Comment l’Europe fabrique l’exclusion et la défiance des jeunes en migration
Après plusieurs heures de déambulations fiévreuses dans les rues de Barbès, on parvient enfin à retrouver Zaki pour lui annoncer la bonne nouvelle : ce soir, enfin, il aura un lit et une douche chaude. L’éducatrice de rue se réjouit, cela fait plusieurs jours qu’elle se bat pour lui garantir une place dans le centre.
Mais l’adolescent n’accueille pas la nouvelle comme prévu. Il a un rendez-vous cette nuit, il négocie son heure d’arrivée dans le centre, non, 22 heures c’est trop tôt, il ne pourra pas. « Tu as besoin d’une douche, et il faut qu’un médecin voie ta blessure Zaki ». Il a la bouche pâteuse, les yeux vitreux, il a certainement pris un comprimé de Rivotril et le médicament le ralentit, il plane un peu. Les traces écarlates qui imprègnent le bandage sale à sa cheville laissent deviner l’infection qui arrive. L’air hagard, il réajuste son polo Lacoste élimé, un sourire navré se dessine sur son visage poupin et abîmé de cicatrices. Du haut de ses 14 ans à peine révolus et en équilibre précaire sur la béquille qui soutient sa jambe blessée, il hèle en arabe l’un de ses amis qui lui offre une cigarette. Il porte la Camel à ses lèvres, l’allume d’un geste sûr, savoure la première bouffée de nicotine et lance, avec malice et superbe : « c’est la liberté ».
À quelques kilomètres de Barbès où se retrouvent de jeunes marocains et algériens (et, plus sporadiquement, tunisiens) qui, comme Zaki, tendent à préférer la rue aux centres pour mineurs, des centaines d’autres jeunes étrangers dorment également dehors à Paris – comme dans de nombreuses villes françaises. Ceux-là sont notamment originaires de pays d’Afrique de l’Ouest et centrale, et préféreraient au contraire les centres à la rue mais l’accès à la protection de l’enfance leur est refusé. Leur minorité d’âge et, partant, leur légitimité à être protégés par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) sont mises en doute. Des lignes de démarcation et de fracture apparaissent, des frontières sociales, morales et racialisées se dessinent. D’un côté, des adolescents qui se dérobent à la protection, de l’autre, une protection qui se dérobe à des adolescents. D’un côté, des « maghrébins » et de l’autre, des « subsahariens ». D’un côté, « les arabes » et de l’autre, « les noirs ». D’un côté, des jeunes qui se méfient des adultes et défient les institutions et de l’autre, des jeunes qui les interpellent, les sollicitent, les implorent. Comment interpréter cet éclatement des parcours en Europe des jeunes étrangers ? Comment comprendre que certains jeunes refusent la protection de l’enfance tandis que d’autres désespèrent de s’y voir autoriser l’accès ?
Énigmes sociologiques de la diffraction des parcours juvéniles vers l’Europe
Une fois en Europe, ces jeunes sont pourtant a priori tous traités par les institutions sous la même catégorie administrative : celle des « mineurs non accompagnés » (« MNA »), qui désigne les jeunes âgés de moins de 18 ans présents sans référent familial dans un pays dont ils n’ont pas la nationalité. Qu’ils arrivent par les côtes, les îles ou les enclaves européennes (à l’instar de Ceuta et Melilla), le même traitement institutionnel est réservé à tous les jeunes étrangers arrivés mineurs en Europe. Pourtant, entre les murs des quartiers des mineurs des prisons françaises, parmi la population dite « MNA » incarcérée, ce sont avant tout des jeunes marocains et algériens que l’on retrouve. Les jeunes d’Afrique de l’Ouest et centrale sont, à quelques exceptions près, absents. Pourtant, lorsque l’on examine les chiffres des conseils départementaux français à qui est confiée la compétence en matière de protection de l’enfance, les jeunes catégorisés « MNA » sont, à plus de 60%, originaires de la Guinée, du Mali et de la Côte d’Ivoire.
