Culture

La poésie, laboratoire des transformations des champs culturels

Sociologue

La controverse suscitée par le choix de Sylvain Tesson comme « parrain » du Printemps des Poètes est venue illustrer certains débats contemporains sur l’identité poétique et son impact politique et social, soulignant les tensions entre héritage et innovation.

Voilà la poésie sur le devant de la scène : la polémique autour du parrainage du Printemps des Poètes donné à Sylvain Tesson envahit les médias, même et surtout ceux qui ne parlent jamais de poésie.

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Une tribune (non une pétition) signée par dans Libération avait dénoncé ce parrainage, accusant Tesson de flirter dangereusement avec l’extrême-droite tout en reprenant les pires clichés nationalistes sur la poésie ; la droite et surtout l’ultra-droite a sauté sur l’occasion pour attaquer les « oukases » de « l’extrême-gauche ». Des figures de la gauche comme Fabien Roussel ont aussi soutenu Tesson, sur d’autres motifs évidemment ; comme d’autres figures du monde littéraire peu suspectes de sympathiser avec CNews, tel William Marx, titulaire de la chaire de littérature comparée au Collège de France, signataire lui aussi d’une tribune dans Libération.

Au-delà du jugement sur Tesson lui-même, la critique du Printemps des Poètes est récurrente dans la poésie contemporaine. Toute une part des acteurs de la poésie reproche au Printemps son orientation esthétique et sa définition du poète, venant s’ancrer dans les débats littéraires autour de ce qu’est la poésie (dont étrangement personne ou presque ne parle). Dénonçant aussi sa gestion, la mainmise sur l’institution et ses ressources par un petit nombre d’acteurs très liés), y compris sa gestion financière et humaine[1]. On sait que Sophie Nauleau a démissionné.

« L’affaire Tesson » ramène surtout, pour le sociologue, deux sujets sur sa table de travail (ou son écran). Le premier tient au soutien public des arts purs, qui suscite parfois de violentes polémiques au-delà des questions de fond ; « l’affaire Dominique Méens » l’illustrait déjà, quand le directeur du CNL avait requalifié la bourse attribuée au poète pour en diminuer le montant tandis que certains médias s’attaquaient aux « poètes payés par l’État »[2].

La seconde, c’est la montée en puissance d’une troisième forme de légitimité littéraire, en plus de la légitimité du marché et de la légitimité artistiques. La légitimité commerciale est donnée par le « public », puisque le succès commercial signifie la coalescence de jugements de milliers d’acheteurs ; mais aussi par des entreprises culturelles puissantes (Skyrock dans le rap, ou Disney). La légitimité artistique naît ailleurs, dans le jugement des pairs et des experts (artistes, critiques, universitaires, jurys des prix…). Cette troisième forme de légitimité qu’on pourrait appeler « légitimité éthique » veut évaluer les œuvres sur leur contribution au bien commun ; et bien sûr la définition du bien commun varie selon les groupes sociaux et les options politiques ou morales.

Elle signale surtout une relative perte d’autonomie de la littérature qui n’affecterait plus seulement les productions culturelles commerciales (la Marvel musulmane de Disney), mais aussi les plus « pures » (pour emprunter l’adjectif à Pierre Bourdieu qui défendait vigoureusement l’autonomie de la littérature), c’est-à-dire tournées vers la recherche esthétique et l’accumulation de prestige littéraire plutôt que le succès commercial immédiat. En ce sens, « l’affaire Tesson » doit se comprendre dans les débats sur l’autonomie de la littérature et la définition de la valeur littéraire : plusieurs essais récents veulent raconter la « fin » de la littérature pure[3], j’y reviendrai un peu plus loin dans cet article.

Un autre évènement récent soulève les mêmes questions.

