L’inconnu dangereux et le citoyen apathique – sur la politisation du harcèlement de rue
Depuis une dizaine d’années, les pouvoirs publics français se sont saisis du problème du harcèlement de rue et ont engagé une lutte contre ce phénomène. Faisant suite à plusieurs décennies de recherches scientifiques et de mobilisations militantes, cette action publique, longtemps attendue, infléchit en un sens discutable la politisation des offenses sexistes en public.

Dans cet article, on revient sur certaines dimensions de ce processus de politisation, qui a conduit à la pénalisation de l’outrage sexiste en 2018. D’une part, le cadrage du harcèlement de rue en termes de dangerosité, adossé à un usage discutable de la notion de « continuum de violences », donne une reconnaissance paradoxale au problème, en subordonnant sa considération à l’anticipation de formes plus graves de violences auxquelles il est réputé mener (en particulier le viol). D’autre part, la focalisation de la réponse publique sur la répression et sur l’appel au civisme (au risque de la contradiction), relégue hors champ les conditions de possibilité pratiques de survenue des interventions civiles qu’il s’agit de susciter, au premier rang desquelles, l’existence de relais institutionnels, disponibles, fiables et accessibles.
Le harcèlement de rue ou la politisation des offenses sexistes en public
On a assisté au cours des dernières décennies, en France comme ailleurs en Europe, à la politisation du harcèlement de rue. L’expression désigne (et ce faisant dénonce) l’ensemble des comportements offensants, voire menaçants, imposés aux femmes dans les espaces publics et qui entravent leur libre accès à la ville et aux biens qui lui sont associés. Ceux-ci, sexualisant leur présence, commentant leur apparence, prennent des formes allant de l’apostrophe à l’injure et à l’intimidation (certaines définitions pouvant inclure des atteintes à l’intégrité physique).
Le concept de harcèlement de rue a été forgé par les sciences sociales nord-américaines dans les années 1980[1] pour objectiver un phéno