Société

Cinquante nuances de rapports à l’incertitude : la prévision météo et ses usagers

sociologue et politiste

Quand il s’agit de météorologie, les outils de la sociologie ne sont que très peu utilisés. Pourtant, l’étude des déterminants sociaux des relations entre prévisionnistes et usagers météo-dépendants permet de comprendre nos rapports à l’information de prévision.

La multiplication des événements météos extrêmes due au dérèglement climatique recompose notre relation au temps qu’il fait et qu’il fera demain : elle accroît la vulnérabilité des personnes et des biens du fait de l’augmentation de situations à risque ; l’incertitude de la prévision du temps, en partie incompressible, rend ces situations d’autant plus critiques.

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Les progrès technoscientifiques augmentent continuellement la qualité des prévisions du fait de l’amélioration des modélisations de l’atmosphère, de données d’observation plus riches issues notamment des satellites, et de l’augmentation de la puissance de calcul. Malgré cela, les prévisions météorologiques demeurent structurellement incertaines et des erreurs de prévision subsistent. En cause, la nature chaotique de l’évolution de l’atmosphère, la connaissance imparfaite de son état initial, et l’imperfection des modèles.

Dans ce contexte, la perspective de l’impact based forecasting est devenue dominante au sein des services météorologiques nationaux. Autrement dit, il ne s’agit plus seulement de produire une prévision météorologique (du type « il pleuvra entre telle et telle quantité d’eau demain sur telle partie du globe »), mais d’intégrer les impacts probables de l’événement météo-climatique à la prévision (« telles habitations seront touchées s’il pleut telle quantité à tel endroit demain »). En suggérant que la prévision doit servir avant tout à l’anticipation des interventions et des conséquences qu’impliquent les phénomènes météo à risque, cette approche consistant à croiser aléas météo et enjeux redessine depuis une dizaine d’années les missions des services météo nationaux.

En ce qui concerne Météo-France, cette évolution s’est traduite par plusieurs réformes organisationnelles dans un contexte de restriction budgétaire[1] et de néo-managérialisation de l’État[2]. Ces réformes réorientent sur le papier les missions des prévisionnistes vers de la prévision adressée, c’est-à-dire la déliv


[1] Entre 2008 et aujourd’hui, Météo-France a perdu près d’un tiers de ses effectifs. La subvention pour charges de service public que l’État lui alloue, représentant la moitié de ses recettes, est tendanciellement en baisse depuis une dizaine d’années, passant de 204 millions d’euros en 2012 à 174 millions en 2022.

[2] Cf. Maëlezig Bigi, Eléanor Breton (à paraître en 2024), « Réenchanter l’austérité. L’esprit ingénieur face aux réformes du service public de la météorologie », dans Les frontières du travail : déplacements, brouillages et recompositions, Toulouse, OctareS.

[3] Nous appellerons ici prévisionnistes l’ensemble des agents de Météo-France qui produisent et/ou délivrent des prévisions météorologiques, en dépit des différents métiers que recouvre le terme.

[4] En particulier Phaedra Daipha (2015), Masters of Uncertainty. Weather Forecasting and the Quest for Ground Truth, University of Chicago Press, Chicago ; Gary Alan Fine (2007), Authors of the Storm: Meteorologists and the Culture of Prediction, University of Chicago Press, Chicago.

[5] Hazel Faulkner, Dennis Parker, Colin Green, Keith Beven (2007), “Developing a translational discourse to communicate uncertainty in flood risk between science and the practitioner”, Ambio, 36(7).

[6] David Demeritt (2012), The Perception and Use of Public Weather Services by Emergency and Resilience Professionals in the UK. A Report for the Met Office Public Weather Service Customer Group, en ligne.

[7] Avant 1993, la direction de la météorologie nationale dépendait de la DGAC (direction générale de l’aviation civile).

[8] Météo-France est réglementairement le prestataire exclusif en matière de services météo à la navigation aérienne dans l’espace aérien français.

[9] SIGnificant METeorological Information ; METeorological Aerodrome Report ; Terminal Aerodrome Forecast

[10] En incluant les primes, part substantielle du salaire des contrôleurs aériens, le salaire en début de carrière des contrôleurs aériens est de 5000 eu

Eléanor Breton

sociologue et politiste, Chercheuse post-doctorante au CNAM (laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique)

Notes

[1] Entre 2008 et aujourd’hui, Météo-France a perdu près d’un tiers de ses effectifs. La subvention pour charges de service public que l’État lui alloue, représentant la moitié de ses recettes, est tendanciellement en baisse depuis une dizaine d’années, passant de 204 millions d’euros en 2012 à 174 millions en 2022.

[2] Cf. Maëlezig Bigi, Eléanor Breton (à paraître en 2024), « Réenchanter l’austérité. L’esprit ingénieur face aux réformes du service public de la météorologie », dans Les frontières du travail : déplacements, brouillages et recompositions, Toulouse, OctareS.

[3] Nous appellerons ici prévisionnistes l’ensemble des agents de Météo-France qui produisent et/ou délivrent des prévisions météorologiques, en dépit des différents métiers que recouvre le terme.

[4] En particulier Phaedra Daipha (2015), Masters of Uncertainty. Weather Forecasting and the Quest for Ground Truth, University of Chicago Press, Chicago ; Gary Alan Fine (2007), Authors of the Storm: Meteorologists and the Culture of Prediction, University of Chicago Press, Chicago.

[5] Hazel Faulkner, Dennis Parker, Colin Green, Keith Beven (2007), “Developing a translational discourse to communicate uncertainty in flood risk between science and the practitioner”, Ambio, 36(7).

[6] David Demeritt (2012), The Perception and Use of Public Weather Services by Emergency and Resilience Professionals in the UK. A Report for the Met Office Public Weather Service Customer Group, en ligne.

[7] Avant 1993, la direction de la météorologie nationale dépendait de la DGAC (direction générale de l’aviation civile).

[8] Météo-France est réglementairement le prestataire exclusif en matière de services météo à la navigation aérienne dans l’espace aérien français.

[9] SIGnificant METeorological Information ; METeorological Aerodrome Report ; Terminal Aerodrome Forecast

[10] En incluant les primes, part substantielle du salaire des contrôleurs aériens, le salaire en début de carrière des contrôleurs aériens est de 5000 eu