Le 6 décembre dernier, la ministre de la Culture Rima Abdul Malak a organisé son premier « Rima poésie club ». Au programme, Nimrod, universitaire et poète franco-tchadien qui représente assez bien, dans sa sociologie et sa littérature, la poésie « pure » (le mot est de Bourdieu), cette poésie « exigeante » animée par la recherche intellectuelle et littéraire, l’héritière d’une longue tradition littéraire ; des poèmes de Rimbaud ; mais aussi de jeunes auteurs au succès commercial inhabituel en poésie, Cécile Coulon, Rim Battal, et enfin le slameur camerounais Capitaine Alexandre. Ce « club » résonne comme l’écho d’un autre « club », le « Jamel Comedy Club » ; pour Rima Abdul Malak, « aujourd’hui, on a un besoin urgent d’entendre d’autres mots que “massacre”, “otage” et “barbarie” »[4]. Les poètes purs n’ont pas tardé à réagir sur les réseaux sociaux, de Jean-Pascal Dubost ironisant que « la poésie doit nier la réalité et conter fleurette plutôt » à Gérard Cartier « hormis Nimrod, c’est pitoyable. Et certaines en rajoutent dans la vulgarité ». Tout en rappelant la tempête financière que traverse la Maison des Écrivains.

Il y aurait là quelque chose de nouveau ; quand François Mitterrand voulait de la poésie, il allait voir René Char et sa poésie « hermétique ». Le « Rima Poésie Club » viendrait coller à de (grands ?) bouleversements pour la poésie et l’art, des bouleversements récents. C’est qu’on a répété que la poésie ne se vendait pas – à court terme, avant la canonisation, cependant que Les Ronces de Cécile Coulon ou encore les Poèmes minute d’Arthur Teboul approchent les vingt mille exemplaires vendus[5], autant que les Paroles de Prévert en 1946, l’une des meilleures ventes de la poésie du XXe siècle (à sa parution).

Les Instapoets, nés dans les réseaux sociaux, comptent sur les réseaux sociaux des millions d’abonnés, et vendent des millions de livres. On n’a pas l’habitude de pareils chiffres, en poésie ; elle qui fut à peu près toujours un art « pur » depuis l’âge des troubadours, un art pour les élites sociales et les élites culturelles, où Ronsard parle pour le roi et les romantiques théorisent « l’aristocratie du talent » (le mot est de Gautier). Pour résumer, à la hache, un art gouverné par la recherche formelle, la réflexivité, l’inscription dans l’histoire littéraire, artistique, intellectuelle. Il y eut bien sûr une poésie populaire (ouvrière par exemple), mais méconnue, mal éditée, à peu près oubliée, et d’ailleurs diffusée le plus souvent par les canaux traditionnels de la poésie[6].

La poésie donnerait donc à voir les transformations qui métamorphosent les champs culturels, et plus précisément leur reconfiguration autour d’une organisation multipolaire (plutôt que bipolaire, entre pôle pur et pôle commercial) sous la double influence d’un discours démocratique et d’un discours inclusif. Ce mouvement ne s’arrête pas à la poésie ; la musique classique voit ainsi se multiplier les « classical crossovers » ou les albums étiquetés « inspiration classique » sur les services de streaming ; le cinéma indépendant n’est plus vraiment indépendant, où un Quentin Tarantino combine références cinéphiliques, complexité narrative, avec les ingrédients éprouvés du cinéma « mainstream », suspens, violence, sexe, humour, pour un succès commercial tel qu’il a convaincu les directeurs financiers des majors.

Autrement dit, le recours au prestige des arts purs (la poésie, la musique classique, le cinéma d’auteur) pour légitimer et diffuser des œuvres qui ne seraient plus « pures ». Ce qui remettrait sur l’établi de la recherche sociologique la division des champs culturels entre art pur et art commercial, très largement partagée dans la littérature sociologique (donc), mais aussi économique ou managériale sur les arts[7].

Cette distinction se fonde sur la double évaluation, artistique et marchande, qui singularise les arts, jugés selon leur contribution à l’histoire de l’art d’un côté, et dans un marché capitaliste aux profits rapportés : nous assisterions à de nouvelles combinaisons de ces deux échelles de valorisation. À quoi s’en ajouterait une troisième : la valeur que l’on pourrait dire « éthique », entendue comme la contribution des œuvres à ce qui est socialement désirable, avant tout l’égalité entre groupes sociaux.

