Écologie

Les luttes pour le climat et le prétoire

Politiste

Face à l’insuffisance patente des politiques mises en œuvre, le recours au juge est apparu comme une stratégie prometteuse visant à contraindre les États ou des entreprises privées à agir afin de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Le recours au procès implique des avantages tactiques dont les promoteurs de la cause climatique peuvent difficilement se passer. Toutefois, les procédures et les temporalités propres à la justice présentent également des inconvénients pour celles et ceux qui, au nom de « l’urgence climatique », espèrent susciter de larges mobilisations.

Le 14 août 2023, une juge du Montana se prononce en faveur de jeunes Américains qui contestaient une loi interdisant à l’administration de prendre en compte les conséquences des émissions de gaz à effet de serre sur le climat lors de l’attribution de permis à des entreprises d’énergies fossiles.

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De nombreux commentateurs présentent alors cette décision de justice comme un victoire historique de la lutte contre les dérèglements climatiques. Cette soudaine visibilité médiatique ne doit pas occulter le fait que ce procès s’inscrit dans une dynamique bien plus large et ancienne puisque, selon la base de données du Sabin Center for Climate Change Law de l’Université de Columbia, les contentieux climatiques s’élèveraient désormais à 1627 cas aux États-Unis et à 763 cas dans plus de de 55 autres pays.

Du fait de cette jurisprudence de plus en plus dense, ces litiges ont fini par dessiner un domaine d’analyse spécifique pour les juristes se préoccupant de faire progresser le droit de l’environnement. Ainsi, plus particulièrement aux États Unis et en Europe, les séminaires, les colloques et les ouvrages dédiés à ce sujet, se sont multipliés au sein des Universités de droit[1]. Celles et ceux qui, au sein des mondes académiques et professionnels des juristes, animent ces discussions, se retrouvent parfois fortement impliqué·e·s au sein des organisations à l’origine des plaintes, et donnent ainsi à voir l’une des déclinaisons les plus récentes d’un phénomène désormais bien connu de l’étude des rapports entre droit et mouvements sociaux : le cause lawyering[2].

Le climat et la doctrine du droit

Autant dire que la dernière décennie a été marquée, non seulement par l’arrivée d’une nouvelle cohorte de militant·e·s du climat composé.e de juristes, mais encore par l’ouverture d’un front supplémentaire des luttes pour le climat, centré sur l’arène académique et professionnelle de la doctrine du droit. Par doctrine du droit, il faut entendre l’ensemble des textes au sein des


[1] Voir, entre autres, Wolfgang Kahl, Marc Philippe Weller, Climate Change Litigation: A Handbook, Munich, Beck/Hart/Nomos, 2020, 565 p ; Christel Cournil, Leandro Varison, Les procès climatiques. Entre le national et l’international, Paris, Pedone, 2018, 298 p. ; Christian Huglo, Le contentieux climatique : une révolution judiciaire mondiale, Bruxelles, Bruylant, 2018, 396 p.

[2] Voir, par exemple, Liora Israël, « Usages militants du droit dans l’arène judiciaire : le cause lawyering », Droit et Société, Vol. 49/3, 2001, p. 793-824.

[3] Après une première décision, en 2015, du Tribunal de première instance de La Haye, la Cour suprême des Pays-Bas a confirmé, en 2019, l’obligation pour l’État néerlandais d’augmenter ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

[4]  En France, le Réseau Action Climat est créé, en 1996, et devient le représentant national du CAN-International. On trouve parmi ses membres, bon nombre des organisations militantes à l’origine de contentieux climatiques déposés devant des juridictions françaises.

[5] Benoît Faraco, « Les organisations non gouvernementales et le réchauffement climatique », Écologie & politique, vol. 33/2, 2006, pp. 71-85.

[6] Par-là, il faut entendre un processus qui conduit à l’alignement de multiples thématiques sur le problème climatique et à la tendance à vouloir les traiter selon les logiques et les pratiques propres à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques. À ce propos, voir Aykut Stefan, Foyer Jean, Morena Edouard, (ed.), Globalising the Climate. COP21 and the climatisation of global debates, London, Routledge, 2017.

[7] Par judiciarisation des luttes, il faut entendre le processus qui résulte de l’ensemble des moyens déployés afin de faire valoir que les institutions judiciaires — tribunaux, Cours internationales, etc. — seraient en mesure d’apporter des réponses appropriées aux problèmes dénoncés.

[8] En ce qui concerne la récente décision d’une juge du Montana,

Christophe Traïni

Politiste, Professeur de sciences politiques à Sciences Po Aix et chercheur au laboratoire MESOPOLHIS

Notes

[1] Voir, entre autres, Wolfgang Kahl, Marc Philippe Weller, Climate Change Litigation: A Handbook, Munich, Beck/Hart/Nomos, 2020, 565 p ; Christel Cournil, Leandro Varison, Les procès climatiques. Entre le national et l’international, Paris, Pedone, 2018, 298 p. ; Christian Huglo, Le contentieux climatique : une révolution judiciaire mondiale, Bruxelles, Bruylant, 2018, 396 p.

[2] Voir, par exemple, Liora Israël, « Usages militants du droit dans l’arène judiciaire : le cause lawyering », Droit et Société, Vol. 49/3, 2001, p. 793-824.

[3] Après une première décision, en 2015, du Tribunal de première instance de La Haye, la Cour suprême des Pays-Bas a confirmé, en 2019, l’obligation pour l’État néerlandais d’augmenter ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

[4]  En France, le Réseau Action Climat est créé, en 1996, et devient le représentant national du CAN-International. On trouve parmi ses membres, bon nombre des organisations militantes à l’origine de contentieux climatiques déposés devant des juridictions françaises.

[5] Benoît Faraco, « Les organisations non gouvernementales et le réchauffement climatique », Écologie & politique, vol. 33/2, 2006, pp. 71-85.

[6] Par-là, il faut entendre un processus qui conduit à l’alignement de multiples thématiques sur le problème climatique et à la tendance à vouloir les traiter selon les logiques et les pratiques propres à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques. À ce propos, voir Aykut Stefan, Foyer Jean, Morena Edouard, (ed.), Globalising the Climate. COP21 and the climatisation of global debates, London, Routledge, 2017.

[7] Par judiciarisation des luttes, il faut entendre le processus qui résulte de l’ensemble des moyens déployés afin de faire valoir que les institutions judiciaires — tribunaux, Cours internationales, etc. — seraient en mesure d’apporter des réponses appropriées aux problèmes dénoncés.

[8] En ce qui concerne la récente décision d’une juge du Montana,