Savoirs

Image légendée, histoire légendaire – coda à la querelle Didi-Huberman / Traverso (1/2)

Historien de l'art

La querelle qui a opposé Georges Didi-Huberman et Enzo Traverso dans les colonnes d’AOC n’a pas trouvé de point de résolution : en cause, notamment, le sens et la portée politiques d’une photographie de Gilles Caron prise en août 1969 à Derry, en Irlande du Nord, lors de la Bataille du Bogside. La légende qui l’accompagnait dans l’exposition « Soulèvements » de Georges Didi-Huberman, indiquant des « manifestations anticatholiques », a semé le trouble et nous a montré que les mots sont des oeillères, qui nous disent comment regarder mais nous empêchent de voir. À partir d’un récit rigoureux de la Bataille du Bogside, le premier volet de ce texte rappelle les risques qu’on encourt à privilégier le verbal au visuel.

«Tout est parti d’une image, d’une seule image[1] », dans le débat qui vous a vu, cher Georges Didi-Huberman, cher Enzo Traverso, vous opposer.

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Depuis la fin mai jusqu’à la fin octobre 2022, vous avez débattu, âprement parfois, de vos prises de position méthodologiques (puisqu’il était question de la bonne manière de regarder une image, de la comprendre et d’en faire usage), mais aussi esthétiques, éthiques, politiques, voire stratégiques (puisqu’il était question, aussi, de la « bonne » manière de se soulever et d’interpréter les soulèvements, ou de permettre à la gauche d’accomplir son télos révolutionnaire). Cela, donc, à partir d’une seule et même image, qui s’est avérée une véritable boîte de Pandore.

Cette image-là est une photographie de Gilles Caron (fig. 1), dont la légende évoque des « manifestations anticatholiques à Londonderry, Irlande, août 1969 ». L’inclusion de cette photographie dans l’exposition Soulèvements relèverait d’un « égarement » selon vous, Enzo Traverso, car elle montrerait nécessairement – puisque la légende l’affirme – deux jeunes Protestants unionistes exécutant la danse assassine et tristement banale de la ségrégation que subissent les Catholiques depuis plusieurs siècles déjà.

Il ne m’incombe pas, à travers cette lettre, d’intercéder en la faveur de l’un ou de l’autre. J’aimerais seulement défendre l’approche qui me semble la plus pertinente et la plus prudente lorsque l’on est confronté à une photographie de presse. Cela ne signifie pas pour autant que toutes les autres approches soient contre-indiquées : tout dépend de ce que l’on cherche à en tirer, et la richesse de vos échanges à partir de cette seule photographie en a bien témoigné. Les savoirs les plus fiables, il me semble, ne s’ancrent que dans la confrontation des idées et des méthodes et non dans leur isolement.

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Pour le dire franchement, les incertitudes et les interrogations – nombreuses, fertiles, obsédantes – qu’a provoquées l’image en cause ne m’étonnent pas. L’exposition sur laquelle mes collègues Clara Bouveresse et Isabella Seniuta et moi avons travaillé, intitulée Gilles Caron. Un monde imparfait[2], indiquait déjà dans son titre même, tiré d’une lettre de Caron[3], les ambiguïtés constitutives du travail du photographe et qui le rendent à ce titre passionnant.

Les positions qui sont les vôtres, Georges Didi-Huberman, Enzo Traverso, portent la marque des embarras qui étaient ceux de Caron : quel sens peut bien avoir le métier de photojournaliste si les images qu’il produit peuvent se prêter à toutes sortes d’interprétations, y compris parfaitement contradictoires ? C’est avant tout un Conflit intérieur[4], lumineusement exposé par Michel Poivert, que Caron cherche à régler. Ce dernier ne peut aujourd’hui nous aider à statuer, mais il y a fort à parier qu’il aurait trouvé dans vos échanges de quoi conforter sa façon de douter, qui, loin d’être fortuite, constitue plutôt une pratique à part entière et peut-être le moteur même de son travail. Lorsque l’agitation sur le terrain est telle qu’il n’y a guère de place pour la réflexion (et pour le doute, donc), Caron regrette en effet de ne pouvoir travailler que « comme une bête, comme une mécanique[5] » : de ne pas s’interroger.

L’organisation de notre exposition, au fil de ses quatre présentations[6], n’a en effet cessé de soulever des questionnements, fondamentaux comme spécifiques. À sa disparition, Gilles Caron n’a laissé que de rares entretiens, de la correspondance et de minces archives. Travailler avec la volonté de toucher à la « vérité » de Gilles Caron n’a donc aucun sens : cela reviendrait à vouloir trouver son chemin avec une boussole affolée ou les restes d’une carte mise en pièces. Travailler sur ses images en élevant le doute au rang de méthode est en revanche bien plus fécond.

Devant l’image qui oppose vos interprétations, j’ai donc moi aussi douté. Je ne pensais plus avoir à douter à son sujet, étant donné notre travail sur Gilles Caron et plus particulièrement celui de Clara Bouveresse qui a consacré un texte à son reportage en Irlande du Nord[7] ; étant donné l’ouvrage que Pauline Vermare a publié sur ce même reportage[8] et son iconographie savamment séquencée par Patrick Tanguy, graphiste et iconographe qui connaît très bien le fonds Gilles Caron ; étant donné le documentaire réalisé par Mariana Otero[9] qui s’est rendue à Derry pour y retrouver des acteurs du conflit d’août 1969 et les confronter aux images de Caron ; étant donné le travail au long cours de Michel Poivert, sanctionné lui aussi par une exposition et un  ouvrage en 2013[10] ; étant donné, enfin, la connaissance de ce fonds que construit au fil des années la Fondation Gilles Caron et la mémoire de Marianne Montely-Caron, veuve du photographe qui a patiemment et généreusement rassemblé le travail du photographe.

J’ai cependant d’autant plus douté que les individus que cette photographie représente se trouvent, à un autre moment de ces journées d’émeutes, en compagnie d’une jeune fille qui figure sur la couverture du catalogue de notre exposition, qui avait déjà amplement bénéficié du scepticisme coriace mais salvateur de nos éditeurs et éditrice du Point du Jour David Barriet, David Benassayag et Béatrice Didier, ainsi que du regard avisé de Patrick Tanguy. Il a donc aussi été question, pour moi, de savoir si ce choix éditorial commun procédait, malgré toutes les précautions prises et les précédents qui le confortaient, d’un « égarement ».

Ayant donc rouvert le dossier, dans l’espoir potentiellement vain de lever définitivement le doute, je suis tout de même parvenu très rapidement à une réponse : ces deux jeunes gens sont bien des catholiques. Les personnes auxquelles ils font face sont bien des policiers, au service de la Royal Ulster Constabulary (RUC).

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Cette certitude, je l’ai acquise par l’exercice opiniâtre et entêtant du « déplacer le voir[11] » dont vous avez parlé, Georges Didi-Huberman : en regardant ailleurs, c’est-à-dire d’autres images, mais des textes aussi. Les éléments qui m’ont permis de trancher sont nombreux ; je vous les donne tous, ce qui explique d’ailleurs la longueur de ce texte. Il y a les récits et la documentation historiques, bien sûr, mais contrairement à vous, Georges Didi-Huberman et Enzo Traverso, j’ai surtout l’avantage substantiel de conserver une copie de l’intégralité du fonds Gilles Caron sous sa forme numérisée[12]. Ce travail de longue haleine et d’une rare qualité a été d’abord permis par Marianne Montely-Caron, veuve du photographe, puis grâce à la Fondation Gilles Caron, présidée par Marjolaine Caron, fille du photographe et dirigée avec abnégation par son mari Louis Bachelot, et mené par le tireur Diamantino Quintas et l’équipe de son laboratoire, de concert avec Francisco Aynard de l’agence Clermes. Sans cela, sans tout ce travail préalable, sans avoir à ma disposition l’intégralité du reportage réalisé par Gilles Caron en Irlande du Nord en août 1969, il m’aurait été impossible de me prononcer – d’où, peut-on supposer, le fait que vos perspectives divergentes quant à cette image n’aient pu trouver un point de fuite commun.

Il serait cependant vain d’administrer froidement mes « preuves », comme le ferait un rapport de police, car nous n’en tirerions qu’un savoir à usage unique – spécifique et arrêté, ne nous permettant en l’espèce que de dire si nos manifestants sont du côté des gentils ou des méchants. Il m’a paru plus profitable, ne serait-ce que pour nos lectrices et nos lecteurs, de retracer les voies que j’ai empruntées. Pour en arriver à ce texte, je me suis finalement résolu à en passer d’abord par une « histoire précise », à laquelle vous avez tous deux appelé. Autrement dit, j’ai confronté ce qu’avance la légende à ce que l’on sait des événements qui ont eu lieu à Derry à la mi-août 1969. Comprendre une photographie de presse pour en faire bon usage exige en effet d’être nettement renseigné sur l’événement qu’elle représente, mais encore de se méfier autant que possible et de l’image et de sa légende. C’est avant tout la légende qui accompagnait l’image dans Soulèvements qui a mis le feu aux poudres, si je ne m’abuse : exposée avec une autre légende (par exemple : « Deux manifestants catholiques affrontent des policiers de la RUC, Derry, août 1969), la photographie de Gilles Caron n’aurait certainement pas donné lieu à la critique que vous avez proposée[13], du moins reprise à votre compte, Enzo Traverso, puis à ces échanges.