Or la démocratisation et le marché ont en commun leur critique des œuvres « élitaires » réservées à un public cultivé, autrement dit aux élites culturelles : pour le sociologue américain Todd Gitlin[8], la poésie moderniste de Pound ou Eliot érigeait « l’inaccessibilité » comme une forme de protestation contre la marginalisation de la poésie venue nourrir l’innovation littéraire. Les poètes contemporains (français) réfléchissent tout autant à « l’illisibilité » inscrite dans le projet poétique moderne[9]. La poésie pure repose sur un ensemble cohérent de productions artistiques et intellectuelles, de trajectoires sociales (le second métier avant tout dans les professions culturelles et l’enseignement, surtout supérieur), d’instances de consécration spécifiques (jugements des pairs, prix, collections, critique y compris universitaire) avant la canonisation assurée par les acteurs culturels eux-mêmes (Bonnefoy et Jaccottet en Pléiade) et bien sûr le système scolaire[10].

Exploiter le prestige des arts purs

C’est qu’on a beaucoup écrit sur la victoire du roman sur les autres genres, et donc la déchéance de la poésie (et du théâtre), pour autant la poésie n’a pas perdu son prestige. Par exemple : un tiers des Nobel sont poètes, soit incomparablement plus que ce que la poésie représente sur le marché du livre (de 0,4 à 0,6 %, théâtre et poésie confondus en France). Artistes et producteurs culturels ont compris l’intérêt qu’il y avait à exploiter ce prestige ; deux stratégies se dessinent.

La première veut essayer de jouer sur les deux tableaux. L’écrivaine Zadie Smith, avec l’appui de son agent et de son éditeur, a conçu des romans dont l’écriture reste assez proche du langage usuel pour attirer un large public ; elle traite de thèmes récurrents dans la littérature commerciale (l’amour) ou, comme on dit, « contemporains » (la vie multiculturelle d’une capitale comme Londres). Tout en ouvrant la porte à une double lecture, à travers la discussion de nombreuses références littéraires et intellectuelles.

Elle a ainsi beaucoup vendu, et gagné le soutien d’écrivains canonisés (Rushdie par exemple) ainsi que son intégration très rapide dans les programmes scolaires britanniques[11]. On a en France Amélie Nothomb, lauréate de prix prestigieux et invitée dans les talk-shows populaires ; sa stratégie littéraire est la cousine de l’entreprise Zadie Smith. Des écrivains ont bien sûr conjugué le prestige artistique au succès commercial dans le passé, Lamartine, Hugo, Camus ; mais il n’y avait rien de systématique, d’orchestré dans une économie éditoriale.

Pour l’écrivain et critique étatsunien Chad Harbach, l’édition new-yorkaise marchandise dorénavant la gloire littéraire autour de figures de grands romanciers à la fois savants et médiatiques (Roth, DeLillo, Franzen…), tandis que la littérature pure se réfugie dans les universités[12]. Si pour Bourdieu, l’opposition est « totale » entre « les best-sellers et les classiques », il s’inquiète à la fin des Règles de l’art que la frontière n’a jamais été aussi « brouillée » entre « l’œuvre de recherche et le best-seller », et il y lit la « pire menace » sur l’autonomie du champ littéraire.

Mais c’était dans le roman, que les romantiques accusaient déjà d’être un « bâtard ». On le verrait maintenant en poésie, dans le genre le plus pur de la littérature ; de jeunes auteurs, souvent des femmes, qui (donc) jouissent d’un succès commercial bien supérieur à ce que connaissaient un Yves Bonnefoy ou un Jacques Roubaud au début de leur carrière, Bonnefoy ou Roubaud qui ont lentement accumulé du prestige converti en ventes une fois la consécration venue : les Planches courbes de Bonnefoy inscrites au programme du baccalauréat littéraire ont dépassé les 180 000 exemplaires.

