Société

Répondre en juriste aux mouvements anti-IVG

Juriste, Juriste

Alors que les débats français sur la constitutionnalisation de l’accès à l’IVG entrent dans leur dernière ligne droite avec notamment pour objectif de contrer les mouvements anti-choix toujours bien présents en France, que penser de l’usage des arguments juridiques mobilisés par ces derniers ?

L’arrêt Dobbs v. Jackson rendu par la Cour suprême des États-Unis en juin 2022 a provoqué une déflagration médiatique et politique de portée mondiale. Rares ont été les décisions juridictionnelles qui, ces dernières années, ont autant fait parler d’elles.

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Si les effets de cette décision sont terribles en ce qui concerne l’accès à l’avortement des femmes états-uniennes, l’arrêt Dobbs aura eu au moins pour mérite de rappeler la centralité du droit dans l’accès des femmes à l’avortement et, dans une certaine mesure, la fragilité (ou la précarité) de cette liberté : ce que le droit permet aujourd’hui, il peut demain l’interdire.

C’est précisément cette crainte qui a suscité, en France, de vifs débats sur la nécessité de constitutionnaliser l’accès à l’avortement : afin que, précisément, les permissions aujourd’hui accordées par la loi en matière d’interruption volontaire de grossesse (IVG), ne puissent pas être aisément anéanties à l’avenir.

La question de l’accès à l’avortement était alors remise sur le devant de la scène politique alors même qu’un certain statu quo (plutôt libéral) existait en la matière en France : depuis les intenses débats relatifs à la loi de 2001 (assouplissant le régime juridique de l’IVG mis en place en 1975), les discussions entourant les évolutions législatives dans ce domaine étaient relativement apaisées. Certes, en 2014, au moment de la suppression de la condition de « détresse » présente dans les textes depuis 1975[1], ou en 2022, au moment de l’allongement du délai d’IVG de douze à quatorze semaines de grossesse, il y a pu, bien sûr, y avoir des oppositions et quelques controverses dans l’arène parlementaire. Mais ces modifications n’ont suscité aucun tollé généralisé ni aucun intérêt médiatique particulier.

C’est que, contrairement aux États-Unis, en France, l’IVG occupe une place spécifique dans le débat juridique français : à l’exception (notable) des récentes modifications relatives à la réduction embryonnaire[2], l’intervention du législateur en France n’a jamais conduit à un recul du droit à l’IVG, à tel point que cette pratique semble, en apparence du moins, faire l’objet d’un certain consensus politique. On l’observe d’ailleurs dans les récents débats entourant la constitutionnalisation de l’accès à l’avortement : rares sont, dans les débats institutionnels, les positions explicitement anti-choix. Les arguments sont d’un autre registre : ils visent à minorer l’importance de la constitutionnalisation envisagée.

La mobilisation d’un tel registre argumentatif peut alors donner l’impression que la question est avant tout juridique et non intrinsèquement politique (à la différence des États-Unis, où le caractère politique de la décision rendue par la Cour suprême a été très clairement identifié).

Cependant, le traitement prima facie plus apolitique de la question en France (par rapport aux États-Unis) ne doit pas conduire à penser qu’elle y est réellement moins politique qu’ailleurs : l’IVG est une question profondément, intrinsèquement politique. Si, dans l’arène institutionnelle (parlementaire ou universitaire), ces aspects politiques tendent à être invisibilisés, la mobilisation associative, elle, les révèle pleinement, tant du côté des mouvements féministes que des courants anti-choix.

Cependant, politique et juridique ne s’opposent pas de manière manichéenne dans les arguments mobilisés par les pro- ou les anti-choix. Les mouvements militants mobilisent des deux côtés nombre d’arguments juridiques (ou du moins en lien avec le droit) pour contester à la fois le droit existant, et les évolutions envisagées par les pouvoirs publics.

Dès lors que ces arguments sont (au moins en partie) juridiques, rien ne semble donc s’opposer à ce qu’on y réponde juridiquement… à ceci près qu’il n’est pas certain que le concept d’« argument juridique » soit toujours compris de la même façon par tous les acteurs et actrices du débat. Avant d’analyser les arguments « juridiques » mobilisés par les anti-choix, il importe donc, à titre liminaire, de préciser les différences acceptions possibles « d’argument juridique » et plus largement de « droit ».

Les différentes conceptions du droit dans les débats sur l’avortement

C’est qu’en effet, « juridique » peut avoir plusieurs sens. Or, disons-le clairement : la conception du droit défendue par les mouvements militants anti-choix (ainsi que par certains juristes) n’est pas la même que celle à laquelle adhèrent les autrices de cette analyse. Car se demander si on peut « résoudre juridiquement » (c’est-à-dire exclusivement sur le terrain juridique) la question de savoir si l’avortement doit être autorisé (et à quelles conditions) dépend essentiellement de la conception du droit dans laquelle on s’inscrit tout autant qu’elle dépend du registre argumentatif mobilisé.