« La légende donnée par Gilles Caron à son image, écrivez-vous, […] ne laisse aucun doute : il s’agit bien de jeunes unionistes saisis lors des émeutes de l’été 1969 qui ont tourné au pogrome contre les catholiques, faiblement défendus par la police. Disparu au Cambodge en 1970, Caron ne peut pas clarifier ce point, mais la légende de sa magnifique photo ne peut pas être interprétée à contresens[14]. » Vous avez aussi maintenu cette position jusqu’à votre ultime lettre[15].

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Ce qu’on appelle « légende », en matière de photojournalisme, porte en effet bien son nom. Loin de donner uniquement l’évidence du « contenu factuel (ce qui est représenté) », parce qu’elle s’octroie en outre la prétention d’indiquer un « contenu politique (ce qu’on doit en ‘lire’) »[16], la légende ouvre grand la porte à toutes sortes de fraudes, corruptions et trahisons : elle est finalement celle qui pousse aux contresens. Susan Sontag le formule catégoriquement, estimant que « toute photographie attend d’être justifiée ou falsifiée par sa légende[17]. » Mais Sontag, en raisonnant aussi, en faisant de la légende l’ultime curseur de la vérité (fût-ce sous la forme du mensonge), lui réserve finalement un pouvoir de légiférer qu’elle ne mérite peut-être pas tant. La légende, qui vient précisément toujours après-coup vers une photographie qui, de fait, l’« attend », entretient une distance redoublée avec l’événement que représente l’image, parce que l’image elle-même s’interpose et fait déjà écran. Plutôt que de seulement évaluer l’image en fonction de la légende, il est donc bien plutôt question de considérer d’un même mouvement leur fréquentation. Cela signifie qu’il faut soumettre l’une et l’autre au même examen critique et au même scepticisme, en cessant de supposer que le texte qui accompagne l’image est censé l’« expliquer » et ne saurait être porteur de contresens.

Tout rapprochement entre un texte et une image recèle en effet la possibilité d’une lutte, l’une et l’autre se disputant l’usufruit de la vérité. Tel est le nœud problématique qui fonde votre débat : la confrontation d’une image et d’un texte débouche sur deux positions diamétralement opposées, car engagées par des voies contraires (l’une à partir de l’image, l’autre à partir du texte). Photographie et légende n’en reviennent pas indemnes, tous deux soumis à un incurable soupçon. De part et d’autre, on ne voit ni on ne lit la même chose : l’image vacille dans sa forme et dans son contenu en raison même du texte qui l’accompagne ; le texte se trouve en retour sujet à caution du fait de son association avec une image qui pourrait soit lui donner raison, soit le mettre en défaut.

Or, une histoire précise, propre à contenir ces oscillations incontrôlées, nous apprend que la légende en question est fausse. Lui accorder un tel crédit et supposer en plus qu’elle est de la main de Caron conduit nécessairement à une interprétation voilée, sinon trompeuse.

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Il est selon moi peu probable, voire impossible, que Caron ait rédigé lui-même cette légende. Sur le terrain, le photographe est probablement peu disposé à décrire et caractériser les scènes enregistrées. Les pellicules elles-mêmes, en tant qu’objet, offrent une surface d’annotation très réduite ; tout au plus peut-on y inscrire un lieu et une date – et encore. Par ailleurs, il n’existe pas, à ma connaissance, de carnets qui référencent les pellicules utilisées en leur attitrant une explication, c’est-à-dire en les situant dans le cadre d’un événement donné. Le photographe remet plutôt comme il le peut un sac de pellicules en vrac : en mains propres, par avion, voire clandestinement, comme ce fut le cas au terme de son reportage sur la guerre civile au Tchad en 1970, lorsqu’elles furent cachées dans un panier de dattes emporté par un officier de l’armée française, puis remis à une hôtesse de l’air sur un vol pour Paris, avant d’être récupérées par son agence Gamma[18]. En ce qui concerne son séjour en Irlande, il a pu confier son reportage à qui de droit soit par voie postale aérienne depuis Derry ou Belfast où il le termine, soit à Paris où il fait vraisemblablement tout juste escale, devant rejoindre immédiatement la Tchécoslovaquie où il atterrit le 20 août pour l’anniversaire du Printemps de Prague qui promet son lot de manifestations, d’émeutes juvéniles et de répression armée[19]. Une fois ses pellicules livrées, Caron ne contrôle plus grand-chose. En ce qui concerne l’Irlande, il ne découvrira d’ailleurs ce qu’on a fait de son reportage qu’au retour de Prague, notamment dans deux numéros consécutifs de l’hebdomadaire Paris-Match[20], qui lui a réservé l’exclusivité pour illustrer le « sujet » nord-irlandais.

Gilles Caron n’est en effet que l’un des maillons d’une longue chaîne, comme tout photojournaliste : de l’enregistrement photographique à la vente de l’illustré, l’information visuelle est le fruit d’un travail de « collaboration[21] », reposant sur un véritable « réseau[22] » d’acteurs, selon les termes qu’emploie l’historienne du photojournalisme Nadya Bair. Au sein de cette chaîne se succèdent développeurs-tireurs, agents, commerciaux, rédacteurs, iconographes, documentalistes et archivistes, maquettistes, pigistes, journalistes, rédacteurs en chef… Avant même le photographe, la direction de l’agence, voire ses financiers pour les plus importantes, impriment leur marque aux contenus produits par l’agence et à sa stratégie globale. Roland Barthes a décrit cette chaîne comme une « source émettrice », qui délivre donc collectivement un « complexe de messages concurrents » à travers la presse illustrée[23]. Si les images de Caron demeurent relativement entre de bonnes mains, des mains de confiance en tout cas, lorsqu’elles rejoignent son agence Gamma, où il travaille avec ses collègues qui sont aussi des amis (Raymond Depardon, Hubert Henrotte ou Floris de Bonneville, pour ne citer qu’eux), les choses se corsent lorsqu’elles quittent l’agence pour parvenir aux rédactions des périodiques illustrés, comme Paris-Match et L’Express en France, Stern en Allemagne, Epoca en Italie ou Fatos e Fotos au Portugal – autant de titres qui affectionnent ses reportages.

Instruire une cohérence parfaite entre les intentions qui président à ses photographies et leur usage – et donc contrarier toute « concurrence » des différents messages – relève ainsi de l’impossible pour le photographe : cela équivaudrait, toujours en suivant Barthes, à confondre sans reste « dénotation » (photographique) et « connotation » (textuelle)[24]. La négociation, difficile sinon inexistante, aboutit parfois favorablement pour Caron lorsque son agence parvient à la monnayer : Gamma semble parfois fournir des récits illustrés prêts-à-publier, en échange d’une exclusivité nationale. On retrouve ainsi, à peu de choses près, la même double-page dans Fatos e Fotos[25] et dans Paris-Match[26] pour son reportage sur la guerre des Six jours en Israël, en juin 1967. À deux reprises en 1968, l’agence Gamma rectifie le circuit perverti de l’information illustrée en lui administrant un remède de sa fabrication : elle publie en son nom deux ouvrages, au format livre de poche. La Mort du Biafra ![27] est un long pamphlet contre la « lâcheté de l’opinion internationale[28] » rédigé par Floris de Bonneville et accompagné de photographies uniquement signées par Caron. Les Barricades de Mai[29], qui peut répondre en partie aux intermittences de la presse en raison des grèves, notamment dans les imprimeries, retrace quant à lui une partie des événements parisiens de mai et juin 1968. Le livre rassemble les images de plusieurs photographes de l’agence, dont Caron, et le texte de Philippe Labro développe là aussi une interprétation politisée des événements, à un moment crucial où la « grande presse » est accusée, à juste titre, de collusion avec le capital et les valeurs du vieux monde qui est mis en cause. Dans ces deux ouvrages, les images sont accompagnées de légendes, mais le texte qui les accompagne forme comme un aveu silencieux : la légende est une troncature du sens, elle arase le récit des faits au moyen de quelques mots placés sous une reproduction. Un récit documenté, structuré et cohérent est donc nécessaire. Avant tout une agence photographique, Gamma se refuse donc à une actualité uniquement faite de photographies et de légendes : les doutes de Caron sont aussi partagés par ses collègues. C’est qu’en s’appuyant sur l’image, la légende table bien plus souvent sur une association d’idées que sur une élaboration précise des faits.