Cette nouvelle poésie se publie chez des éditeurs nouveaux comme la collection Iconopop de l’Iconoclaste, dirigée par Cécile Coulon et Alexandre Bord sous des couvertures pop, flashy, roses, rouges, jaunes, loin de la sobriété classique, « distinctive », des collections Gallimard, Poésie Gallimard comprise. Alexandre Bord : « si je dis poésie, tout le monde part en courant […] je lis de la poésie pour mon plaisir depuis l’année de mes seize ans, et je ne crois pas être un marginal ou un hurluberlu. Comme les romans, la bande dessinée, la musique, le cinéma, les jeux vidéo, ça fait partie de mon quotidien »[13].

Mais elle se publie aussi chez des éditeurs traditionnels de poésie pure, comme le Castor astral ; ou Points Poésie qui a au catalogue de grandes figures de la poésie pure (Eliot, Hocquard, Jaccottet, Rilke, Shelley, Celan) et publie dorénavant beaucoup la poésie « noire » contemporaine (Dalembert, Mabanckou, Depestre…) tout comme des chanteurs et des slameurs-performeurs (Leonard Cohen, Léo Ferré, Yves Simon, Souleymane Diamanka…). Pierre Seghers éditait aussi les chanteurs après-guerre, mais dans une collection séparée.

Cette poésie revendique l’engagement, la volonté de raconter – c’est une poésie narrative – le monde contemporain et la transformation des identités mélangées ; plutôt que la recherche formelle d’un Roubaud et « philosophique » d’un Deguy ou d’un Bonnefoy. Cette nouvelle poésie a connu une certaine consécration ; émissions sur France Culture, prix Apollinaire pour Coulon, prix de poésie SGDL pour Battal.

On a beaucoup parlé de leur relation « nouvelle » à l’oralité ; oubliant peut-être trop vite les œuvres et les théories de la poésie sonore dès les années 50, sans même parler du début du XXe siècle avec Haussman, Birot et aussi Apollinaire. C’est que cette poésie regarde plutôt du côté de la « poésie urbaine » que des avant-gardes des années 50 et 60 ; son succès répond (aussi) à la légitimité croissante du slam, du « spoken work » ou du rap (IAM sur Arte) dans un vaste processus de démocratisation culturelle, ou de démocratie culturelle, qui atteindrait dorénavant tous les genres.

Les Instapoets apparus sur les réseaux sociaux dans les années 2010 eux aussi entendent discuter les questions sociales, avant tout les dominations raciales et genrées ; c’est une production ouvertement commerciale : la plus célèbre Instapoet, Rupi Kaur, dit faire de la poésie un « business », un mot qu’on imagine mal dans la bouche de Hugo, Mallarmé ou Bonnefoy. Mais eux touchent des millions de lecteurs et d’abonnés sur les réseaux sociaux, avec une poésie plus éloignée de la poésie pure que les jeunes auteurs français cités plus haut ; ils ont renversé la structure sociale du lectorat de poésie aux États-Unis et au Royaume-Uni, plus jeune, moins diplômé.

Ainsi, même si leur poésie ressemble d’une certaine façon à un genre bien ancré dans la poésie pure nord-américaine, la « poésie confessionnelle » et féministe de Sylvia Plath ou Anne Sexton, les Instapoets ne se réfèrent presque jamais à l’histoire de la poésie. Les Instapoets, souvent des femmes pour les plus connus, entendent revendiquer leur identité sexuelle, « raciale », sociale contre la poésie « traditionnelle » des « mâles blancs hétérosexuels » comme le dit l’une d’entre elles, Amanda Lovelace.