Quelle conception du « droit » dans les débats sur l’avortement ? Jusnaturalisme versus positivisme : deux positions épistémologiques opposées

Pour le dire de manière très schématique, deux grandes conceptions du droit s’opposent en ce qui concerne les fondements de sa validité. Une première conception, le jusnaturalisme fonde la validité du droit sur un fondement extérieur au droit lui-même. La validité du droit (c’est-à-dire, sommairement, son caractère obligatoire) dépend ici de sa conformité à un ordre naturel qui lui est supérieur (Dieu, la Nature, la Morale, etc.).

Au regard d’une telle conception, si une règle juridique (telle que l’autorisation de l’avortement) apparaît contraire à cet ordre naturel (par exemple, l’ordre religieux ou moral), ladite règle est considérée invalide. Telle est notamment la conception défendue par nombre de mouvements anti-choix. À l’aune de cette conception, les arguments « juridiques » mobilisés par ces courants se confondent largement avec des arguments moraux (car précisément, le jusnaturalisme tend à confondre droit et morale). Ils tirent donc d’arguments moraux des arguments juridiques (et inversement).

Une seconde conception du droit, le positivisme, fonde la validité de la norme juridique sur un fondement interne au droit. La validité d’une règle de droit dépend de sa conformité aux règles de droit qui lui sont supérieures (les règles administratives doivent être conformes à la loi ; la loi aux conventions internationales et à la Constitution, etc.) Toute règle de droit édictée par un organe compétent et qui n’est pas contraire aux règles qui lui sont supérieures est valable, même si elle est contestable sur le plan moral ou religieux.

Au regard d’une conception positiviste du droit, la « validité » de l’accès à l’avortement en France est donc juridiquement incontestable car cette pratique est autorisée par la loi et que cette loi est conforme aux normes qui lui sont supérieures (la Constitution[3] et les conventions internationales[4]). Par conséquent, peu d’arguments juridiques peuvent, d’un point de vue positiviste, être mobilisés, pour contester la législation encadrant l’avortement en France.

Divergence dans le registre argumentatif mobilisé : registre descriptif (« ce qui est ») versus régime prescriptif (« ce qui devrait être »). Ou comment prendre ses rêves pour la réalité…

Au-delà des divergences existantes dans les conceptions du droit mobilisées par différents courants politiques, se pose la question de la manière dont le système juridique est présenté lors des débats.

Si l’on opte pour un registre argumentatif de la description, on tente de retranscrire les normes juridiques telles qu’elles sont, et ce, en prenant en compte le droit dans son entièreté (c’est-à-dire non pas seulement ce que disent les textes mais la manière dont ils sont interprétés). Partant, la question des valeurs à consacrer juridiquement (liberté d’avorter ou protection du fœtus par exemple), c’est-à-dire la question de « ce qui devrait être » (de ce qu’on souhaiterait que le droit dise), se place ici hors du droit : on peut vouloir certaines choses – par exemple la suppression de tout délai pour l’IVG – tout en constatant, d’un point de vue descriptif, qu’un tel délai (14 semaines de grossesse) est prévu par le droit positif.

Inversement on peut vouloir un régime d’IVG très restrictif, cantonné aux seuls cas de viols, par exemple, et constater qu’actuellement le droit français l’autorise sans indication spécifique.

La difficulté réside donc souvent dans une confusion des registres descriptif et prescriptif mobilisés par les anti-choix qui tendent, par exemple, à affirmer qu’il existerait un droit à la vie anténatale protégé par la Constitution parce qu’ils voudraient que le droit à la vie soit protégé au plan constitutionnel (et ce, alors même que tel n’est pas le cas en France). Ainsi, les arguments juridiques anti-avortement sont parfois présentés comme des descriptions du droit (à l’instar d’arguments tels que « le droit à la vie est protégé par la Constitution et par les conventions internationales ») alors même qu’ils n’en sont pas : ces arguments sont en réalité des prescriptions, des propositions, ou des injonctions à des changements de législations.

Dès lors que les paradigmes qui structurent la question de l’avortement – et les conceptions du droit adoptées – varient d’un pays à l’autre, on observe des variations dans les arguments mobilisés par les anti-choix. Par exemple, en Allemagne, où l’appréhension par la Cour constitutionnelle des droits fondamentaux est davantage jusnaturaliste et où l’avortement demeure par principe interdit par la loi pénale car considéré comme contraire à certaines valeurs (telles que le droit à la vie) supérieures au droit lui-même, les arguments mobilisés par les anti-choix sont plus moraux qu’en France[5]. Mais les anti-choix n’ont pas besoin de plaider, devant les juridictions, en faveur de la valeur supérieure du droit à la vie anténatale ou pour une reconnaissance du caractère immoral de l’avortement car la Cour constitutionnelle allemande a déjà reconnu l’avortement comme un acte immoral.