Ainsi, en marge d’une photographie de Caron prise à Derry figurant un RUC atteint par une petrol bomb et en proie aux flammes (fig. 2), un rédacteur de Paris-Match manifestement affranchi de toute exigence éthique et morale peut-il écrire : « À la nuit tombante, un policier en flammes éclaire le champ de bataille[30] ». Quelle valeur d’information cette légende peut-elle bien avoir ? À peu près aucune, sinon que le feu illumine la nuit, ce que tout le monde sait déjà et qui ne dit absolument rien de l’événement. Là où Paris-Match promet, selon sa devise, d’associer le « poids des mots » au « choc des photos », il ne fait que redoubler le choc des photos par le poids de mots choquants, sans merci. L’illustré se livre à une forme de « mise en valeur littéraire », pour le dire avec Walter Benjamin, à partir d’une image qui « pompe l’aura du réel »[31] : le réel, à savoir la violence politique dont l’Irlande du Nord a été le théâtre et qui a fait couler tant d’encre[32], n’existe plus que sous la forme réduite de sa reproduction, propice à une invention poétique douteuse et à éluder la nécessité d’une élaboration précise des faits. Sans dédouaner de telles pratiques et exonérer ceux qui les mettent en œuvre de leurs responsabilités, il faut tout de même se demander : que donnerait une légende exacte et juste ? Une légende exacte est-elle seulement possible ? Si oui, quelle forme prendrait-t-elle ? Reviendrait-elle à un épuisement ekphrastique de l’image ? Quand cet épuisement serait-il, au juste, accompli ?

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Il n’y a pas de légende exacte : la rédaction d’une légende est une pratique instrumentale, tout dépend donc de ce que l’on veut en tirer. Les légendes qu’on associe aux reproductions d’œuvres dans les livres d’histoire de l’art, par exemple, donnent un auteur, un titre, des dimensions, la technique employée et le lieu de conversation, jusqu’aux détenteurs des droits. Rien de tel pour une photographie de presse, qu’on ne présente pas même comme une reproduction.

Il n’y a pas de légende exacte, donc ; il y a, au mieux, des légendes prudentes, c’est-à-dire consciencieuses : celles qui, nées du désir de côtoyer au plus près une illusoire objectivité, tentent de laisser paraître le moins possible un parti pris, une interprétation subjective, tâchant ainsi d’atteindre à un semblant de neutralité (tout aussi illusoire). La légende la plus prudente pour cette photographie de Gilles Caron donnerait quelque chose comme : « Affrontements, Irlande du Nord, août 1969 », à supposer que l’on ne sache pas qui se trouve à l’arrière-plan ni au premier, et en se dérobant à un choix forcément politique quant à la toponymie (Londonderry ou Derry). Choix que nous avons fait, d’ailleurs, pour l’accrochage de Cherbourg, au terme d’âpres et longues discussions sur la justesse – la « neutralité », j’entends – de nos légendes.

Sans garder cette neutralité en ligne de mire, sans ce « faire comme si » qui permet tout de même de s’en approcher, la légende fait dangereusement pencher la balance du sens là où l’image ne dit rien, ou si peu. Cousue d’idéologie, elle infléchit la signification de l’image et indique comment la « lire », si tant est qu’on puisse effectivement « lire » une image. Une autre légende rédigée par Gamma pose question en ce sens. Elle accompagne une série d’images tirée du reportage de Gilles Caron au Viet Nâm, pendant la guerre, en novembre-décembre 1967. Comme l’ont révélé les recherches d’Isabella Seniuta à partir des archives[33], Hubert Henrotte, directeur de l’agence, écrit depuis Paris à Caron pour lui indiquer une piste à suivre et un sujet à « couvrir », comme on dit. Il invite Caron à se rendre dans les carwashes, ces stations de lavage de voitures où le photographe pourra documenter le « Dimanche des Américains », ainsi que l’appelle Henrotte. Caron produit nombre de photographies de ces rencontres monnayées entre soldats et femmes vietnamiennes, en suggérant parfois la violence de ces rapports, qui surgit par exemple d’une photographie où un soldat, qui peut être dans sa vingtaine, saisit manifestement avec violence – et avec un regard tout aussi violent – le bras d’une fille peut-être très jeune, alors qu’il est déjà en compagnie d’une autre femme dans le bar où ils sont attablés (fig. 3). Telle est la légende qui accompagne cette série (fig. 4) :

« Un peu de charme, un sourire et un minimum de vocabulaire anglais, c’est tout ce dont elles ont besoin […]. Les conséquences sont évidemment très lourdes. Les maladies vénériennes se propagent et le G.I. s’en trouve souvent détruit à vie. En outre, ces jeunes filles étant généralement des sympathisantes du Viêt-Cong, une étreinte illicite peut s’avérer plus fatale qu’un assaut armé. Pourtant, la prostitution continue et prospère, permettant à ces femmes de subvenir aux besoins de leur famille et de leur entourage grâce à ces revenus[34]. »

La légende de Gamma élude presque totalement le sort tragique des femmes vietnamiennes et ne nous offre que la froideur d’un commentaire économique. Plus largement, c’est le problème des dommages collatéraux de la guerre sur les civils qui est contourné pour ne s’inquiéter que de la santé des soldats. Cette légende, qui choisit son camp et n’est donc pas neutre, n’évoque en rien le drame de la pédophilie pourtant perceptible dans ces images, ni la banqueroute morale des soldats provoquées par la guerre et ce qu’elle fait d’eux : de la chair à canon qui finit par se considérer comme telle. Un tel tirage de presse, appréhendé pour son recto (l’image) comme pour son verso (la légende), illustre parfaitement la proverbiale sentence benjaminienne selon laquelle « il n’est pas de témoignage de culture qui ne soit en même temps un témoignage de barbarie[35]. » Culture et barbarie se partagent ici la fine épaisseur d’un tirage photographique : culture du droit de savoir, garant de la liberté d’esprit ; barbarie de l’esprit occidental, qui hiérarchise le genre humain.

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C’est là l’un des fondements du doute qui travaille Caron. Lui a du respect pour celles et ceux qu’il photographie, quels que soient leur responsabilité, leur penchant politique, leur tort. Faire hommage à son travail, c’est-à-dire le rendre tant que faire se peut à ses intentions et à son sens initial, cela revient finalement à resituer ses images dans le maillage d’une « histoire précise », histoire par laquelle Caron se sentait vivement concerné, lui qui voulait « prendre son siècle en main » et s’en « laisser imprégner tout entier »[36], aussi précisément qu’une pellicule photographique. Une histoire précise des événements qui se sont déroulés du 12 – voire du 11 – au 14 août 1969 à Derry a été donnée par les historiens Simon Prince et Geoffrey Warner[37]. Contrairement aux précédents récits disponibles focalisés sur ces journées[38], le leur repose sur des sources jusqu’alors ignorées ou inaccessibles, notamment des sources gouvernementales[39]. Il livre la chronique de ce qu’il est convenu d’appeler, à ma connaissance depuis le 13 août 1969 et la parution des photographies de G. H. Warhurst dans un article éponyme du Times, la Bataille du Bogside[40]. Le travail de Prince et Warner, même s’il n’apporte pas une franche nouveauté sur son objet mais seulement des précisions qui rendent leur récit implacable, ne laisse aucun doute quant au reportage de Gilles Caron et ce qu’il documente : un soulèvement catholique en l’occurrence, et non des « manifestations anticatholiques », comme l’indique la légende.

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Ce qui a pu passer pour une ou des « manifestations anticatholiques » est en réalité une marche protestante, donc unioniste et loyaliste, celle des Apprentice Boys. Elle célèbre la résistance de la ville, favorable à Guillaume III d’Orange-Nassau, au siège des troupes catholiques de Jacques II, en 1689, ravivant ainsi le souvenir de l’humiliation et de la colonisation pour les Catholiques. Avant que les événements ne commencent à proprement parler, l’on sait déjà, à vrai dire, que l’Irlande du Nord est au bord du précipice. En France, une semaine avant le début des événements de la mi-août, on annonce une « véritable guerre civile[41] », ce qui explique la présence précoce de Caron sur place alors que rien, ou presque, n’a commencé. C’est précisément l’autorisation de la marche et donc sa programmation qui a intensifié un contexte déjà inflammable : James Chichester-Clarke, premier ministre unioniste d’Irlande du Nord depuis le 1er mai 1969, sait parfaitement qu’elle catalysera la violence, ainsi qu’il en fait part aux autorités britanniques[42], mais il n’en interdit pas la tenue[43].