Leur succès est loin de tout devoir aux réseaux sociaux, mais tient pour beaucoup à des éditeurs de littérature commerciale (romance, développement personnel etc.). Ils écrivent une poésie directe, transparente, sans recherche formelle ni réflexivité ; ils racontent leurs expériences amoureuses et sociales sans d’ailleurs jamais s’en prendre aux institutions sociales ni aux œuvres qui les ont précédés : « to be soft / is to be powerful » dit Rupi Kaur qui admet très volontiers écrire sans ambition littéraire (« ce n’est pas pour vous », dit-elle à un critique) mais pour « la jeune Noire de dix-sept ans de Brampton qui essaye d’arriver au bout de sa journée ».

On aurait ainsi une révolution en poésie, avec la construction d’un « middlebrow » et d’un « lowbrow », là où la poésie était restée dans les mains des élites culturelles, ou des élites politiques au temps où les élites culturelles vivaient dans les élites politiques. Ces pôles s’articulent sur des groupes sociaux ; on aurait les élites culturelles (et universitaires par exemple) pour la poésie pure ; des lecteurs jeunes, diplômés mais pas des « professionnels » de la culture pour Cécile Coulon ; et la jeunesse issue des classes moyennes-inférieures pour les Instapoets. Ce qui éclairerait les choix de Rima Abdul Malak avec lesquels je commençais cet article : le « Rima poésie club » voudrait couvrir l’ensemble du spectre social, et éloigner l’autre spectre de l’élitisme.

Les élites culturelles restent les arbitres du « bon » goût

Pour autant, les recherches sociologiques récentes démontrent que les élites culturelles ont conservé l’autorité de dire ce qu’est la « bonne » littérature. Parce qu’elles ont les compétences, le capital culturel, pour légitimer des formes artistiques ; une entreprise qui exige de formuler un discours de valorisation et de le diffuser dans le tissu social, et on sait que la légitimation des arts populaires est d’abord passée dans les mains des élites culturelles, du jazz au cinéma.

Une étude passionnante de deux sociologues nord-américains, Shyon Baumann et Josée Johnston, raconte comment la nouvelle haute cuisine, contre le vieux modèle aristocratique de la cuisine française (cherté des ingrédients, cérémonial du repas, complexité formelle), a retravaillé des éléments de la culture populaire occidentale autant que des traditions culinaires non-occidentales, signe d’ouverture sociale[14].

Mais c’est l’œuvre des critiques comme de chefs prestigieux, qui font partie de l’élite culturelle ; et cette modernisation « démocratique » et « inclusive » n’a pas remis en cause la distinction attachée à la haute cuisine, elle la reformule. Et c’est vrai aussi de la poésie pure, désormais évaluée pour sa contribution à ce qui est socialement désirable ; la liste des lauréats récents des grands prix aux États-Unis le dit très directement, on a couronné des poètes (Claudia Rankine, Layli Long Soldier, Natalie Diaz…) célébrées autant pour leurs qualités littéraires que leur contribution au « bien commun ».

La logique et l’histoire des arts purs ne sont pas insolubles dans la question sociale. Ce qui distingue la poésie pure, c’est la conviction que la création littéraire et théorique passe par la forme, la recherche des formes, et la discussion de l’héritage. L’image d’une poésie française pure enfermée dans le seul souci littéraire, dans la perfection formelle des « émaux et camées » de Gautier, ne résiste pas à la lecture des textes : les poètes purs contemporains n’ont pas abandonné la critique politique et sociale, des livres de Michel Deguy sur la nécessaire révolution anthropologique devant la catastrophe écologique aux récents ouvrages (essai et poésie) de Jean-Claude Pinson ou Pierre Vinclair[15], ou encore la déconstruction des questions de genre entreprise depuis longtemps par Liliane Giraudon.

On n’oubliera pas la négritude de Césaire ni la pensée, en prose et en vers, d’un Édouard Glissant, qui conjuguent recherche littéraire et critique sociale. De sorte que les critiques actuelles de la littérature pure[16] manquent un peu leur cible. Pour autant, on verrait là un changement profond de la littérature, du « classicisme moderne » gidien aux avant-gardes des années 20 et 30 puis 60 et 70 ; la question sociale n’est plus la révolution, mais la diversité, l’inclusivité, l’urgence écologique. Elle est d’ailleurs bien plus critique chez Deguy ou Glissant que chez les Instapoets. L’avant-garde poétique sera peut-être « écologique ».[17]

NDLR : Sébastien Dubois vient de publier La vie sociale des poètes aux Presses de Sciences-Po.