À l’inverse, les anti-choix en France se mobilisent pour souligner le caractère immoral de la pratique et la supériorité du droit à la vie anténatale, dès lors que le droit (positif) français ne reconnaît ni l’un ni l’autre, optant pour une approche sanitaire de la question et non pour un débat en termes de droits fondamentaux. Différence là aussi avec les États-Unis où le paradigme de la « privacy » (c’est-à-dire de la protection de la sphère intime des personnes) a longtemps été l’approche dominante de l’encadrement juridique de l’avortement – et où le débat se situait alors sur les limites que cette privacy pouvait imposer au pouvoir des États.

Par ailleurs, les arguments « juridiques » anti-choix sont mobilisés très différemment selon les États parce que la question de l’avortement n’a pas partout été traitée au même « niveau » juridique : en France, elle l’a été à l’échelle législative, par un vote du Parlement, en Allemagne, en Irlande ou aux États-Unis au niveau constitutionnel. L’Irlande est passé par la voie du référendum – les arguments des anti-choix devaient donc toucher toute la population – alors qu’aux États-Unis la constitutionnalité du droit à l’avortement renvoyait plus largement à une question d’articulation entre droit fédéral et pouvoir des États fédérés et, plus largement, à une question d’interprétation littérale ou dynamique de la Constitution. Les arguments « juridiques » des anti-choix renvoyaient donc aussi à ces enjeux qui concernent également le port d’armes ou les politiques antidiscriminatoires.

Si les arguments mobilisés ne sont pas toujours juridiques d’un point de vue positiviste et/ou descriptif, il convient cependant de se préoccuper du registre argumentatif (en apparence) juridique, largement mobilisé par les mouvements anti-choix car celui-ci contient une force rhétorique importante : l’argument juridique possède en effet une indubitable puissance « légitimante » du discours, d’autant plus importante que le grand public ne peut facilement distinguer l’argument descriptif de l’argument prescriptif. De ce fait, l’impact médiatique et politique de l’argument dit « juridique » ne saurait être négligé car, à force de rabâchements prescriptifs, d’injonctions à des changements de législation et de combat symbolique, des renversements de position du système juridique deviennent socialement possibles.

Si, aujourd’hui, les arguments mobilisés par les anti-choix sont prescriptifs/jusnaturalistes/politiques, leur réitération peut avoir un jour un impact réellement juridique : c’est précisément ce qui s’est passé aux États-Unis, alors que le lobbying anti-choix a gagné la Cour suprême. Même si, à l’heure actuelle, les arguments anti-IVG mobilisés sont des propositions de changements (et non des descriptions du droit positif), rien ne permet d’affirmer que ces changements n’arriveront jamais en France : qui peut réellement dire quelles seront les positions du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne des droits de l’Homme dans les décennies à venir, lorsque leurs membres auront été entièrement renouvelés, nommés par des gouvernement dont on ignore encore l’obédience politique ?

Parce qu’ils seront peut-être un jour du droit positif, il faut donc prendre au sérieux les arguments des anti-choix, en se concentrant principalement sur ceux d’entre eux qui ont une apparence « juridique ».

Prendre au sérieux les arguments « juridiques » des anti-choix

Les arguments « juridiques » mobilisés dans le débat public sur l’accès à l’avortement sont de nature très différente suivant qu’on se place dans la sphère institutionnelle ou dans le débat grand public. La première suppose une retenue plus importante que la seconde mais, surtout, il apparaît difficile aux parlementaires de faire totalement fi du contexte juridique dans lequel ils parlent.

Sans que ce soit évidemment impossible, il est plus complexe d’assener de parfaites contre-vérités juridiques – notamment en présentant ce que l’on voudrait être comme ce qui est – au sein du Parlement qu’ailleurs dans le débat public. Analyser le contenu et l’évolution des argumentaires dans ces deux sphères est alors révélateur des mouvements internes des anti-choix et de leurs stratégies différenciées en fonction des périodes et des contextes.

Les arguments des mouvements sociaux anti-choix : frapper par l’outrance

Les mouvements anti-choix français sont certes moins visibles que certains mouvements étrangers[6] mais ils existent cependant, comme en témoigne la récente campagne de communication sur les Vélib de Paris par l’organisation Les Survivants[7]. Si ces mouvements ont, pour l’instant, renoncé à toute action juridique portant proprement sur l’IVG, ils conservent, par la bande, une activité juridique tournée en particulier vers la protection de l’embryon.

