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Au commencement était Silvio Berlusconi

Historienne

Silvio Berlusconi vient de mourir à 86 ans. Début mai, il intervenait depuis sa chambre d’hôpital au Congrès de Forza Italia rappelant « ses » années glorieuses, pour « sauver la démocratie et la liberté » contre le « communisme ». Retraçant l’histoire de son parti, à partir de son entrée en politique en 1994, il affirmait alors que Forza Italia était l’épine dorsale du gouvernement post-fasciste de Giorgia Meloni. Pas de doute, il laissera une trace durable.

Il y a quelques années Antonio Gibelli, spécialiste de la Première Guerre mondiale, s’était aventuré à écrire un court essai intitulé Berlusconi passato alla storia, littéralement Berlusconi entré dans l’histoire.

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À la même époque, d’autres historiens, experts de la période fasciste et de ses suites, parmi les esprits les plus aiguisés du champ historiographique italien, s’intéressaient également à l’homme politique milanais : Gabriele Turi, Nicola Tranfaglia, Paul Ginzborg ou Gianpasquale Santomassimo[1]. Le petit livre de Gibelli visait à dessiner les contours de ce qu’il nommait l’« ère berlusconienne » dans l’espoir de « congédier définitivement le personnage », et exorciser le « Draquila » dépeint dans le documentaire de Sabina Guzzanti en 2010. Le problème qui se posait ne consistait pourtant pas, comme le voyait d’ailleurs bien l’ensemble de ces analystes, à se débarrasser de l’homme Berlusconi, mais de la culture dont il était l’interprète[2]. La même année, Mario Monicelli, le réalisateur inoubliable du film Le Pigeon (I soliti ignoti, 1958), répondait, désabusé, à une interview transmise lors de l’émission en direct de Michele Santoro « Rai Per una notte »[3]. Il y traçait le portrait d’un pays soumis, la peur au ventre qui n’avait jamais connu la « révolution ». Il espérait un « grand coup (bella botta) [contre le système] », parce que, soutenait-il, la rédemption ne surgira que du sacrifice et de la douleur.

Le réalisateur italien semblait n’envisager ni l’éventualité, ni (encore moins) l’opportunité de se débarrasser seulement de Silvio Berlusconi. Il avait bien compris alors qu’il ne s’agissait pas uniquement de déloger un homme du gouvernement, mais bien de se libérer du berlusconisme; « une idéologie éclectique composée de populisme, d’individualisme exacerbé, de révisionnisme historique, de l’utilisation instrumentale et identitaire de la religion »[4]. En bref, de transformer la société italienne au sein de laquelle s’était sédimentée une


[1] Traduction française : Berlusconi et la démocratie autoritaire, Paris, Belin, 2011.

[2] Gabriele Turi, « Quella cultura che sopravvivrà al suo interprete », la Repubblica, 16 octobre 2010.

[3] Rai per una notte, 25 mars 2010.

[4] Gabriele Turi, « Quella cultura che sopravvivrà al suo interprete », la Repubblica, 16 octobre 2010.

[5] Carlo Donolo, « Del buon uso dell’antipolitica : i confini mobili del politico nei regimi democratici », Meridiana, 2001.

[6] Mark Fisher, Ghost of my life. Writing on depression, hauntology and Lost futures, Winchester&Washington, Zero Books, 2014, p. 8.

[7] Franco Berardi (Bifo), Dopo il futuro : dal Futurismo al Cyberpunk. L’esaurimento della Modernità, Rome, DeriveApprodi, 2013.

[8] Guido Crainz, « Italy’s political system since 1989 », Journal of Modern Italian Studies, 2015, N°20, p. 177.

[9] Piero Craveri, « Régimes politiques, État et nation en Italie », Vingtième siècle. Revue d’histoire, N°100, 2008, p. 87.

[10] Ferruccio Pinotti, Luca Tescaroli, Colletti sporchi, Milan, BUR, 2008 ; cité également par Nicola Tranfaglia, Populismo autoritario. Autobiografia di una nazione, Milan, Baldini&Castoldi, 2010, p. 81.