Les lieux que la marche parcourt, dans la vieille ville de Derry, ses portes et ses fortifications sont autant de marques de la ségrégation et de tout ce qui sépare Catholiques et Protestants, à la fois dans l’histoire et dans le présent : une partie des murailles qui ont permis de résister au siège donne directement, au niveau de Butcher’s Gate où se trouve l’Apprentice Boys of Derry’s House, sur le quartier populaire et catholique du Bogside, avec notamment les Rossville Flats, un ensemble d’immeubles de grande hauteur. Caron photographie cette ligne de séparation à la fois virtuelle et réelle, comme lorsqu’il montre une rangée de maisons, au pied de la muraille, aux portes et fenêtres murées (fig. 5). Il insiste aussi parfois sur certains éléments qui nous rappelle à l’histoire longue de la colonisation britannique et ses conflits : ainsi des canons dirigés vers le pied des murailles ou vers le Bogside, où ont pu se positionner les troupes de Jacques II en 1689, occupant le premier plan d’une photographie où l’on peut voir au fond à gauche les Rossville Flats, tandis qu’au fond à droite la marche des Apprentice Boys arrive, précédée de policiers de la RUC (fig. 6). Il en va de même pour les maisons barricadées qui bordent le parcours de la marche (fig. 7). Caron prélève ainsi, autant qu’il le peut, les signes tangibles de la tension qui entoure la marche pour la rendre palpable. La veille au soir, alors que des milliers de protestants ont afflué de tout le royaume vers Derry pour participer à la marche du lendemain, quelques rixes sans gravité ont eu lieu entre jeunes Catholiques et Protestants sur fond d’ivresse, dans le bastion unioniste de The Fountain[44]. Cependant, la marche que Caron documente tout du long la matinée du 12 août, ne donne lieu à aucun accrochage en son sein même.

On pensait bien à une invasion du Bogside par les Apprentice Boys et leurs soutiens unionistes, mais celle-ci n’aura pas lieu. Même la BBC s’y est perdue, affirmant que la marche avait traversé le Bogside (elle l’a seulement longé en passant au pied de la muraille)[45]. On relève bien certaines marques de provocations : les plus arrogants des Boys lancent des pennies sur le Bogside, comme pour réaffirmer que le conflit ethnique est aussi un conflit de classe ; des slogans sectaires sont entonnés auxquels les Catholiques répondent au lance-pierre[46]. Cela ne fait pas de la marche une « manifestation anticatholique » ou un pogrome pour autant : les récits de ces journées, médiatiques comme historiques, s’accordent à dire qu’elle s’est déroulée « pacifiquement[47] ». On dira même, le 13 août, que « les milliers d’Orangemen qui avaient marché dans la ville tout au long de journée avaient pratiquement disparus la nuit venue[48] ». Les Catholiques, en revanche, étaient déjà déterminés à en découdre.

C’est précisément parce que la marche ne fond pas sur le Bogside que les Catholiques, eux, décident d’aller à sa rencontre. Caron, qui a une formation de parachutiste civile et militaire et a fait son service militaire pendant la guerre d’Algérie, dispose d’une véritable capacité de déchiffrement tactique des terrains sur lesquels il se trouve. Prompt à identifier rapidement les parties impliquées, leurs positions et à comprendre le sens de leurs manœuvres, il réagit rapidement pour se placer et obtenir en définitive la vision la plus complète du conflit qu’il documente. Sa lecture topographique, pour le cas qui nous occupe, a toute son importance – j’y reviendrai. Caron passe donc les murailles du vieux Derry pour aller à la rencontre des Catholiques qui remontent du Bogside, motivés par la perspective du contact avec les Protestants (fig. 8a et fig. 8b). De leur côté, la marche s’était semble-t-il faite attendre : soit, pour les moins rancuniers, comme l’opportunité renouvelée d’une négociation pacifique ; soit, plus intensément, comme l’occasion rêvée d’une véritable révolution. La communauté catholique est en effet divisée.

Concernée par son émancipation, elle avait pris pour modèle, depuis 1968, le Mouvement pour les droits civiques africain-américain à travers la Northern Ireland Civil Rights Association (NICRA), fondée le 29 janvier 1967 à Belfast. La NICRA, organisme principal de défense de la cause catholique, nationaliste et républicaine, privilégie ainsi les procédures non violentes : de marches en marches, elle fait entendre ses revendications en observant le plus grand calme. L’impératif pacifique montre cependant rapidement ses limites : tout le monde se souvient de la marche du 5 octobre 1968 (fig. 9), pacifique, donc, mais interdite, au cours de laquelle près d’un quart des quatre cent marcheurs catholiques se retrouvent hospitalisés après une charge ultraviolente de RUC enragés[49]. On se souvient aussi de celle, plus proche, de janvier 1969 : organisée cette fois par The People’s Democracy, un groupement étudiant de la gauche radicale et inspiré par le soulèvement français du printemps précédent, elle part de Belfast pour rejoindre Derry. Elle est attaquée près de son point d’arrivée le 4 janvier par des gangs unionistes : 87 blessés[50].

Ces événements alimentent une scission qui ne dit pas son nom au sein de la communauté : il y aura désormais les « réformateurs » d’un côté, les « révolutionnaires » de l’autre, selon l’analyse que John Hume, député catholique et l’un des principaux représentants de la NICRA, partage en mai 1969 avec Chichester-Clarke[51]. En juillet de la même année, comme l’on sent poindre le risque d’une guerre civile, les organisations politiques et municipales de Derry sont réunies pour discuter de « propositions pour la paix »[52]. Le mouvement des droits civiques est en perte de vitesse et se trouve en effet contraint de s’opposer publiquement au « vandalisme » de certains Catholiques[53]. La violence ne fait que s’intensifier, redimensionne le conflit et redéfinit ses moyens. John Hume est raillé : on l’accuse, par temps d’émeutes, de préférer les regarder à la télévision, chez lui, avec une tasse de chocolat chaud[54]. Les « réformateurs », lors des journées du 12 au 14 août, seront bien incapables de contenir les « révolutionnaires ».

La nouvelle inspiration est alors moins puisée dans la cause Noire telle qu’elle se défend aux États-Unis que dans les événements récents du Vieux Continent : il est avéré que la révolte de mai-juin 1968 à Paris est un nouveau modèle pour les Catholiques nord-irlandais[55]. Combats de rue, affrontements avec la police, barricades, armes par destination ou artisanales sont à l’ordre du jour. Les Catholiques se sont bien engagés dans la « préparation méthodique et disciplinaire[56] » sans laquelle, selon Walter Benjamin, aucune révolution n’est possible. Une semaine avant la marche, un meeting anti-unioniste est organisé au Stardust Ballroom pour s’organiser face à l’arrivée de milliers de Protestants à Derry. Le quartier du Bogside, selon les sources de Prince et Warner, abrite environ 200 armes à feu, dont 120 détenues légalement. On décide cependant, selon les mots de Sean Keenan, de s’en tenir au trio « sticks, stones and the gool-old petrol bomb »[57] : Keenan, vétéran républicain de Derry et figure du mouvement pacifique, sait que la violence attend son tour et cherche donc, au mieux, à limiter le nombre de morts en prohibant les armes à feu. Ailleurs, le 8 août, un meeting est organisé entre représentants des Apprentice Boys et porte-paroles du Bogside. Les discussions se soldent, chez les Catholiques, par des dissensions sur la méthode à adopter : soit « honorer l’engagement pour la non-violence », soit prendre le dessus lors de la marche – l’attaquer, se soulever[58]. La deuxième option aura la préférence de la communauté.

Ainsi que le formulent Prince et Warner, la « confrontation était désormais inscrite dans le discours collectif[59] ». Depuis l’Allemagne, un analyste-historien de l’armée britannique le disait autrement, avec des mots qui sonnent comme le prélude d’un appel au combat : « the struggle for ‘national liberation’ has begun[60]. » Même la Derry Citizen Defense Association (DCDA), en principe acquise aux méthodes pacifiques de la NICRA, disposait déjà de son plan de barricades, se préparant à l’éventualité du contact[61]. C’est que la crainte était grande que les Apprentice Boys envahissent effectivement le Bogside, et qu’ils soient épaulés dans leur manœuvres par des gangs de Glasgow. Prince et Warner rappellent la conjoncture favorable à ce scénario : le Bogside avait déjà été attaqué à plusieurs reprises, les médias irlandais et anglais faisaient leur miel de ces fameux gangs, et l’on savait de source sûre que de nombreux écossais étaient en route pour Derry[62]. C’est donc une double dialectique qui a vu Derry s’enflammer à la mi-août : une « dialectique de l’accablement et du soulèvement[63] », mais aussi une dialectique de l’affolement et du soulèvement. Craignant pour leurs vies, les Catholiques ont prévu et anticipé un combat qui sonne pour de bon l’ère de violence généralisée qu’on appelle gentiment « Troubles », ère de trois décennies au cours de laquelle près de 3 500 personnes trouveront la mort, et plus d’un million et demi de personnes y seront « exposées[64] ».