[1] Jean-Pierre Siméon, ancien directeur du Printemps des Poètes, a succédé à André Velter à la tête de la collection Poésie Gallimard, tandis que la compagne d’André Velter, Sophie Nauleau, prenait la direction du Printemps. Sur les critiques de la gestion du Printemps, voir Denis Cosnard, « Polémique Tesson : le Printemps des poètes en pleine tourmente », Le Monde, 24 janvier 2024.

[2] Je me permets de renvoyer à mon livre, La vie sociale des poètes, Presses de Sciences-Po, 2023, et à mon article « Back to the (invisible) Académie ? The organization of poetry as a “pure” art form », Organization, 29(6), 2023, 979-996.

[3] Voir Alexandre Gefen, L’Idée de littérature de l’art pour l’art aux écritures d’intervention, Paris, Corti, 2021 et Ronan de Calan, La littérature pure : histoire d’un déclassement, Paris, France, Éditions du Cerf, 2017.

[4] Denis Cosnard, « Rima Abdul Malak inaugure son Rima poésie club », Le Monde, 7 décembre 2023.

[5] Selon la base de données professionnelle Edistat.

[6] Voir Claude Roy, Trésor de la poésie populaire française, Paris, Plon, 1999.

[7] Pierre Bourdieu, Luc Boltanski, Robert Castel & Jean-Claude Chamboredon, Un art moyen. Essais sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Éditions de Minuit, 1965.

[8] Voir outre le classique de Pierre Bourdieu Les règles de l’art, Paris, Seuil, 1992, ainsi qu’entre autres multiples exemples: Richard Caves, Creative Industries: Contracts Between Art & Commerce, Cambridge, Harvard University Press, 2000 ;  ou encore la théorie centre/périphérie de Gino Cattani & Simone Ferriani, « A Core/Periphery Perspective on Individual Creative Performance: Social Networks and Cinematic Achievements in the Hollywood Film Industry », Organization Science, 19(6), 2018, pp. 824-844.

[9] Todd Gitlin, « Inaccessibility as Protest: Pound, Eliot, and the Situation of American Poetry », Theory and Society, 10(1), 1981, pp. 63-80.

[10] Sur l’illisibilité, on lira le bel essai de Pierre Vinclair, Prise de vers, Sainte-Colombe-sur-Gand, La Rumeur libre, 2019.

[11] Sébastien Dubois, La vie sociale des poètes, Paris, Presses de Sciences-Po, 2023.

[12] Marie-Pierre Pouly, « Playing both sides of the field: The anatomy of a “quality” bestseller », Poetics, 59, 2016, pp. 20-34.

[13] Chad Harbach, MFA vs NYC: The Two Cultures of American Fiction, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2014.

[14] Cécile Coulon et Alexandre Bord, « L’Iconopop pour plus de poésie, “nous sommes l’allumette” », Actuallité, 22 décembre 2020.

[15] Josée Johnston & Shyon Baumann « Democracy versus distinction: A study of omnivorousness in gourmet food writing », American Journal of Sociology, 113(1), 2007, pp. 165-204.

[16] Jean-Claude Pinson, Pastorale, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2020 ; Pierre Vinclair, Agir non agir, Paris, Corti, 2020 et Pierre Vinclair, La Sauvagerie, Paris, Corti, 2020.

[17] Voir Alexandre Gefen, L’Idée de littérature de l’art pour l’art aux écritures d’intervention, Paris, Corti, 2021 et Ronan de Calan, La littérature pure : histoire d’un déclassement, Paris, Éditions du Cerf, 2017.