Sous les feux des projecteurs médiatiques, notamment à partir du quartier parisien de la Goutte d’Or où une poignée de (parfois très) jeunes marocains et algériens trouble la tranquillité du voisinage, le phénomène commence à prendre de l’ampleur à partir de 2017 et déclenche une alerte sociale et politique qui donnera lieu à la production d’études et de rapports, à une mobilisation diplomatique intense entre la France et le Maroc et à la création de commissions, de cellules policières et d’observatoires ad hoc. Comment expliquer la surreprésentation des jeunes marocains et algériens dans les chiffres de la délinquance juvénile alors qu’ils sont minoritaires dans les foyers de l’enfance ? Parmi les réponses amorcées par les cabinets d’études, les professionnels et les experts missionnés par la commande publique, l’explication relèverait de la situation de ces jeunes dans leurs pays d’origine : ils seraient des « enfants des rues », sous emprise de produits stupéfiants dès le pays, en déshérence sociale et, n’ayant plus à rien à perdre, seraient venus jusqu’en Europe poursuivre leur errance. Pour les uns, ces jeunes seraient sous la coupe de réseaux criminels qui organiseraient la traite depuis le Maroc et seraient ainsi une main d’œuvre docile et serviable pour des mafias que l’Europe aurait le devoir d’arrêter pour « sauver » ces mineurs. Pour les autres, la réponse serait ethno-raciale et les « maghrébins » auraient tendance à être conflictuels et rebelles, ce qui expliquerait qu’ils soient plus incontrôlables que les autres jeunes arrivés en Europe.
À partir d’une enquête ethnographique menée au Maroc, en Espagne et en France, je propose ici de résister aux grilles de lectures essentialisantes et psychologisantes pour réinscrire la diffraction des parcours entre jeunes « maghrébins » et jeunes « subsahariens » sur le terrain du social. Il s’agit ainsi d’explorer comment les forces sociales et institutionnelles produisent des parcours d’exclusion et de déviance, en opérant notamment des sous-catégories qui servent de support à des traitements différentiels, et comment l’ethnographie, à différentes étapes clés des parcours juvéniles transnationaux, permet de « lever le voile » sur des parcours de déviance voire de délinquance juvénile prioritairement justifiés par les intervenants sociaux par des origines sociales et ethno-racialisées, mais qui se révèlent avant tout comme le produit d’un travail institutionnel et humanitaire – inscrit notamment dans des généalogies coloniales.
À partir du Maroc, atteindre l’Europe par le « risky » ou le « boza »
Sur les routes migratoires juvéniles vers l’Europe, le Maroc est à la fois le pays d’origine de nombreux jeunes marocains qui souhaitent atteindre l’Europe mais également un espace de passage pour des jeunes étrangers qui doivent passer par le Maroc avant d’espérer atteindre l’Europe. Les jeunes marocains s’auto-désignent souvent comme « harragas[1] ». Le hrig signifie en arabe « brûler » et harraga renvoie à « celui qui brûle » et par extension « celui qui brûle ses papiers », « celui qui brûle les frontières ». Pour ces jeunes « brûleurs de frontières » donc, il s’agit de rejoindre l’Espagne par la traversée de la mer Méditerranée (vers les côtes espagnoles andalouses notamment) ou de l’Océan Atlantique (vers les îles Canaries, qui sont des territoires espagnols) ou encore par les enclaves de Ceuta et Melilla (uniques frontières terrestres entre l’Europe et l’Afrique). Pour les atteindre, les jeunes marocains se livrent à ce qu’ils appellent le « risky », qui désigne les pratiques clandestinisées et souvent dangereuses consistant à se faufiler dans les ports, les camions, les ferries et les containers en partance pour l’Europe ou à tenter de gagner à la nage les rives européennes. Parmi les jeunes étrangers présents au Maroc, la majorité d’entre eux sont originaires de pays d’Afrique de l’Ouest et centrale.