À 14h30, à l’embouchure de William Street donnant sur Waterloo Place, où se sont massés les catholiques (fig. 10), les premières pierres sont lancées[65]. John Hume et Eamon McCann, avec une dizaine de stewards du Derry Citizens Action Committee (DCAC), tentent tant bien que mal de contenir leurs coreligionnaires, sans succès (fig. 11). Sean Keenan, qui s’était déjà résolu à la flambée de la violence (« the good-old petrol bomb ») mais pouvait encore compter sur une centaine de « peace corps » pour l’éviter, les affecte alors à d’autres tâches : il faut désormais s’assurer que les barricades soient solidement érigées autour du Bogside, selon le plan établi en amont par la DCDA[66]. Caron suit les Catholiques qui redescendent William Street jusqu’à la jonction avec Rossville Street, intersection qui forme une porte d’entrée sur le cœur du Bogside, où l’on érige donc la plus importante des barricades (fig. 12).

Derry s’engage alors dans un épisode de combat de presque trois jours, marqué par quelques rencontres entre gangs rivaux mais surtout par les affrontements entre Catholiques et RUC, qui se soldera par l’arrivée des troupes militaires britanniques. On pourra dire, au terme de ces journées d’émeutes, que le Bogside, avec ses 3,56 km2 et ses 25 000 habitants, a accompli une sécession effective avec le Royaume-Uni[67]. L’impénétrable et imprenable Bogside, donc, devenu zone autonome aussi appelée « Free Derry » (fig. 13), défendue par ses habitants qu’on ne pouvait désormais considérer que comme une « communauté en révolte[68] », selon le mot du père catholique Anthony Mulvey.

Si on a effectivement et légitimement cru à l’hypothèse d’un « pogrome », comme vous l’avez dit, Enzo Traverso, rien de tel n’a apparemment eu lieu en cette journée du 12 août et durant cette marche, ni même après. Simon Prince et Geoffrey Warner, à partir d’une synthèse historiographique, récusent d’ailleurs l’usage du terme, qui ne correspond pas à la réalité des événements[69]. Ce bref résumé de la séquence du 11 au 14 août apportent un démenti à une perception de l’événement comme « manifestations anticatholiques ». C’est bien un soulèvement émancipateur, fondé sur une perspective révolutionnaire, qui a eu lieu et que Caron a documenté (et qui avait donc toute sa place dans Soulèvements, contrairement à la légende).

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Caron n’écrit pas ses légendes, et il n’a pas écrit celle-ci. Les exemples de « falsification », pour reprendre l’expression de Sontag, sont pléthore dans l’histoire de l’information illustrée. Ainsi d’une photographie prise par Caron lors de son reportage au Viêt Nam (fig. 14). Publiée dans le Soir illustré du 12 décembre 1968, elle montre un G.I. allumant une cigarette, sa mitraillette sous le bras, visiblement dans un moment de « répit ». Tout d’abord, la même photographie se retrouve publiée selon une inversion horizontale dans le Fatos e Fotos du 25 janvier 1968 (fig. 15). Retournerait-on Le Radeau de la Méduse, pour prendre un exemple dont vous avez magnifiquement, Enzo Traverso, commenté le contenu politique[70], ou encore l’Angelus Novus de Paul Klee, que vous avez aussi mentionné[71], dont l’orientation, si importante, serait alors complètement perturbé ? Certes, les conséquences sont moindres pour la photographie de Caron, mais cela reste un indice supplémentaire du peu de rigueur observé dans le milieu de la presse illustrée[72]. La précision, la justesse et l’impartialité sont plutôt de l’ordre de l’exception. La légende donnée par France-Soir à la photographie de Caron est malheureusement de l’ordre de la règle. Intitulée « La seconde de répit », elle poursuit : « Mars : on se bat férocement au Vietnam [sic]. Tout à coup un G.I. allume une cigarette. Pour une seconde, il oublie la guerre. » Tout, dans cette légende, est sujet à caution : la date de « mars » pour cet article paru en décembre 1968 alors que Caron était au Viêt Nam en novembre-décembre 1967 ; le « tout à coup » qui fait d’une cigarette allumée un événement, voire un geste qui perturbe l’ordre de la guerre ; la « seconde », référent associé par le sens commun à la photographie comprise comme un « instant décisif » (selon l’expression d’Henri Cartier-Bresson) et qui fait de l’image de Caron une sorte de scoop dans le chaos apparemment ininterrompu de la guerre ; mais surtout, le fait que le soldat, comme l’a montré Isabella Seniuta[73], ne prend pas simplement une « pause », mais vient plus probablement de mettre le feu au logis qui se trouve en arrière-plan, au cours d’une de ces opérations appelées « Search and Destroy », qui consistent à fouiller la jungle pour y brûler et détruire tout ce qui n’est pas pavoisé du drapeau américain. Connues du public dès 1965 aux États-Unis, elles ont non seulement provoqué un véritable scandale[74], mais aussi été renommées Zippo Raids : ce que montre Caron, c’est l’arme et la conséquence, l’acte et ce qu’il provoque. Le Zippo qu’utilise le soldat pour allumer sa cigarette est avant tout une arme incendiaire, dans ce contexte que France-Soir omet ou occulte. Les soldats américains ont fini par en faire un verbe : « to Zippo », c’est-à-dire détruire un village par les flammes[75]. Autre détail, bien plus inquiétant qu’une cigarette : la mitraillette qu’il porte n’a plus de chargeur. Peut-être l’a-t-il vidé sur les occupants de ladite maison. Alors que Caron produit ici un « raccourci visuel[76] » qui peut permettre d’évoquer l’absurdité de la guerre et le désordre éthique qu’elle produit – au point qu’il devient banal de fumer une cigarette en contemplant la mort que l’on a semé – ; alors qu’il concentre en une photographie une temporalité qui révèle une suite d’actions que le texte peut dérouler, son image est détournée au profit d’un sentimentalisme partisan et (volontairement ?) mal informé.

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Les légendes qui accompagnent ses images ne doivent donc bénéficier d’aucun crédit a priori, et ce quelle que soit la main qui les a écrites. Elles doivent systématiquement être contrôlées au sein d’un recueil de documents qui les excède. Leur confrontation avec les faits, une évaluation des conditions de sa rédaction et des intentions qui y président restent un préalable indispensable au jugement que l’on porte sur elles et à la possibilité d’en faire usage comme source ou non. Cette légende-là (« manifestations anticatholiques… ») n’a cependant rien d’une « falsification », ce qui nous indique que les erreurs – involontaires – sont aussi légion. Elle a été fournie, de son propre aveu, par la Fondation Gilles Caron ; elle avait aussi été utilisée comme telle dans l’ouvrage de Michel Poivert. Vous l’avez dit, Enzo Traverso, « tout le monde peut se tromper[77] ». La Fondation Gilles Caron, qui veille sur le fonds d’un photoreporter qui a documenté onze événements internationalement médiatisés entre 1966 et 1970, parmi des dizaines d’autres de moindre envergure (sans compter un tout-venant quasi-quotidien, fait de célébrités ou de figures politiques), peut se tromper – tout comme un historien des révolutions ne peut pas connaître chacune d’entre elles dans ses moindres détails ; idem pour un historien de l’art. La Fondation Gilles Caron ne peut tout simplement pas prendre le temps que j’ai pris pour une image afin de légender précisément près de 100 000 images. C’est un travail de bénédictin qui se fait au fil des usages du fonds et des collaborations qu’il suscite. Votre débat et les recherches qu’il m’a invité à poursuivre aura ainsi eu pour effet d’apporter quelques correctifs qui, je l’espère, serviront celles et ceux qui, après nous, parleront du reportage de Caron en Irlande du Nord ou mobiliseront ses photographies pour en écrire une histoire toujours plus précise et sensible. 

Il ne faut donc pas, par principe, seulement mobiliser des connaissances historiques pour évaluer le reportage de Caron, ni seulement partir des images de Caron pour comprendre l’événement. Il faut questionner les deux d’un même mouvement, c’est-à-dire se concentrer sur la tension qui les lie ainsi que les effets, comme les méfaits, de leur coexistence. Car, quand bien même Caron aurait lui-même rédigée la légende, il n’est pas omniscient et peut lui aussi se tromper. En l’occurrence, il n’a pas tout vu de l’événement : il en a d’ailleurs raté, à ma connaissance, l’une des principales étapes, à savoir le siège du commissariat de police de Rosemount (à proximité du Creggan, quartier catholique relié au Bogside) par environ six cent émeutiers catholiques[78], qui aurait pu virer au drame, étant donné ce que peut abriter un commissariat.