Cette modalité de mobilisation s’exerce, en particulier, via les actions de la Fondation Jérôme Lejeune qui attaque régulièrement les autorisations de recherche sur les embryons humains. Si les liens de cette organisation avec les mouvements anti-avortement ne sont pas visibles sur le plan institutionnel, la filiation intellectuelle entre la Fondation et, notamment, le mouvement de la Marche pour la vie est évidente. On en veut pour preuve les innombrables citations de Jérôme Lejeune présentes sur le site de la Marche pour la vie mais aussi les références bibliographiques croisées entre ces deux mouvements. On analysera ici les arguments anti-choix proposés par la Marche pour la vie.

Parmi la série d’affirmations proposée par ce mouvement pour soutenir leur position, certaines ne sont pas à proprement parler juridiques mais peuvent cependant recevoir une réponse dans l’ordre du droit. C’est le cas, par exemple, de l’argument selon lequel l’avortement serait une fausse liberté, dans la mesure où les femmes seraient selon eux mal informées de la réalité concrète de l’acte et des alternatives possibles (accouchement sous X, aides sociales, etc.).

On soulignera ici que la procédure d’IVG donne nécessairement lieu à la délivrance d’un livret informatif sur les méthodes et les risques de l’avortement (dont on comprend qu’il ne présente pas suffisamment dramatiquement les choses pour les opposants à cette pratique) mais il est vrai que ce livret ne contient pas d’informations sur les droits des femmes si elles souhaitent poursuivre leur grossesse. Si on peut l’expliquer par le fait que ce livret est remis lorsqu’est déjà exprimé un souhait d’interrompre la grossesse, on pourrait interroger les opposant·es sur le point de savoir s’iels seraient moins réticents à la pratique si l’information était « parfaite » au regard de leurs standards[8]. On en doute bien sûr au regard des autres arguments.

Il en est ainsi de la déploration que « le père » soit écarté de la décision. Outre que le droit prévoit déjà que l’homme désigné comme le géniteur par la femme souhaitant avorter peut être associé aux consultations[9], il convient de souligner qu’à ce stade, rien ne permet de s’assurer de l’identité du géniteur et qu’il serait donc difficile, juridiquement, de désigner l’hypothétique titulaire d’un droit à participer à la procédure.

Mais l’argument le plus « manifestement » juridique est celui selon lequel le « droit à la vie » est de valeur constitutionnelle et qu’il ne peut donc, en regard, exister aucun « droit à » l’avortement. Passons sur le fait que la suite de la lecture indique que l’argument de la « constitutionnalité » renvoie en réalité à la « conventionnalité » c’est-à-dire au fait que le droit à la vie serait défendu par les conventions internationales (mais sans doute le mot, moins connu, ne frappe pas autant par sa « juridicité » que peut le faire le terme de « constitutionnalité »).

De fait, les opposants à l’avortement ne peuvent s’appuyer juridiquement que sur une certaine lecture des conventions internationale pour revendiquer un « droit à la vie » car, pour l’instant, dans les décisions relatives à l’avortement, jamais un tel droit n’a été consacré sur le plan constitutionnel en France. Mais prenons au sérieux leur argumentaire : les conventions internationales garantissent-elles vraiment un « droit à la vie » qui interdirait de consacrer un droit à l’avortement ?

La réponse est non mais doit être expliquée. Pour se concentrer sur la convention la plus contraignante en la matière, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH), le texte consacre bien un droit à la vie (art. 2) et la Cour européenne des droits de l’Homme a effectivement appliqué cette disposition dans le contrôle de législations nationales concernant l’avortement. Mais précisément en laissant les États extrêmement libres de la protection qu’ils souhaitent apporter à ce droit avant la naissance. De ce fait, il est tout autant conforme à la CESDH d’interdire totalement[10] ou d’autoriser absolument l’avortement.

Contrairement à ce qu’affirme ce mouvement, la Cour a même pu accepter que la volonté, pour un État, de garantir un accès à l’avortement le plus facile et le plus homogène partout sur son territoire l’autorise à poser de strictes limites à la liberté de conscience, notamment en refusant l’embauche de personnels ne souhaitant pas le pratiquer[11]. On retrouve donc ici clairement un argumentaire de nature jusnaturaliste se parant de positivisme : « le droit » présenté n’est pas un droit réel, positif, mais un droit fantasmé, tel qu’il est souhaité par les adversaires de l’avortement.

Les arguments de la sphère institutionnelle : paraître policé

Lors des débats ayant conduit à l’adoption de la loi dite Veil[12], trois types d’arguments avaient spécialement été mobilisés au sein du Parlement pour s’opposer à la légalisation de l’IVG.

Tout d’abord, un argument d’ordre décliné sous deux facettes : 1) ce n’est pas parce que la loi est, dans les faits, transgressée, qu’il faut « céder » en légalisant la pratique ; 2) la libéralisation de l’IVG signifierait la libéralisation des mœurs féminines (car la crainte de la grossesse ne serait plus un frein aux relations hétérosexuelles).