Ils s’auto-désignent souvent comme « aventuriers[2] » : quitter son pays, c’est ainsi « sortir en aventure », affronter, résister et survivre à un parcours criminalisé à travers différents pays, faire la preuve de son courage et de sa bravoure et vaincre les frontières et les politiques migratoires jusqu’à atteindre l’Europe et réinventer une vie digne. Du fait de l’externalisation des frontières européennes, ces jeunes peuvent rester bloqués des semaines, des mois voire des années au Maroc sans parvenir à franchir les frontières terrestres ou maritimes qui séparent l’Europe de l’Afrique. Paradoxalement, les jeunes marocains ne font l’objet au Maroc que d’une attention publique, humanitaire et médiatique marginale et c’est avant tout les jeunes « aventuriers » (catégorisés comme « subsahariens » dans l’industrie migratoire marocaine[3]) qui font l’objet d’une intense mobilisation humanitaire. Les jeunes marocains ne sont que rarement la cible des projets et programmes ciblant les « MNA ».
À partir de 2018, l’Organisation Internationale des Migrations lance néanmoins un programme visant les « ENAS » (« enfants non accompagnés et séparés »), ciblant ainsi les jeunes marocains dans des actions de « prévention » de la migration juvénile. Pour les agents humanitaires, associatifs et onusiens au Maroc, le « public MNA » est néanmoins avant tout composé des jeunes originaires de l’Afrique de l’Ouest et centrale. Mais du fait d’un racisme anti-noirs systémique au Maroc[4], ces jeunes ne peuvent pas pratiquer les frontières de la même façon que les jeunes « harragas ». Le ciblage policier des corps noirs au Maroc, dont résulte des rafles policières, des déplacements forcés vers le Sud et l’impossibilité pour une personne noire d’approcher les espaces frontaliers sans être contrôlée, oblige les jeunes « aventuriers » à des pratiques plus discrètes de la frontière ou au contraire collectives – seul le nombre permettant de braver les dispositifs de plus en plus sophistiqués de contrôle des frontières européennes. Le « boza » désigne alors à la fois la tentative (tenter de « boza ») et la victoire face aux politiques migratoires (avoir « boza »), c’est un cri de guerre, de joie, de célébration lorsque les jeunes parviennent enfin à atteindre le sol européen.
Dès le Maroc, on voit donc déjà apparaître des lignes de démarcation à l’intérieur des flux migratoires juvéniles : des collectifs singularisés (les « harragas » et les « aventuriers ») qui rejouent des frontières ethno-raciales et coloniales (« maghrébins » et « subsahariens », « arabes » et « noirs »), des possibilités hétérogènes de pratiques des frontières liées à des politiques migratoires racialisées (le « risky » et le « boza ») et un traitement différencié selon les « publics » que l’action sociale et humanitaire forge, conduisant à l’invisibilisation des uns et à l’hyper-ciblage des autres.
En Espagne, la fugue et le transit
À partir de l’Espagne, la situation s’inverse et ce sont les jeunes marocains qui sont sous les feux des radars médiatiques et institutionnels. En effet, ils représentent plus de 60% des jeunes étrangers confiés à la protection de l’enfance dans les communautés autonomes espagnoles. Ainsi, le « public MENA » (menores extranjeros no acompañados) se pense prioritairement à l’aune des jeunes marocains, les autres nationalités étant perçues comme « de passage » et « en transit ». Et en effet, deux circuits a priori imperméables se dessinent en Espagne : d’un côté celui de la minorité, dédié aux personnes étrangères mineures et impliquant une prise en charge en foyers jusqu’à la majorité, de l’autre celui de l’asile et du transit, dédié aux personnes étrangères majeures.
Or, les jeunes « aventuriers » tentent d’éviter le circuit de la minorité, car non seulement ils seraient en infériorité numérique dans les centres pour mineurs mais également parce qu’être identifiés comme mineurs les contraindrait à rester en Espagne jusqu’à leur majorité et empêcherait la poursuite de leur mobilité vers l’Europe. Or, les jeunes « aventuriers », souvent francophones, sont prioritairement originaires de pays colonisés par la France et ces liens historiques, culturels et coloniaux font de l’Hexagone la destination privilégiée tandis que l’Espagne ne présente que peu d’intérêt pour eux. Se faisant passer pour majeurs, ils « disparaissent » ainsi des radars de la minorité en Espagne.