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Une « histoire précise », la plus précise possible, peut cependant permettre de repérer justement les contenus factuels mais aussi politiques des images de Caron, du moins de s’en approcher au plus près. Une telle histoire, attentive aux nuances, aux doutes, apporte un remède à la brièveté de la légende qui prétend, par le truchement de quelques mots alignés, donner tout son « poids » à l’image qui sans elle ne demeurerait qu’un « choc ». Mais elle permet aussi de découvrir les silences que ces photographies contiennent comme ceux qu’elles nous imposent, car tout ne peut pas non plus être dit à partir d’elles. Elles ne sont après tout que des tranches d’instant prélevées dans le flux et l’espace ininterrompus de l’histoire. Elles ont moins cette qualité de « fenêtre sur l’histoire » que Leon Battista Alberti prêtait à la peinture, que celle d’une toute petite lucarne, sinon un judas, avec toute la part de trahison que cela évoque. En 1931, Brecht s’inquiétait de la nature nécessairement sibylline de la photographie elle-même : « moins que jamais, écrivait-il, la simple ‘reproduction de la réalité’ ne dit quoi que ce soit sur cette réalité. Une photographie des usines Krupp ou de l’AEG [Allgemeine Elektricitäts-Gesellschaft] ne nous apprend pratiquement rien sur ses institutions[79]. » La disponibilité immédiate du monde grâce à la photographie est bien un mythe, tout comme sa supposée qualité de « langage universel ». Par ailleurs, si la « reproduction de la réalité » par la photographie opacifie déjà la réalité elle-même, la tâche de dévoilement que se doit d’honorer l’historien des images est alors double, non seulement parce que les textes et les discours qui entourent les images s’imposent à nous comme un second voile, mais aussi parce que ces dernières se réservent toujours un territoire qui échappe à l’emprise du langage.

On confie en effet trop souvent au texte le pouvoir de clarifier l’image, de la recomposer pour en découvrir comme la structure cristalline. Mais celle-ci conserve une part de désordre (le langage rétorquerait : une licence poétique) qui ne se fond jamais vraiment dans l’ordre du discours, ce pour quoi la tentation d’une grammaire de l’image sera toujours vouée à l’échec[80]. D’où l’insuffisance notoire, aussi, d’une approche purement iconographique, qui tendrait à tout désigner, c’est-à-dire tout nommer, au risque, bien sûr, de négliger tout ce sur quoi le langage n’a pas de prise et qui peut pourtant donner à l’image toute son efficace. Sans cesse les images s’emploient à déserter le langage. Elles font écran devant le sens que le langage prétend gouverner en établissant toujours les règles du jeu et elles lui coupent la parole pour ne parfois rien dire. Elles ne disent pas tout, et tout ne peut être dit à partir d’elles.

Reste toujours la tentation de phraser ce qui pourtant se maintient dans le camp de l’ineffable, en tout cas du côté de la barricade où l’hégémonie du langage n’a plus cours – de phraser l’indicible, donc. S’impose alors le besoin, cette fois, d’une histoire sensible, dont on aimerait qu’elle puisse justement, quand nécessaire, se passer des mots – pour ne pouvoir alors se concentrer que sur la « présence visuelle » des images, quand bien même cela ne peut se faire qu’au prix d’une « réflexion silencieuse, purement visuelle sur l’image », comme l’admet Gottfried Boehm[81]. Seule une histoire sensible peut rendre compte de la vibration qui agite la relation entre le texte et l’image, la façon dont l’un se fait la chambre d’écho de l’autre, en perturbe le message en lui donnant des contours incertains, effilochés, baveux, en tout cas partiellement insaisissables. « Les images sont tout sauf évidentes[82] », ajoute encore Boehm – toujours en partie impénétrables via le langage.

Il nous faut alors oublier temporairement les règles du langage et se laisser aller au babil des formes, au marmonnement qui peut émerger d’une photographie et qui s’intensifie, comme le font les rumeurs, lorsqu’on la met au contact d’autres images. Il est moins question d’« assiéger » une image pour en découvrir le sens que de reconnaître, avant tout, que c’est la légende de la photographie des deux manifestants qui nous a « assiégés », pour reprendre le terme de Kracauer. Elle nous a assiégés de ses injonctions à penser et à savoir, nous faisant ainsi courir le risque de ne plus voir que ce que l’on veut bien voir avec elle, autrement dit ce que l’on croit, et de nous rendre aveugle à tout ce que l’on ne sait pas voir. Regardons-mieux : qu’est-ce qui nous dit, à ce propos, que ces deux manifestants sont bien en train de lancer des pierres… ?

Peter Burke, s’interrogeant sur l’usage des images par les historiens, invite au terme d’une réflexion déployée dans Eyewitnessing à dépasser la méthode panofskienne de déchiffrement, pour faire place à l’« indétermination » et affirmer que les « producteurs d’images (image makers) ne peuvent arrêter ou contrôler leur sens, quels que soient les efforts qu’ils y consacrent »[83]. Il consacre ensuite tout un chapitre à cette reformulation méthodologique pour finalement livrer formellement quatre principes que toute histoire culturelle devrait garder en tête :

 

« 1. Les images ne donnent pas directement accès au monde social [passé] mais plutôt aux perceptions (views) qui lui sont contemporaines […].

2. Le témoignage donné par les images doit être contextualisé ou, mieux, situé dans une pluralité de contextes (culturel, politique, matériel, etc.) […].

3. Une série d’images offre un témoignage plus fiable qu’une image seule […].

4. Pour les images, comme pour les textes, l’historien doit s’efforcer de lire entre les lignes, en étant attentif aux détails infimes mais significatifs – de même qu’aux absences significatives […][84]. »

 

Les images de Caron, si nombreuses soient-elles, ne disent pas tout. Les mots n’en surgissent pas d’eux-mêmes. C’est pourquoi la rédaction d’une légende est toujours tâche délicate et difficile, particulièrement dans les rythmes toujours plus urgents de l’information. Parce qu’elle prétend dire l’essentiel et nous engager ainsi dans son jugement, elle préconise un sens, voire le prescrit. Elle intercède entre l’image et son spectateur pour camper le rôle d’un interprète. Et ce faisant, revendiquant sa capacité de clarification sinon d’explication, une légende mal faite peut tout à fait ne produire en fait qu’un épais brouillard, un écran de fumée qui prive de la possibilité du jugement politique.


[1] Georges Didi-Huberman, « Qu’est-ce qu’une image de gauche ? », aoc.media, 18 juillet 2022.

[2] Guillaume Blanc, Clara Bouveresse, Isabella Seniuta, Gilles Caron. Un monde imparfait, Cherbourg, Le Point du Jour, 2020.

[3] « Il n’y a aucune raison pour que ce monde imparfait et ennuyeux qui m’a été donné à la naissance, je sois obligé de l’assumer et de l’améliorer dans la mesure de mes moyens. On subit toujours, mais de diverses façons. Ne rien faire, c’est désolant. Jouer un rôle, c’est prendre son siècle en main, en être imprégné tout entier. » (Lettre du 6 mai 1960, publiée dans Gilles Caron. Scrapbook, Paris, Lienart, 2012, p. 37 ; cf. le recueil Gilles Caron, J’ai voulu voir. Lettres d’Algérie, Paris, Calmann-Lévy, 2012).

[4] Michel Poivert, Gilles Caron. Le conflit intérieur, Arles/Lausanne, Éditions Photosynthèses/Musée de l’Élysée, 2013.

[5] Gilles Caron, entretien avec Jean-Pierre Ezan, Zoom, mars-avril 1970, repris dans Gilles Caron, Scrapbook, op. cit., p. 261.

[6] Au Cellier à Reims, à Cherbourg au Centre d’art Le Point du Jour, à Brest à l’Atelier des Capucins puis à la Galerie municipale de Betton.

[7] Clara Bouveresse, « Le soulèvement. Derry, 1969 », dans Guillaume Blanc, Clara Bouveresse, Isabella Seniuta, Gilles Caron. Un monde imparfait, op. cit., p. 72-85.

[8] Gilles Caron, Pauline Vermare, Insurrections. Irlande du Nord, 1969, Paris, Éditions Photosynthèses, 2019.

[9] Mariana Otero (réal.), Histoire d’un regard, documentaire, production Archipel 33/Denis Freyd, 2020.

[10] Michel Poivert, Gilles Caron. Le Conflit intérieur, op. cit.

[11] Georges Didi-Huberman, « Qu’est-ce qu’une image de gauche ? », art. cit.

[12] L’ensemble du fonds, physique comme numérique, est aujourd’hui conservé à la Médiathèque du patrimoine et de la photographie suite à son dépôt par la Fondation Gilles Caron. Les dossiers relatifs à l’Irlande du Nord comptent environ 3500 fichiers. Il y a cependant de nombreux doublons parmi les photographies noir et blanc ; il est donc difficile de dire combien de photographies cela représente exactement.

[13] Enzo Traverso, Révolution, une histoire culturelle [2021], Paris, La Découverte, 2022, p. 21.

[14] Id., « Soulèvements / Égarements », aoc.media, 4 juillet 2022.

[15] Id., « Ultime réponse d’Enzo Taverso », aoc.media, 24 octobre 2022.

[16] Georges Didi-Huberman, « Qu’est-ce qu’une image de gauche ? », art. cit.

[17] Susan Sontag, Devant la douleur des autres [2002], trad. fr. Fabienne Durand-Bogaert, Paris, Christian Bourgois, 2003, p. 18. Traduction légèrement retouchée.