Ce registre argumentatif renvoie implicitement à un double positionnement épistémologique sur le droit. D’une part, il montre que la loi pénale serait, au-delà d’un outil de sanction, un outil d’affirmation symbolique du « devoir être » et donc aussi un outil d’encadrement des consciences. D’autre part, il souligne l’existence d’ un danger spécifique à ce que ce qui « est » dicte au législateur ce qui « devrait être »[13]. Or, s’il est difficilement contestable que le droit soit effectivement un discours exprimant des valeurs collectives, et par là un outil de façonnement des opinions, cela ne suppose pas pour autant que toute « nouvelle » autorisation de comportement soit nécessairement une « pente glissante » vers d’autres libéralisations.

Dès lors, si l’on peut, politiquement, regretter que telle ou telle pratique jusque-là interdite soit désormais autorisée, cette autorisation ne dit rien, en elle-même, ni sur les conséquences de la nouvelle norme sur la société ni sur les futures positions du droit[14]. On craint que la reconnaissance explicite de l’IVG comme « droits » équivaudrait à ouvrir la boite de Pandore : si l’on consacre aujourd’hui un droit constitutionnel à l’IVG, c’est demain un droit à la PMA, à la fin de vie, etc.[15] qu’il faudra consacrer.

Cette rhétorique, sans être explicitement anti-IVG, indique cependant qu’en France, le paradigme structurant l’encadrement juridique de l’IVG n’a, longtemps, précisément, pas été celui des droits fondamentaux individuels ; elle semble par ailleurs ignorer que l’élévation de droits individuels au rang constitutionnel n’est pas une nouveauté et est même au cœur de toute l’évolution du droit constitutionnel contemporain.

Un deuxième champ argumentatif portait alors sur la violence que l’autorisation de l’IVG faisait porter au corps médical, « contraint » de pratiquer un acte de mise à mort. Cet argumentaire renvoie évidemment à une certaine vision de la médecine, comme pratique de vie et non de mort, mais elle n’est pas sans soubassement « juridique » car c’est ici la concurrence des droits qui est invoquée. Face à l’idée d’un droit des femmes (au contrôle de leur corps, à l’exercice d’un choix reproductif etc.), est alors dressé un droit concurrent des personnels soignants à la liberté de conscience, et implicitement aussi à l’exercice de leurs convictions religieuses. C’est d’ailleurs cette position qui présidera à l’inscription d’une « clause de conscience » spécifique à la pratique de l’avortement[16].

Dernier champ argumentatif enfin : la protection de la vie comme valeur en elle-même mais aussi comme valeur collective. S’il est relativement connu que le parallèle encore l’avortement et les pratiques génocidaires a largement été porté au Parlement lors des débats de 1974[17], on oublie parfois que la question proprement démographique est tout autant présente dans des débats[18].

Le projet de loi lui-même aborde l’avortement sous cet angle en précisant : « la prévention de l’avortement dépend […] de tous les éléments qui peuvent concourir à développer, dans le couple et particulièrement chez la femme, une attitude positive à l’égard de la natalité. […] le Gouvernement confirme sa détermination à faire tout ce qui dépend de lui pour contrecarrer cette tendance et encourager la natalité ».

Le paradigme est ici qu’il risquerait d’y avoir, dans le fait de légaliser l’avortement, une position presque antinationale. Ce n’est, dès lors, pas tant la protection de la valeur vie individuelle (anténatale) qui est brandie par les parlementaires contre la dépénalisation que la protection de la force de la nation[19]. Pensée sans doute héritée du droit vichyste qui fait de l’avortement non pas un crime contre les personnes mais bien un crime contre la sûreté de l’État[20].

En apparence, ces arguments ont largement disparu des débats qui sont actuellement portés dans la sphère politique. Il n’est aujourd’hui plus de bon ton d’assumer au Parlement le discours selon lequel l’avortement serait un assassinat – encore moins un génocide – et il est politiquement délicat de remettre en cause la liberté des femmes de contrôler leur reproduction. Pour autant, on retrouve dans les argumentaires actuels les soubassements déjà présents en 1975.

Ainsi, en 2021-2022, lors des débats sur l’extension du délai d’IVG de douze à quatorze semaines, les argumentaires opposés à cette évolution ont beaucoup tourné autour de la « transformation » du geste, davantage susceptible d’être pratiqué par voie instrumentale voire de devoir atteindre l’intégrité du fœtus. Or, puisque l’argument d’un risque sanitaire plus grand pour les femmes ne pouvait pas être sérieusement mobilisé[21], c’est davantage celui du risque indirect pour leur liberté qui l’a été.