[11] Giuseppe Lo Bianco, Sandra Rizza, « Condannati Stato e mafia : 12 anni a Dell’Utri e Mori », il Fatto Quotidiano, 21 avril 2018.

[12] Nicola Tranfaglia, Anatomia dell’Italia repubblicana 1943-2009, Florence, Passigli Editore, 2010 ; Id., Vent’anni con Berlusconi (1993-2013). L’estinzione della sinistra, Milan, Garzanti, 2009, p. 15.

[13] Adele Sarno, « Stragi, il “papello” e tangentopoli. 1992, l’anno che cambiò l’Italia », la Repubblica, 18 octobre 2011. Marco Berlinguer, « Qualcosa rinascerà ma sarà diverso. Intervista a Rossana Rossanda », 18 novembre 2012 (http://web.rifondazione.it/).

[14] Leonardo Bianchi, La gente. Viaggio nell’Italia del risentimento, Rome, Minimum Fax, 2017.

[15] Rosario Forlenza, Bjorn Thomassen, Italian Modernities : Competing Narratives of Nationhood, Basingstoke, Palgrave MacMillan, 2

Stéfanie Prezioso

Historienne, Professeure à l’Université de Lausanne

Notes

[1] Traduction française : Berlusconi et la démocratie autoritaire, Paris, Belin, 2011.

[2] Gabriele Turi, « Quella cultura che sopravvivrà al suo interprete », la Repubblica, 16 octobre 2010.

[3] Rai per una notte, 25 mars 2010.

[4] Gabriele Turi, « Quella cultura che sopravvivrà al suo interprete », la Repubblica, 16 octobre 2010.

[5] Carlo Donolo, « Del buon uso dell’antipolitica : i confini mobili del politico nei regimi democratici », Meridiana, 2001.

[6] Mark Fisher, Ghost of my life. Writing on depression, hauntology and Lost futures, Winchester&Washington, Zero Books, 2014, p. 8.

[7] Franco Berardi (Bifo), Dopo il futuro : dal Futurismo al Cyberpunk. L’esaurimento della Modernità, Rome, DeriveApprodi, 2013.

[8] Guido Crainz, « Italy’s political system since 1989 », Journal of Modern Italian Studies, 2015, N°20, p. 177.

[9] Piero Craveri, « Régimes politiques, État et nation en Italie », Vingtième siècle. Revue d’histoire, N°100, 2008, p. 87.

[10] Ferruccio Pinotti, Luca Tescaroli, Colletti sporchi, Milan, BUR, 2008 ; cité également par Nicola Tranfaglia, Populismo autoritario. Autobiografia di una nazione, Milan, Baldini&Castoldi, 2010, p. 81.

[11] Giuseppe Lo Bianco, Sandra Rizza, « Condannati Stato e mafia : 12 anni a Dell’Utri e Mori », il Fatto Quotidiano, 21 avril 2018.

[12] Nicola Tranfaglia, Anatomia dell’Italia repubblicana 1943-2009, Florence, Passigli Editore, 2010 ; Id., Vent’anni con Berlusconi (1993-2013). L’estinzione della sinistra, Milan, Garzanti, 2009, p. 15.

[13] Adele Sarno, « Stragi, il “papello” e tangentopoli. 1992, l’anno che cambiò l’Italia », la Repubblica, 18 octobre 2011. Marco Berlinguer, « Qualcosa rinascerà ma sarà diverso. Intervista a Rossana Rossanda », 18 novembre 2012 (http://web.rifondazione.it/).

[14] Leonardo Bianchi, La gente. Viaggio nell’Italia del risentimento, Rome, Minimum Fax, 2017.

[15] Rosario Forlenza, Bjorn Thomassen, Italian Modernities : Competing Narratives of Nationhood, Basingstoke, Palgrave MacMillan, 2