[18] Je me permets de renvoyer à mon texte au sujet de ce reportage : « Au bout du désert, la guerre. Tchad, 1980 », dans Guillaume Blanc, Clara Bouveresse, Isabella Seniuta, Gilles Caron. Un monde imparfait, op. cit., p. 98-111.

[19] Cf. Isabella Seniuta, « L’événement empêché. Prague, 1969 », dans Guillaume Blanc, Clara Bouveresse, Isabella Seniuta, Gilles Caron. Un monde imparfait, op. cit., p. 86-97.

[20] Numéros 1059 et 1060 des 23 et 30 août 1969.

[21] Nadya Bair, « Never Alone : Photo Editing and Collaboration », dans Jason E. Hill et Vanessa R. Schwartz (dir.), Getting the Picture. Visual Culture of the News, London/New York, Bloomsbury, 2015, p. 228-235.

[22] Id., The Decisive Network. Magnum Photos and the Postwar Image Market, Oakland (CA), University of California Press, 2020.

[23] Roland Barthes, « Le message photographique », in Communications, vol. 1, n°1, 1961, p. 127.

[24] Ibid., p. 134 et sq.

[25] Numéro du 24 juin 1967, p. 14-15.

[26] Numéro 949 du 17 juin 1967, n. p.

[27] Floris de Bonneville et Gilles Caron, La Mort du Biafra !, Paris, Solar, 1968.

[28] Ibid., quatrième de couverture.

[29] Philippe Labro, Les Barricades de Mai, Paris, Solar, 1968.

[30] Anon., « L’Irlande au bord de la guerre civile », Paris-Match, 23 août 1969.

[31] Walter Benjamin, « Petite histoire de la photographie [1931] », trad. fr. Maurice de Gandillac revue par Pierre Rusch, in Id., Œuvres, II, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2000, p. 310.

[32] Selon l’historien John Whyte, « il est fort possible que, relativement à sa taille, l’Irlande du Nord soit la région qui a fait le plus l’objet de recherches sur Terre. » (cité par Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt. A New History of the Start of the Troubles [2012], éd. revue et augmentée, Newbridge, Irish Academic Press, 2019, p. 4.)

 

[33] Isabella Seniuta, « Stratégies du photoreportage d’auteur. Viêt Nam, 1967 », dans dans Guillaume Blanc, Clara Bouveresse, Isabella Seniuta, Gilles Caron. Un monde imparfait, op. cit., p. 21-35.

[34] Légende accolée au dos de la photographie n°3 de la planche-contact 05352 (traduction par Isabella Seniuta, ibid., p. 24, retouchée par l’auteur).

[35] Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire [1940, 1942] », thèse VII, dans Œuvres, t. III, trad. fr. Maurice de Gandillac revue par Pierre Rusch, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », p. 433.

[36] Cf. note 3.

[37] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit.

[38] Par exemple, celui de Russell Stetler, The Battle of Bogside. The Politics of Violence in Northern Ireland, London, Sheed & Ward, 1970.

[39] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 4-5.

[40] Anon., « The Battle of Bogside », The Times, mercredi 13 août 1969, p. 12.

[41] Anon., « L’Irlande du Nord : au bout de l’Europe, le dernier bastion de l’intolérance religieuse », Sud-Ouest, mardi 5 août 1969, p. 12.

[42] Daniel C. Williamson, Anglo-Irish Relations in the Early Troubles, 1969-1972, London/New York, Bloomsbury Academic, 2017, p. 8.

[43] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 137.

[44] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 142.

[45] Ibid., p. 143.

[46] Ibidem.

[47] Cf., Daniel C. Williamson, Anglo-Irish Relations in the Early Troubles, op. cit., p. 7 ou Anon., « The Battle of Bogside », The Times, art. cit., p. 12.

[48] Anon., « The Battle of Bogside », The Times, art. cit., p. 1.

[49] Daniel C. Williamson, Anglo-Irish Relations in the Early Troubles, op. cit., p. 1.

[50] Ibid., p. 2.

[51] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 136.

[52] Ibid., p. 130.

[53] Ibid., p. 134.

[54] Ibidem.

[55] Cf. Chris Reynold, Sous les pavés… The Troubles. Northern Ireland, France and the European Collective Memory of 1968, Frankfurt-am-Main, Peter Lang, coll. « Studies in Franco-Irish Relations », 2014.

[56] Walter Benjamin, « Le surréalisme [1929] », trad. fr. Maurice de Gandillac revue par Pierre Rusch et Rainer Rochlitz, in Œuvres, II, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2000, p. 130.

[57] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 130.

[58] Ibid., p. 137.

[59] Ibid., p. 130. Je traduis.

[60] Ibidem.

[61] Ibid., p. 142.

[62] Ibid., p. 141-142.

[63] Georges Didi-Huberman, « Prendre position (politique) et prendre le temps (de regarder) », aoc.media, 23 mai 2022. Cf. Id., Peuples en larmes, peuples en armes. L’œil de l’histoire, 6, Paris, Éditions de Minuit, 2016.

[64] Jim Campbell et Raman Kapur, The Troubled Mind of Norther Ireland. An Analysis of the Emotional Effects of the Troubles, London/New York, Karnac, 2004, p. XI.

[65] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 142.

[66] Ibid., p. 142-143.

[67] Ibid., p. 150.

[68] Ibid., p. 144.

[69] Ibid., p. 156-157.

[70] Enzo Traverso, Révolution…, op. cit., p. 5-13.

[71] Ibid., p. 6.

[72] Sur cette question et pour le cas spécifique de « Mai 68 », cf. Audrey Leblanc, L’Image de Mai 68, du journalisme à l’histoire, thèse de doctorat d’histoire et civilisations, EHESS, dir. André Gunthert et Michel Poivert, 2015.

[73] Isabella Seniuta, « Stratégies du photoreportage d’auteur », art. cit., p. 24.

[74] Stéphane Mantoux, « Les ‘morts vivants’ à Cam Ne. Le premier ‘Zippo raid’ de la guerre du Viêt Nam », Revue historique des armées, n° 268, 2012, p. 79-87.

[75] David Marlock, « Full Metal Racket », Sunday Times, 28 juin 1998, p. 4-5.

[76] Isabella, « Stratégies du photoreportage d’auteur », art. cit., p. 24.

[77] Enzo Traverso, « Ultime réponse d’Enzo Taverso », art. cit.

[78] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 146.

[79] Bertolt Brecht, « Le procès de quat’sous [1931] », in Sur le cinéma [1922-1933], Paris, L’Arche, p. 171.

[80] Je me permets, sur ce sujet, de renvoyer à mon propre travail : « L’image décomposée. Notes sur la Grammaire élémentaire de l’image d’Albert Plécy (1968) », in Transbordeur. Photographie, histoire, société, n°7 : « Images composites », février 2023, p. 86-97.

[81] Gottfried Boehm, « La question des images [1995] », trad. fr. Maud Hagelstein et Céline Letawe dans Id. (éd.), Bildwissenschaft. Débats contemporains sur l’image, Paris, Éditions Mimémis, coll. « Art, esthétique, philosophie », 2022, p. 152.

[82] Ibidem.

[83] Peter Burke, Eyewitnessing. The Uses of Images as Historical Evidence, London, Reaktion Books, coll. « Picturing History », p. 177. Je traduis.

[84] Ibid., p. 188. Je traduis.

Guillaume Blanc-Marianne

Historien de l'art, Docteur en histoire de l’art de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, secrétaire général de la Société française de photographie

Notes

[1] Georges Didi-Huberman, « Qu’est-ce qu’une image de gauche ? », aoc.media, 18 juillet 2022.

[2] Guillaume Blanc, Clara Bouveresse, Isabella Seniuta, Gilles Caron. Un monde imparfait, Cherbourg, Le Point du Jour, 2020.

[3] « Il n’y a aucune raison pour que ce monde imparfait et ennuyeux qui m’a été donné à la naissance, je sois obligé de l’assumer et de l’améliorer dans la mesure de mes moyens. On subit toujours, mais de diverses façons. Ne rien faire, c’est désolant. Jouer un rôle, c’est prendre son siècle en main, en être imprégné tout entier. » (Lettre du 6 mai 1960, publiée dans Gilles Caron. Scrapbook, Paris, Lienart, 2012, p. 37 ; cf. le recueil Gilles Caron, J’ai voulu voir. Lettres d’Algérie, Paris, Calmann-Lévy, 2012).

[4] Michel Poivert, Gilles Caron. Le conflit intérieur, Arles/Lausanne, Éditions Photosynthèses/Musée de l’Élysée, 2013.

[5] Gilles Caron, entretien avec Jean-Pierre Ezan, Zoom, mars-avril 1970, repris dans Gilles Caron, Scrapbook, op. cit., p. 261.

[6] Au Cellier à Reims, à Cherbourg au Centre d’art Le Point du Jour, à Brest à l’Atelier des Capucins puis à la Galerie municipale de Betton.

[7] Clara Bouveresse, « Le soulèvement. Derry, 1969 », dans Guillaume Blanc, Clara Bouveresse, Isabella Seniuta, Gilles Caron. Un monde imparfait, op. cit., p. 72-85.