L’idée était alors que le geste étant plus difficile émotionnellement[22], davantage de soignant·es risquaient d’user de leur clause de conscience, annihilant le progrès offert aux femmes. Argument cependant juridiquement discutable dans la mesure où la clause de conscience n’est pas, en droit français et contrairement, par exemple, au droit italien, une clause dite « on/off » par laquelle les praticien·nes doivent, par souci de cohérence, soit déclarer user de leur clause et ne jamais pratiquer d’avortement soit accepter d’en pratiquer sans condition.

Le droit français au contraire admet parfaitement qu’un·e praticien·ne accepte de faire une IVG jusqu’à un certain délai mais pas plus tard – voire même accepte un jour et refuse le lendemain, tant qu’il ne peut être démontré que cette variation procède d’une discrimination entre les patient·es. Derrière cet argument contestable de la protection de l’accès réel à l’avortement se dissimule donc une préoccupation renouvelée pour la liberté de conscience des soignant·es.

Enfin, les débats les plus récents, relativement à la constitutionnalisation de l’IVG, ont fait apparaître les nouveaux visages des arguments de la protection de la vie et de la « pente glissante ». Deux arguments sont en effet au cœur de la rhétorique opposée à cette constitutionnalisation.

Le premier consiste à dire qu’il y aurait là une atteinte à ce qui est désigné comme le « compromis » ou l’ « équilibre » de la loi Veil : l’idée sous-jacente étant ici que la loi de 1975 opérerait une forme de juste balance des intérêts entre la liberté des femmes et la protection de la vie anténatale, équilibre que viendrait bouleverser l’ « élévation » envisagée de la protection de l’avortement. Argument contestable en l’état actuel du débat[23] puisque la constitutionnalisation envisagée ne s’accompagne d’aucune facilitation de l’accès à l’avortement et vise essentiellement à éviter tout recul futur dans cet accès (et donc, même à reprendre cette idée de « juste équilibre », à faire obstacle à toute entreprise législative visant précisément à rompre le partage actuel entre les intérêts).

En outre, cette position conservatrice, au sens le plus littéral du terme, jette le voile sur le fait que le statu quo de la loi de 1975 a déjà plusieurs fois été modifié, en particulier pour rallonger progressivement le délai de recours à l’avortement (de dix semaines de grossesse initialement à quatorze aujourd’hui).

Le second suggère que la constitutionnalisation serait inutile car, au choix, l’avortement serait déjà un droit voire déjà un droit constitutionnellement protégé. L’un ou l’autre de ces arguments sont juridiquement très discutables. L’idée que l’accès à l’avortement serait aujourd’hui un droit se heurte ainsi à une double limite indiscutable : d’une part, en droit comme en fait, rien ne permet d’exiger de qui que ce soit la pratique de cet acte et, d’autre part, le simple fait de ne pas avoir pu accéder à l’avortement n’est pas en soit un préjudice susceptible d’être réparé, quand bien même cet obstacle serait dû à une faute[24] (mauvaise pratique médicale, mauvaise organisation institutionnelle, etc.)[25].

Le fait que cet accès soit un droit constitutionnellement protégé est là aussi hautement contestable : le Conseil constitutionnel n’a en effet fait que considérer que l’état actuel de la législation sur l’avortement ne portait pas atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis[26] et que les dispositions actuelles ne rompent pas « l’équilibre que le respect de la Constitution impose entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme »[27].

Une position qui, en l’absence de toute décision du Conseil sur un texte opérant une limitation de la possibilité d’accéder à l’avortement, ne garantit en rien qu’un tel recul ne serait pas parfaitement conforme à la Constitution. L’argument de l’inutilité est donc a minima un argument d’ultra-optimisme (considérant qu’il est improbable qu’un pouvoir législatif hostile à l’avortement n’arrive au pouvoir) ou, à l’inverse, d’ultra-pessimisme (si un tel pouvoir advenait, la Constitution serait de toute façon un trop faible rempart pour la protection de l’accès à l’avortement) et a maxima le faux-nez d’une méfiance voire d’une hostilité de principe à la pratique de l’avortement.

Car, s’il n’est pas d’argument proprement juridique qui permette de s’opposer à un rejet principiel de l’avortement, il en est pour dire, dès lors qu’on est favorable à la préservation de ce pouvoir des femmes sur leur corps et de contrôle de leur fécondité, qu’il vaut toujours mieux lui apporter la protection la plus grande.


[1] Formellement, le texte prévoyant l’accès à l’avortement était formulé depuis 1975 en ces termes : « La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander […] l’interruption de sa grossesse » (anc. art. L. 2212-1 Code de la santé publique). Le texte dispose désormais : « La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander […] l’interruption de sa grossesse » ce qui acte symboliquement un changement de perspective sur l’acte, dans lequel la femme enceinte est alors active et non plus passive, même si la formulation « peut demander » la place toujours dans une position de sollicitation et non d’action.

[2] Voir Lisa Carayon, « Réduction embryonnaire, réduction du droit des femmes », Dalloz Actualité, 8 sept. 2021.

