Culture

La poésie, laboratoire des transformations des champs culturels

Sociologue

La controverse suscitée par le choix de Sylvain Tesson comme « parrain » du Printemps des Poètes est venue illustrer certains débats contemporains sur l’identité poétique et son impact politique et social, soulignant les tensions entre héritage et innovation.

Voilà la poésie sur le devant de la scène : la polémique autour du parrainage du Printemps des Poètes donné à Sylvain Tesson envahit les médias, même et surtout ceux qui ne parlent jamais de poésie.

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Une tribune (non une pétition) signée par dans Libération avait dénoncé ce parrainage, accusant Tesson de flirter dangereusement avec l’extrême-droite tout en reprenant les pires clichés nationalistes sur la poésie ; la droite et surtout l’ultra-droite a sauté sur l’occasion pour attaquer les « oukases » de « l’extrême-gauche ». Des figures de la gauche comme Fabien Roussel ont aussi soutenu Tesson, sur d’autres motifs évidemment ; comme d’autres figures du monde littéraire peu suspectes de sympathiser avec CNews, tel William Marx, titulaire de la chaire de littérature comparée au Collège de France, signataire lui aussi d’une tribune dans Libération.

Au-delà du jugement sur Tesson lui-même, la critique du Printemps des Poètes est récurrente dans la poésie contemporaine. Toute une part des acteurs de la poésie reproche au Printemps son orientation esthétique et sa définition du poète, venant s’ancrer dans les débats littéraires autour de ce qu’est la poésie (dont étrangement personne ou presque ne parle). Dénonçant aussi sa gestion, la mainmise sur l’institution et ses ressources par un petit nombre d’acteurs très liés), y compris sa gestion financière et humaine[1]. On sait que Sophie Nauleau a démissionné.

« L’affaire Tesson » ramène surtout, pour le sociologue, deux sujets sur sa table de travail (ou son écran). Le premier tient au soutien public des arts purs, qui suscite parfois de violentes polémiques au-delà des questions de fond ; « l’affaire Dominique Méens » l’illustrait déjà, quand le directeur du CNL avait requalifié la bourse attribuée au poète pour en diminuer le montant tandis que certains médias s’attaquaient aux « poètes payés par l’État »[2].

La seconde, c’est la montée en puissance d’une troisième forme de légitimité littéraire, en plus de la


[1] Jean-Pierre Siméon, ancien directeur du Printemps des Poètes, a succédé à André Velter à la tête de la collection Poésie Gallimard, tandis que la compagne d’André Velter, Sophie Nauleau, prenait la direction du Printemps. Sur les critiques de la gestion du Printemps, voir Denis Cosnard, « Polémique Tesson : le Printemps des poètes en pleine tourmente », Le Monde, 24 janvier 2024.

[2] Je me permets de renvoyer à mon livre, La vie sociale des poètes, Presses de Sciences-Po, 2023, et à mon article « Back to the (invisible) Académie ? The organization of poetry as a “pure” art form », Organization, 29(6), 2023, 979-996.

[3] Voir Alexandre Gefen, L’Idée de littérature de l’art pour l’art aux écritures d’intervention, Paris, Corti, 2021 et Ronan de Calan, La littérature pure : histoire d’un déclassement, Paris, France, Éditions du Cerf, 2017.

[4] Denis Cosnard, « Rima Abdul Malak inaugure son Rima poésie club », Le Monde, 7 décembre 2023.

[5] Selon la base de données professionnelle Edistat.

[6] Voir Claude Roy, Trésor de la poésie populaire française, Paris, Plon, 1999.

[7] Pierre Bourdieu, Luc Boltanski, Robert Castel & Jean-Claude Chamboredon, Un art moyen. Essais sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Éditions de Minuit, 1965.

[8] Voir outre le classique de Pierre Bourdieu Les règles de l’art, Paris, Seuil, 1992, ainsi qu’entre autres multiples exemples: Richard Caves, Creative Industries: Contracts Between Art & Commerce, Cambridge, Harvard University Press, 2000 ;  ou encore la théorie centre/périphérie de Gino Cattani & Simone Ferriani, « A Core/Periphery Perspective on Individual Creative Performance: Social Networks and Cinematic Achievements in the Hollywood Film Industry », Organization Science, 19(6), 2018, pp. 824-844.

[9] Todd Gitlin, « Inaccessibility as Protest: Pound, Eliot, and the Situation of American Poetry », Theory and Society, 10(1), 1981, pp. 63-80.

[10] Sur l’illisibilité, on lira le bel essai de Pierre Vinclair, Prise de vers, Sai

Sébastien Dubois

Sociologue, Professeur à NEOMA Business School

Notes

[1] Jean-Pierre Siméon, ancien directeur du Printemps des Poètes, a succédé à André Velter à la tête de la collection Poésie Gallimard, tandis que la compagne d’André Velter, Sophie Nauleau, prenait la direction du Printemps. Sur les critiques de la gestion du Printemps, voir Denis Cosnard, « Polémique Tesson : le Printemps des poètes en pleine tourmente », Le Monde, 24 janvier 2024.

[2] Je me permets de renvoyer à mon livre, La vie sociale des poètes, Presses de Sciences-Po, 2023, et à mon article « Back to the (invisible) Académie ? The organization of poetry as a “pure” art form », Organization, 29(6), 2023, 979-996.

[3] Voir Alexandre Gefen, L’Idée de littérature de l’art pour l’art aux écritures d’intervention, Paris, Corti, 2021 et Ronan de Calan, La littérature pure : histoire d’un déclassement, Paris, France, Éditions du Cerf, 2017.

[4] Denis Cosnard, « Rima Abdul Malak inaugure son Rima poésie club », Le Monde, 7 décembre 2023.

[5] Selon la base de données professionnelle Edistat.

[6] Voir Claude Roy, Trésor de la poésie populaire française, Paris, Plon, 1999.

[7] Pierre Bourdieu, Luc Boltanski, Robert Castel & Jean-Claude Chamboredon, Un art moyen. Essais sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Éditions de Minuit, 1965.

[8] Voir outre le classique de Pierre Bourdieu Les règles de l’art, Paris, Seuil, 1992, ainsi qu’entre autres multiples exemples: Richard Caves, Creative Industries: Contracts Between Art & Commerce, Cambridge, Harvard University Press, 2000 ;  ou encore la théorie centre/périphérie de Gino Cattani & Simone Ferriani, « A Core/Periphery Perspective on Individual Creative Performance: Social Networks and Cinematic Achievements in the Hollywood Film Industry », Organization Science, 19(6), 2018, pp. 824-844.

[9] Todd Gitlin, « Inaccessibility as Protest: Pound, Eliot, and the Situation of American Poetry », Theory and Society, 10(1), 1981, pp. 63-80.

[10] Sur l’illisibilité, on lira le bel essai de Pierre Vinclair, Prise de vers, Sai