[8] Gilles Caron, Pauline Vermare, Insurrections. Irlande du Nord, 1969, Paris, Éditions Photosynthèses, 2019.

[9] Mariana Otero (réal.), Histoire d’un regard, documentaire, production Archipel 33/Denis Freyd, 2020.

[10] Michel Poivert, Gilles Caron. Le Conflit intérieur, op. cit.

[11] Georges Didi-Huberman, « Qu’est-ce qu’une image de gauche ? », art. cit.

[12] L’ensemble du fonds, physique comme numérique, est aujourd’hui conservé à la Médiathèque du patrimoine et de la photographie suite à son dépôt par la Fondation Gilles Caron. Les dossiers relatifs à l’Irlande du Nord comptent environ 3500 fichiers. Il y a cependant de nombreux doublons parmi les photographies noir et blanc ; il est donc difficile de dire combien de photographies cela représente exactement.

[13] Enzo Traverso, Révolution, une histoire culturelle [2021], Paris, La Découverte, 2022, p. 21.

[14] Id., « Soulèvements / Égarements », aoc.media, 4 juillet 2022.

[15] Id., « Ultime réponse d’Enzo Taverso », aoc.media, 24 octobre 2022.

[16] Georges Didi-Huberman, « Qu’est-ce qu’une image de gauche ? », art. cit.

[17] Susan Sontag, Devant la douleur des autres [2002], trad. fr. Fabienne Durand-Bogaert, Paris, Christian Bourgois, 2003, p. 18. Traduction légèrement retouchée.

[18] Je me permets de renvoyer à mon texte au sujet de ce reportage : « Au bout du désert, la guerre. Tchad, 1980 », dans Guillaume Blanc, Clara Bouveresse, Isabella Seniuta, Gilles Caron. Un monde imparfait, op. cit., p. 98-111.

[19] Cf. Isabella Seniuta, « L’événement empêché. Prague, 1969 », dans Guillaume Blanc, Clara Bouveresse, Isabella Seniuta, Gilles Caron. Un monde imparfait, op. cit., p. 86-97.

[20] Numéros 1059 et 1060 des 23 et 30 août 1969.

[21] Nadya Bair, « Never Alone : Photo Editing and Collaboration », dans Jason E. Hill et Vanessa R. Schwartz (dir.), Getting the Picture. Visual Culture of the News, London/New York, Bloomsbury, 2015, p. 228-235.

[22] Id., The Decisive Network. Magnum Photos and the Postwar Image Market, Oakland (CA), University of California Press, 2020.

[23] Roland Barthes, « Le message photographique », in Communications, vol. 1, n°1, 1961, p. 127.

[24] Ibid., p. 134 et sq.

[25] Numéro du 24 juin 1967, p. 14-15.

[26] Numéro 949 du 17 juin 1967, n. p.

[27] Floris de Bonneville et Gilles Caron, La Mort du Biafra !, Paris, Solar, 1968.

[28] Ibid., quatrième de couverture.

[29] Philippe Labro, Les Barricades de Mai, Paris, Solar, 1968.

[30] Anon., « L’Irlande au bord de la guerre civile », Paris-Match, 23 août 1969.

[31] Walter Benjamin, « Petite histoire de la photographie [1931] », trad. fr. Maurice de Gandillac revue par Pierre Rusch, in Id., Œuvres, II, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2000, p. 310.

[32] Selon l’historien John Whyte, « il est fort possible que, relativement à sa taille, l’Irlande du Nord soit la région qui a fait le plus l’objet de recherches sur Terre. » (cité par Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt. A New History of the Start of the Troubles [2012], éd. revue et augmentée, Newbridge, Irish Academic Press, 2019, p. 4.)

 

[33] Isabella Seniuta, « Stratégies du photoreportage d’auteur. Viêt Nam, 1967 », dans dans Guillaume Blanc, Clara Bouveresse, Isabella Seniuta, Gilles Caron. Un monde imparfait, op. cit., p. 21-35.

[34] Légende accolée au dos de la photographie n°3 de la planche-contact 05352 (traduction par Isabella Seniuta, ibid., p. 24, retouchée par l’auteur).

[35] Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire [1940, 1942] », thèse VII, dans Œuvres, t. III, trad. fr. Maurice de Gandillac revue par Pierre Rusch, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », p. 433.

[36] Cf. note 3.

[37] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit.

[38] Par exemple, celui de Russell Stetler, The Battle of Bogside. The Politics of Violence in Northern Ireland, London, Sheed & Ward, 1970.

[39] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 4-5.

[40] Anon., « The Battle of Bogside », The Times, mercredi 13 août 1969, p. 12.

[41] Anon., « L’Irlande du Nord : au bout de l’Europe, le dernier bastion de l’intolérance religieuse », Sud-Ouest, mardi 5 août 1969, p. 12.

[42] Daniel C. Williamson, Anglo-Irish Relations in the Early Troubles, 1969-1972, London/New York, Bloomsbury Academic, 2017, p. 8.

[43] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 137.

[44] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 142.

[45] Ibid., p. 143.

[46] Ibidem.

[47] Cf., Daniel C. Williamson, Anglo-Irish Relations in the Early Troubles, op. cit., p. 7 ou Anon., « The Battle of Bogside », The Times, art. cit., p. 12.

[48] Anon., « The Battle of Bogside », The Times, art. cit., p. 1.

[49] Daniel C. Williamson, Anglo-Irish Relations in the Early Troubles, op. cit., p. 1.

[50] Ibid., p. 2.

[51] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 136.

[52] Ibid., p. 130.

[53] Ibid., p. 134.

[54] Ibidem.

[55] Cf. Chris Reynold, Sous les pavés… The Troubles. Northern Ireland, France and the European Collective Memory of 1968, Frankfurt-am-Main, Peter Lang, coll. « Studies in Franco-Irish Relations », 2014.

[56] Walter Benjamin, « Le surréalisme [1929] », trad. fr. Maurice de Gandillac revue par Pierre Rusch et Rainer Rochlitz, in Œuvres, II, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2000, p. 130.

[57] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 130.

[58] Ibid., p. 137.

[59] Ibid., p. 130. Je traduis.

[60] Ibidem.

[61] Ibid., p. 142.

[62] Ibid., p. 141-142.

[63] Georges Didi-Huberman, « Prendre position (politique) et prendre le temps (de regarder) », aoc.media, 23 mai 2022. Cf. Id., Peuples en larmes, peuples en armes. L’œil de l’histoire, 6, Paris, Éditions de Minuit, 2016.

[64] Jim Campbell et Raman Kapur, The Troubled Mind of Norther Ireland. An Analysis of the Emotional Effects of the Troubles, London/New York, Karnac, 2004, p. XI.

[65] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 142.

[66] Ibid., p. 142-143.

[67] Ibid., p. 150.

[68] Ibid., p. 144.

[69] Ibid., p. 156-157.

[70] Enzo Traverso, Révolution…, op. cit., p. 5-13.

[71] Ibid., p. 6.

[72] Sur cette question et pour le cas spécifique de « Mai 68 », cf. Audrey Leblanc, L’Image de Mai 68, du journalisme à l’histoire, thèse de doctorat d’histoire et civilisations, EHESS, dir. André Gunthert et Michel Poivert, 2015.

[73] Isabella Seniuta, « Stratégies du photoreportage d’auteur », art. cit., p. 24.

[74] Stéphane Mantoux, « Les ‘morts vivants’ à Cam Ne. Le premier ‘Zippo raid’ de la guerre du Viêt Nam », Revue historique des armées, n° 268, 2012, p. 79-87.

[75] David Marlock, « Full Metal Racket », Sunday Times, 28 juin 1998, p. 4-5.

[76] Isabella, « Stratégies du photoreportage d’auteur », art. cit., p. 24.

[77] Enzo Traverso, « Ultime réponse d’Enzo Taverso », art. cit.

[78] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 146.

[79] Bertolt Brecht, « Le procès de quat’sous [1931] », in Sur le cinéma [1922-1933], Paris, L’Arche, p. 171.

[80] Je me permets, sur ce sujet, de renvoyer à mon propre travail : « L’image décomposée. Notes sur la Grammaire élémentaire de l’image d’Albert Plécy (1968) », in Transbordeur. Photographie, histoire, société, n°7 : « Images composites », février 2023, p. 86-97.

[81] Gottfried Boehm, « La question des images [1995] », trad. fr. Maud Hagelstein et Céline Letawe dans Id. (éd.), Bildwissenschaft. Débats contemporains sur l’image, Paris, Éditions Mimémis, coll. « Art, esthétique, philosophie », 2022, p. 152.

[82] Ibidem.

[83] Peter Burke, Eyewitnessing. The Uses of Images as Historical Evidence, London, Reaktion Books, coll. « Picturing History », p. 177. Je traduis.

[84] Ibid., p. 188. Je traduis.