[3] Pour la première décision conseil constitutionnel, décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse.

[4] Voir infra.

[5] Laurie Marguet, Le droit de la procréation en France et en Allemagne : étude sur la normalisation de la vie, L’Harmattan, 2021.

[6] Sur les mouvements anti-choix ailleurs en Europe : voir notamment les travaux de Juliette Brillet sur l’Allemagne et d’Anne-Sophie Crosetti sur la Belgique.

[7] Suite à la plainte de la mairie de Paris, du Planning familial et de l’entreprise Vélib, une procédure judiciaire est en cours contre cette organisation. Dans le cadre de cette procédure, le site internet de ce mouvement a été suspendu, ses propriétaires n’ayant pu pour l’instant confirmer l’exactitude des informations identifiantes les concernant. Cette suspension ne fait donc pas suite à une quelconque analyse du contenu de ce site. Sur la communication des mouvement anti-choix en France suivre notamment les travaux de Salomé Hédin.

[8] La question vaudra aussi au regard de l’argument selon lequel les soignant·es sont, en réalité, poussé·es à pratiquer des avortements, en contradiction avec leur clause de conscience. L’opposition à l’avortement serait-elle moins forte s’il était certain que toutes les personnes qui le pratiquent le faisaient absolument librement ?

[9] Art. L. 2212-4 code de la santé publique.

[10] La Cour européenne a cependant plusieurs fois eu l’occasion de se prononcer sur le fait que même lorsque l’avortement est très restrictivement encadré, les femmes doivent se voir proposer une procédure claire et rapide leur permettant d’avoir accès à une décision sur leur situation, ainsi qu’à des soins de qualité et à un traitement digne, au risque pour les États d’être condamnés pour traitements inhumains et dégradants. Voir par exemple Affaire R.R. contre Pologne, Cour EDH, 26 mai 2011, n° 27617/04.

[11] Voir : Affaire Grimmark contre Suède, Cour EDH, 11 février 2020, n° 43726/17 ; Affaire Steen contre Suède, Cour EDH, 11 février 2020, n° 62309/17.

[12] Simone Veil s’opposait elle-même à cette appellation, pourtant aujourd’hui entrée dans les mœurs : Bernard Pingaud (dir.) et alii, L’Avortement. Histoire d’un débat, Flammarion, 1975, p. 260.

[13] « La loi pénale est[-elle…] le reflet de l’opinion publique ou bien [le] produit de la seule délibération de politiciens éclairés ? La loi pénale suit elle l’évolution des mœurs ou bien a-t-elle vocation à les régir ? » : Bruno Dayez, « L’avortement et la raison pénale », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 1990/1, vol. 24, p. 61.

[14] Sur les craintes de la montée en puissance des droits subjectifs, voir notamment : Assemblée nationale, 24 novembre 2022, Mme Pascale Bordes ; Mme Emmanuelle Ménard ; M. Patrick Hetzel.

[15] Assemblée nationale, 24 novembre 2022, Emmanuelle Ménard.

[16] Voir notamment Tatiana Gründler, « Une clause de conscience en matière d’IVG, un antidote contre la trahison », Droits et cultures, 1974/2017, p. 155.

[17] Sur ce point voir notamment Chloé Leprince, « Violence en politique : les débats sur l’avortement pour la loi Veil, summum historique », Radio France.

[18] Assemblée nationale, séance 2 du 26 novembre 1974, Alexandre Bolo, p. 7024 : « Ce projet est dangereux pour la nation, nul ne peut en douter, les expériences étrangères démontrent les effets désastreux de l’avortement libre sur la natalité, et par la même sur l’avenir de notre société, déjà fortement obéré par la situation démographique actuelle ». Dans le même sens, séance 2 du 26 nov. 1974, Louis Mexandeau, p. 7019 ; séance 2 du 26 nov. 1974, Jean Desanlis, p. 7021 ; séance 2 du 26 nov. 1974, René Feït, p. 7028 ; séance 2 du 26 nov. 1974, Jacques Médecin, p. 7036 ; séance 2 du 27 nov. 1974, Michel Debré, p. 7104 ; séance 2 du 27 nov. 1974, Louis Mexandeau, p. 7107 ; séance 2 du 27 nov. 1974, Robert Boulin, p. 7120.

[19] Voir notamment Assemblée nationale, séance 2 du 28 novembre 1974, Simone Veil, p. 7194 : « c’est bien l’aspect essentiel de ce débat. Il en va, assurément de notre identité nationale, et de notre droit collectif à l’existence »

[20] Loi n° 300 du 15 février 1942 relative à la répression de l’avortement : JORF, 7 mars 1942, p. 938.

