Écologie

À quelles conditions fait-on durer nos biens domestiques ?

Sociologue

La question de la longévité des produits a été mise sur le devant de la scène avec la montée des controverses autour de l’obsolescence programmée et elle se pose à nouveau aujourd’hui, du fait des préoccupations pour les limites planétaires et le pouvoir d’achat. Comment les individus font-ils durer leurs biens domestiques ? Qu’est-ce qui les contraint, ou au contraire les pousse à lutter contre leur obsolescence ?

En mai 2023, la mairie du 14e arrondissement de Paris a lancé une opération de collecte de téléphones mobiles : les résidents ont reçu une enveloppe préaffranchie pour donner gratuitement leurs anciens portables. Ces appareils sont ensuite remis en état par un atelier d’insertion, puis redistribués via Emmaüs[1]. Avec cette opération, ils leur donnent une deuxième vie, afin que les téléphones soient utilisés par d’autres plutôt que remisés dans des tiroirs.

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L’objectif est alors, de la part du gouvernement, d’encourager des pratiques individuelles qui permettent de faire durer les objets. Mais pour les encourager, il faut comprendre les conditions dans lesquelles ces pratiques s’exercent. Comment les individus font-ils durer leurs biens domestiques ? Qu’est-ce qui les contraint, ou au contraire les pousse à faire durer ?

Les réponses qui vont suivre sont le résultat de plusieurs années de recherche et d’une série d’enquêtes de terrain. Celles-ci réunissent des statistiques sur plus de deux-mille signataires d’une pétition contre l’obsolescence programmée, des entretiens menés au domicile d’une soixantaine de consommateurs, l’observation d’échanges autour de la longévité dans des collectifs en ligne (forums) et hors ligne (ateliers de réparation bénévoles), et l’analyse de discours publics, médiatiques, marchands et associatifs formulés sur la question de la longévité.

La longévité, un enjeu qui parle à (quasiment) tout le monde

La préservation et la conservation des objets est liée à un contexte de société de pénurie. Le cycle de renouvellement des produits était plus lent avant l’avènement de la consommation de masse, quand la production était limitée par les moyens techniques ou en période de guerre[2]. On fait aussi davantage durer les objets dans les pays dits « en développement », où les individus font preuve de créativité pour transformer des déchets en nouveaux objets[3]. Si cette question se pose à nouveau en France aujourd’hui, c’est en lien avec l


[1] Ville de Paris, « Collecte solidaire de téléphones portables dans le 14e », 12 mai 2023, Paris.fr. Consulté le 13/06/2023.

[2] Daumas (J.-C.), La révolution matérielle, une histoire de la consommation. France XIXe-XXIe siècle, Flammarion, 2018 ; Trentmann (F.), Empire of Things: How we Became a World of Consumers, From the Fifteenth Century to the Twenty-First, Harper Collins Publishers, 2016 ; Chessel (M.-E.), Histoire de la consommation, La Découverte, 2012.

[3] Ayimpam (S.), « La valorisation du rebut », Techniques & Culture, (65‑66), 2016 ; Florin (B.), « « Rien ne se perd ! » Récupérer les déchets au Caire, à Casablanca et à Istanbul », Techniques & Culture, (65‑66), 2016 ; Hansen (K. T.), Salaula: the world of secondhand clothing and Zambia, University of Chicago Press, 2000 ; Oroza (E.), Marchand-Zanartu (N.), Rikimbili. Une étude sur la désobéissance technologique et quelques formes de réinvention, Publications de l’Université de Saint-Étienne : Cité du design, 2009.

[4] Libaert (T.), « Consommation et controverse : le cas de l’obsolescence programmée », Hermès, La Revue, (73), 2015.

[5] Lire à ce sujet l’excellent ouvrage paru sur la maintenance : Denis (J.), Pontille (D.), Le soin des choses. Politiques de la maintenance, La Découverte, 2022.

[6] Il s’agit de pratiques que les enquêtés ont mises en avant, indépendamment de leur impact sur l’environnement. L’Ademe, l’agence de la transition écologique, souligne que stocker un objet chez soi sans l’utiliser n’est pas souhaitable d’un point de vue environnemental : « on pourrait se réjouir qu’un utilisateur conserve un outil tel qu’une perceuse durant 30 ans. Cependant, s’il ne l’utilise que dix minutes par an, cela perd de son intérêt en accentuant la pression sur les ressources matérielles ». Source : Ademe, Chauvin (C.), Fangeat (E.), Allongement de la durée de vie des produits, Ademe, 2016, p. 8.

[7] Dubuisson-Quellier (S.), La consommation engagée, Deuxième édition., Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P

Julie Madon

Sociologue, Chercheuse associée au Centre de sociologie des organisations (Sciences Po / CNRS)

Rayonnages

Écologie Économie

Notes

[1] Ville de Paris, « Collecte solidaire de téléphones portables dans le 14e », 12 mai 2023, Paris.fr. Consulté le 13/06/2023.

[2] Daumas (J.-C.), La révolution matérielle, une histoire de la consommation. France XIXe-XXIe siècle, Flammarion, 2018 ; Trentmann (F.), Empire of Things: How we Became a World of Consumers, From the Fifteenth Century to the Twenty-First, Harper Collins Publishers, 2016 ; Chessel (M.-E.), Histoire de la consommation, La Découverte, 2012.

[3] Ayimpam (S.), « La valorisation du rebut », Techniques & Culture, (65‑66), 2016 ; Florin (B.), « « Rien ne se perd ! » Récupérer les déchets au Caire, à Casablanca et à Istanbul », Techniques & Culture, (65‑66), 2016 ; Hansen (K. T.), Salaula: the world of secondhand clothing and Zambia, University of Chicago Press, 2000 ; Oroza (E.), Marchand-Zanartu (N.), Rikimbili. Une étude sur la désobéissance technologique et quelques formes de réinvention, Publications de l’Université de Saint-Étienne : Cité du design, 2009.

[4] Libaert (T.), « Consommation et controverse : le cas de l’obsolescence programmée », Hermès, La Revue, (73), 2015.

[5] Lire à ce sujet l’excellent ouvrage paru sur la maintenance : Denis (J.), Pontille (D.), Le soin des choses. Politiques de la maintenance, La Découverte, 2022.

[6] Il s’agit de pratiques que les enquêtés ont mises en avant, indépendamment de leur impact sur l’environnement. L’Ademe, l’agence de la transition écologique, souligne que stocker un objet chez soi sans l’utiliser n’est pas souhaitable d’un point de vue environnemental : « on pourrait se réjouir qu’un utilisateur conserve un outil tel qu’une perceuse durant 30 ans. Cependant, s’il ne l’utilise que dix minutes par an, cela perd de son intérêt en accentuant la pression sur les ressources matérielles ». Source : Ademe, Chauvin (C.), Fangeat (E.), Allongement de la durée de vie des produits, Ademe, 2016, p. 8.

[7] Dubuisson-Quellier (S.), La consommation engagée, Deuxième édition., Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P