[18] Olivier Penot-Lacassagne, « Écocritique : ligne de front », Elfe XX-XXI. Études de la littérature française des XXe et XXIe siècles, 11, 2022, pp. 1-27.

Sébastien Dubois

Sociologue, Professeur à NEOMA Business School

Notes

[1] Jean-Pierre Siméon, ancien directeur du Printemps des Poètes, a succédé à André Velter à la tête de la collection Poésie Gallimard, tandis que la compagne d’André Velter, Sophie Nauleau, prenait la direction du Printemps. Sur les critiques de la gestion du Printemps, voir Denis Cosnard, « Polémique Tesson : le Printemps des poètes en pleine tourmente », Le Monde, 24 janvier 2024.

[2] Je me permets de renvoyer à mon livre, La vie sociale des poètes, Presses de Sciences-Po, 2023, et à mon article « Back to the (invisible) Académie ? The organization of poetry as a “pure” art form », Organization, 29(6), 2023, 979-996.

[3] Voir Alexandre Gefen, L’Idée de littérature de l’art pour l’art aux écritures d’intervention, Paris, Corti, 2021 et Ronan de Calan, La littérature pure : histoire d’un déclassement, Paris, France, Éditions du Cerf, 2017.

[4] Denis Cosnard, « Rima Abdul Malak inaugure son Rima poésie club », Le Monde, 7 décembre 2023.

[5] Selon la base de données professionnelle Edistat.

[6] Voir Claude Roy, Trésor de la poésie populaire française, Paris, Plon, 1999.

[7] Pierre Bourdieu, Luc Boltanski, Robert Castel & Jean-Claude Chamboredon, Un art moyen. Essais sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Éditions de Minuit, 1965.

[8] Voir outre le classique de Pierre Bourdieu Les règles de l’art, Paris, Seuil, 1992, ainsi qu’entre autres multiples exemples: Richard Caves, Creative Industries: Contracts Between Art & Commerce, Cambridge, Harvard University Press, 2000 ;  ou encore la théorie centre/périphérie de Gino Cattani & Simone Ferriani, « A Core/Periphery Perspective on Individual Creative Performance: Social Networks and Cinematic Achievements in the Hollywood Film Industry », Organization Science, 19(6), 2018, pp. 824-844.

[9] Todd Gitlin, « Inaccessibility as Protest: Pound, Eliot, and the Situation of American Poetry », Theory and Society, 10(1), 1981, pp. 63-80.

[10] Sur l’illisibilité, on lira le bel essai de Pierre Vinclair, Prise de vers, Sainte-Colombe-sur-Gand, La Rumeur libre, 2019.

[11] Sébastien Dubois, La vie sociale des poètes, Paris, Presses de Sciences-Po, 2023.

[12] Marie-Pierre Pouly, « Playing both sides of the field: The anatomy of a “quality” bestseller », Poetics, 59, 2016, pp. 20-34.

[13] Chad Harbach, MFA vs NYC: The Two Cultures of American Fiction, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2014.

[14] Cécile Coulon et Alexandre Bord, « L’Iconopop pour plus de poésie, “nous sommes l’allumette” », Actuallité, 22 décembre 2020.

[15] Josée Johnston & Shyon Baumann « Democracy versus distinction: A study of omnivorousness in gourmet food writing », American Journal of Sociology, 113(1), 2007, pp. 165-204.

[16] Jean-Claude Pinson, Pastorale, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2020 ; Pierre Vinclair, Agir non agir, Paris, Corti, 2020 et Pierre Vinclair, La Sauvagerie, Paris, Corti, 2020.

[17] Voir Alexandre Gefen, L’Idée de littérature de l’art pour l’art aux écritures d’intervention, Paris, Corti, 2021 et Ronan de Calan, La littérature pure : histoire d’un déclassement, Paris, Éditions du Cerf, 2017.

[18] Olivier Penot-Lacassagne, « Écocritique : ligne de front », Elfe XX-XXI. Études de la littérature française des XXe et XXIe siècles, 11, 2022, pp. 1-27.