Les jeunes « harragas » en revanche, parfois déjà hispanophones et/ou disposant de réseaux familiaux et diasporiques élargis en Espagne du fait de l’intense circulation historique transnationale à la frontière Sud de l’Europe et de la présence coloniale espagnole au Maroc, tendent à envisager l’Espagne comme une destination en soi. Saisis par l’étiquette « MENA » et incités à intégrer les centres pour mineurs, ils éprouvent les conséquences des choix politiques opérés en matière de protection des jeunes étrangers en Espagne. Tout d’abord, celui de « macro-centres » dédiés à l’accueil des jeunes étrangers, qui sont généralement situés dans des quartiers périphériques et marginalisés et dont les capacités d’accueil sont par ailleurs régulièrement dépassées, ce qui conduit à des violences et des formes de maltraitance institutionnelle, régulièrement documentées et dénoncées par les universitaires et les sphères militantes. Par ailleurs, si la réforme du Nuevo Reglamento a amélioré les démarches de régularisation à la majorité, pendant longtemps le passage par un centre pour mineurs espagnol ne garantissait pas une situation administrative stable à la majorité. Enfin, les accords de coopération noués entre l’Espagne et le Maroc permettant sous certaines conditions le renvoi du jeune vers son pays d’origine faisaient craindre des expulsions.
En conséquence, les jeunes marocains, qui sont les cibles privilégiées de ce circuit de la minorité, tendent précocement à considérer la fugue comme un répertoire d’action et de résistance, et la rue comme un horizon désirable où la débrouille, les réseaux diasporiques et la solidarité communautaire agissent comme des remparts plus fiables que les institutions de protection de l’enfance. Une forte mobilité caractérise ainsi les jeunes marocains et algériens, avec des déplacements fréquents entre les villes et les communautés autonomes pour certains afin de rejoindre un membre de la famille éloignée ou des amis rencontrés sur la route ou connus depuis le pays d’origine. C’est souvent dans ces interstices de l’intervention publique que les premières pratiques de consommation de substances psychotropes interviennent, qui ont pu également être un soutien psychique pour la pratique du « risky » lors des traversées de frontières, dont le danger et la précarité résidentielle et sociale qui en découlent incitent à la consommation de produits apaisants ou au contraire boostants (produits médicamenteux à l’instar du Rivotril et du Lyrica, cannabis, alcool…). L’Espagne devient ainsi un point névralgique de la diffraction des parcours juvéniles, avec des trajectoires fortement institutionnalisées pour les jeunes « aventuriers » désireux de poursuivre leur mobilité vers d’autres pays européens et des séquences enchevêtrées de prise en charge, de fugue, de rue pour ceux qui restent – et donc de manière privilégiée les jeunes « harragas ».
En France, des prophéties auto-réalisatrices
Si en Espagne le « public MNA » est ainsi implicitement un public marocain, ils disparaissent à la frontière franco-espagnole. Dans le Pays-Basque, toute l’ingénierie humanitaire et militante déployée à la frontière vise prioritairement les corps noirs. « Les marocains, c’est simple, on les voit pas passer, ils ont d’autres réseaux » indique ainsi un militant associatif à la frontière basque. Et une fois en France, les jeunes marocains sont totalement marginalisés des dispositifs d’aide à l’enfance : « on les voit à peine », « ils partent comme ils sont venus », « on en a quasiment pas » sont les témoignages récurrents des professionnels et professionnelles de l’enfance. Tout se passe comme s’ils avaient « disparu » des radars institutionnels et humanitaires à la frontière franco-espagnole, alors qu’ils représentaient la majorité des jeunes en Espagne. En revanche, ils tiennent le haut de l’affiche lorsqu’il s’agit de la délinquance juvénile. Entre « MNA subsahariens » et « MNA maghrébins » donc, les propriétés sociales, les besoins, les désirs et les qualités projetées par les agents de protection varient fortement.
