédit à la consommation un instrument de lutte contre la pauvreté et d’intégration à la citoyenneté. Dans les favelas de Vitória, à 520 km au nord de Rio de Janeiro, bâtir sa maison, acquérir un véhicule ou une machine à laver est devenu possible au début des années 2000.

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« Le crédit nous a donné l’opportunité d’acheter ou d’achever ce qu’on n’arriverait jamais à obtenir en épargnant » explique Nilva, cuisinière à son compte. « Les gens n’ont pas seulement perçu le crédit comme un progrès » selon Yuri, leader local de la favela Garrincha[1]. Ils se sont sentis « partie prenante de la société, car avoir du crédit, c’est un sentiment d’appartenance ».

Cette politique, incarnée par le Président Lula Da Silva, a conforté sa légitimité au cours de son premier mandat (2003-2006). Alors que les pauvres votent plutôt à droite lors de l’élection présidentielle de 2002, ils votent massivement Lula à celle de 2006. Un bloc de gauche émerge alors selon le politiste André Singer[2]. Il a pour centre de gravité le « sous-prolétariat » qui peuple les favelas. Celui-ci améliore ses conditions de vie grâce aux programmes sociaux, aux créations d’emplois et aux revalorisations salariales. Il accède massivement à la consommation en s’endettant auprès des grandes enseignes, des supermarchés et des établissements de crédit. Cette politique stimule le marché intérieur et dope la croissance de 2003 à 2013[3]. Elle satisfait autant les pauvres que les banquiers[4]. Gouvernement et médias célèbrent la chute de la pauvreté et l’essor d’une « nouvelle classe moyenne ».

Mais la récession économique de 2014-2015 brise les espoirs de mobilité sociale. Les scandales de corruption précipitent le pays dans une crise politique sans précédent. Ils affaiblissent des secteurs pourvoyeurs de main-d’œuvre, comme l’industrie du bâtiment. Début 2018, Yuri est sceptique : « Tout ce à quoi les gens avaient accès auparavant, c’est tout cela en moins qu’il y a aujourd’


[1] Les noms des lieux et des personnes ont été modifiés afin de préserver leur anonymat.

[2] André Singer, Os sentidos do lulismo. Reforma gradual e pacto conservador, Companhia das Letras. 2012.

[3] Le credit à la consommation est responsable d’un tiers de la croissance du pays entre 2003 et 2013 d’après l’étude de Borça Júnior et Danilo Guimarães, « Impacto do Ciclo Expansivo do Crédito à Pessoa Física no Desempenho da Economia Brasileira », 2015.

[4] Lire : Geise Maria Rocha, « Bourses et favelas plébiscitent Lula », Le Monde diplomatique, Septembre 2010.

[5] Loi numéro 14 431.

[6] 2003 pour les salariés du privé, 2004 pour les retraités et les bénéficiaires sociaux.

[7] Geralda Doca, « Auxílio Brasil: Empréstimo consignado multiplica efeito eleitoral do benefício, dando até 2.600 reais a famílias », O Globo, 4 août 2022.

[8] Selon la Fédération du commerce des biens, des services et du tourisme de l’État de São Paulo (Fecocomercio, 2022).

[9] Banco Central do Brasil (BCB)., 2015. Relatório de inclusão financeira Número 3.

[10] Fecocomercio, 2022.

Timothée Narring

Sociologue et ethnographe, Cessma (Centre d’Etude en Sciences Sociales sur les Mondes Africains, Américains et Asiatiques) – UNIVERSITE PARIS CITE

Notes

[1] Les noms des lieux et des personnes ont été modifiés afin de préserver leur anonymat.

[2] André Singer, Os sentidos do lulismo. Reforma gradual e pacto conservador, Companhia das Letras. 2012.

[3] Le credit à la consommation est responsable d’un tiers de la croissance du pays entre 2003 et 2013 d’après l’étude de Borça Júnior et Danilo Guimarães, « Impacto do Ciclo Expansivo do Crédito à Pessoa Física no Desempenho da Economia Brasileira », 2015.

[4] Lire : Geise Maria Rocha, « Bourses et favelas plébiscitent Lula », Le Monde diplomatique, Septembre 2010.

[5] Loi numéro 14 431.

[6] 2003 pour les salariés du privé, 2004 pour les retraités et les bénéficiaires sociaux.

[7] Geralda Doca, « Auxílio Brasil: Empréstimo consignado multiplica efeito eleitoral do benefício, dando até 2.600 reais a famílias », O Globo, 4 août 2022.

[8] Selon la Fédération du commerce des biens, des services et du tourisme de l’État de São Paulo (Fecocomercio, 2022).

[9] Banco Central do Brasil (BCB)., 2015. Relatório de inclusão financeira Número 3.

[10] Fecocomercio, 2022.