En France, les « MNA » seraient ainsi le générique et le neutre, renvoyant implicitement car souvent sans l’expliciter du fait de l’apparence d’évidence, aux jeunes originaires de l’Afrique dite « subsaharienne », tandis que les « maghrébins » constitueraient une exception, le spécifique face au général. Les « maghrébins » seraient ainsi le revers de la médaille et tendent à être perçus par les agents de protection comme « conflictuels », « insaisissables », « violents », « fugueurs », « en accroche de rien » – tandis que leur présence sur le territoire est directement associée à des problèmes de sécurité publique, tant dans les discours médiatiques que politiques[5].
À l’inverse, les jeunes « subsahariens » sont perçus comme « volontaires », « dociles » voire « soumis », « calmes », « désireux de s’en sortir », « en accroche avec les mesures éducatives proposées ». Ils sont par ailleurs considérés comme sollicitant, voire sur-sollicitant l’action publique, en prétendant parfois de manière illégitime à une protection à laquelle ils n’auraient pas droit (dans le cas des jeunes dont la minorité d’âge n’est pas reconnue), ils sont considérés comme un « public facile » à l’inverse des jeunes « maghrébins » que les structures essayent d’éviter voire d’évincer. La fugue de ces derniers est perçue avant tout comme un événement prévisible et banal, un soulagement pour les équipes professionnelles comme bénévoles. Réputés difficiles et fugueurs, la prophétie devient auto-réalisatrice et les jeunes « harragas », minorisés et faisant l’objet d’une double relégation sociale et pénale, finissent en effet par fuguer. Les deux catégories sont ainsi construites en miroir, chacune à un spectre de la docilité, réactivant les frontières entre le « bon » et le « mauvais sauvage[6] ».
Une production européenne de la déviance et de la défiance juvéniles
Dans les discours des agents de protection, professionnels comme bénévoles, se dessine ainsi une ligne de démarcation entre deux collectifs de jeunes en mouvement : les uns sont catégorisés, dans les langages profanes comme experts, « maghrébins » (désignant en fait principalement les jeunes marocains et algériens, les jeunes tunisiens étant proportionnellement moins visibles mais également pensés comme moins problématiques) et les autres sont catégorisés « subsahariens », et renvoient implicitement et souvent indistinctement à l’ensemble des jeunes africains noirs. En effet, si cette distinction s’opère à partir des nationalités d’origine des jeunes, elle renvoie avant tout à des marqueurs raciaux et phénotypiques. Cette distinction s’opère ainsi selon des processus de racialisation et d’ethnicisation renvoyant les uns à leur arabité[7] et les autres à une africanité noire – et donc plus amplement à leur non-blanchité et non-européanité.
Conjointement aux effets sur les stratégies migratoires et aux relations entre les jeunes, les processus de racialisation des jeunes ont également un effet sur les catégorisations opérées par les professionnels et volontaires de l’action sociale et humanitaire et provoquent un traitement différentiel entre les jeunes. De ces représentations stéréotypées, justifiées par les intervenants et les intervenantes par la récurrence des comportements constatés qui conduisent à une homogénéisation et réification des « types » de jeunes, découlent fréquemment une distribution inégalitaire des ressources. La mobilité vers l’Europe s’accompagne ainsi pour les jeunes d’une réactualisation intense et quotidienne des hiérarchisations raciales entre personnes blanches et non-blanches, mais également entre les jeunes racisés, dont les attributs physiques et les projections sur l’origine ethnique, raciale et nationale contribuent à façonner le comportement des aidants et des aidantes et la répartition qualitative et quantitative de l’aide.
Finalement, à partir d’une approche transnationale des parcours juvéniles et de la protection de l’enfance, on voit se dessiner les forces centrifuges de la protection de l’enfance et combien l’action institutionnelle et humanitaire produit non seulement ces catégories mais également un traitement différentiel de celles-ci, provoquant et façonnant des parcours d’exclusion, de marginalisation et de déviance. En 2020, un accord de coopération a été signé entre la France et le Maroc pour permettre le renvoi, y compris forcé, de jeunes marocains en conflit avec la loi en France vers le Maroc. Il s’agit donc de « renvoyer au pays » des jeunes dont l’agir déviant et la délinquance sont pourtant la conséquence d’un certain travail institutionnel et, partant, une production proprement européenne.