[21] F.R. Jacot, C. Poulin, A.P. Bilodeau, M. Morin, S. Moreau, F. Gendron, D. Mercier, « A five-year experience with second-trimester induced abortions: no increase in complication rate as compared to the first trimester », American Journal of Obstetrics and Gynecology, 186, 633-637, 1993.

[22] Argument mobilisé dans la discussion éthique par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) lui-même dans son avis du 8 décembre 2020 sur l’allongement des délais.

[23] Sur les différentes formulations possibles de cette constitutionnalisation et leurs avantages comparés voir notamment : Stéphanie Hennette-Vauchez, Diane Roman, Serge Slama, « Pourquoi et comment constitutionnaliser le droit à l’avortement », La Revue des droits de l’Homme, 2022, Actualités Droits-Libertés, 21. Pour une analyse des débats de 2022, 2023 et de 2024 : Laurie Marguet, « La constitutionnalisation du droit à l’IVG » et « La constitutionnalisation de l’IVG : deuxième round », billets du 5 décembre 2022 et du 9 février 2024, blog Jus Politicum.

[24] Pour deux décisions récentes, voir : CAA de MARSEILLE, 2e chambre, 29/03/2018, n°16MA00924 ; CAA de NANTES, 3e chambre, 04/10/2019, n° 18NT00006.

[25] Sur ce point voir Lisa Carayon, « IVG et contraception : quel accès à une liberté génésique ? »,
in La loi et le genre, Stéphanie Hennette-Vauchez, Diane Roman, Marc Pichard (dir.), éd. CNRS, 2014, p. 107 et Laurie Marguet, « Les lois sur l’avortement (1975-2013) : une autonomie procréative en trompe-l’œil ? », La Revue des droits de l’homme, 5, 2014.

[26] Conseil constitutionnel, décision n° 2014-700 DC du 31 juillet 2014, Loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

[27] Conseil constitutionnel, décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

Lisa Carayon

Juriste, Maîtresse de conférences en droit à l'Université Sorbonne Paris Nord rattachée à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS)

Laurie Marguet

Juriste, Maîtresse de conférences en droit public à l'Université Paris Est Créteil, rattachée au laboratoire MIL.

Notes

[1] Formellement, le texte prévoyant l’accès à l’avortement était formulé depuis 1975 en ces termes : « La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander […] l’interruption de sa grossesse » (anc. art. L. 2212-1 Code de la santé publique). Le texte dispose désormais : « La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander […] l’interruption de sa grossesse » ce qui acte symboliquement un changement de perspective sur l’acte, dans lequel la femme enceinte est alors active et non plus passive, même si la formulation « peut demander » la place toujours dans une position de sollicitation et non d’action.

[2] Voir Lisa Carayon, « Réduction embryonnaire, réduction du droit des femmes », Dalloz Actualité, 8 sept. 2021.

[3] Pour la première décision conseil constitutionnel, décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse.

[4] Voir infra.

[5] Laurie Marguet, Le droit de la procréation en France et en Allemagne : étude sur la normalisation de la vie, L’Harmattan, 2021.

[6] Sur les mouvements anti-choix ailleurs en Europe : voir notamment les travaux de Juliette Brillet sur l’Allemagne et d’Anne-Sophie Crosetti sur la Belgique.

[7] Suite à la plainte de la mairie de Paris, du Planning familial et de l’entreprise Vélib, une procédure judiciaire est en cours contre cette organisation. Dans le cadre de cette procédure, le site internet de ce mouvement a été suspendu, ses propriétaires n’ayant pu pour l’instant confirmer l’exactitude des informations identifiantes les concernant. Cette suspension ne fait donc pas suite à une quelconque analyse du contenu de ce site. Sur la communication des mouvement anti-choix en France suivre notamment les travaux de Salomé Hédin.

[8] La question vaudra aussi au regard de l’argument selon lequel les soignant·es sont, en réalité, poussé·es à pratiquer des avortements, en contradiction avec leur clause de conscience. L’opposition à l’avortement serait-elle moins forte s’il était certain que toutes les personnes qui le pratiquent le faisaient absolument librement ?

[9] Art. L. 2212-4 code de la santé publique.

[10] La Cour européenne a cependant plusieurs fois eu l’occasion de se prononcer sur le fait que même lorsque l’avortement est très restrictivement encadré, les femmes doivent se voir proposer une procédure claire et rapide leur permettant d’avoir accès à une décision sur leur situation, ainsi qu’à des soins de qualité et à un traitement digne, au risque pour les États d’être condamnés pour traitements inhumains et dégradants. Voir par exemple Affaire R.R. contre Pologne, Cour EDH, 26 mai 2011, n° 27617/04.

[11] Voir : Affaire Grimmark contre Suède, Cour EDH, 11 février 2020, n° 43726/17 ; Affaire Steen contre Suède, Cour EDH, 11 février 2020, n° 62309/17.

[12] Simone Veil s’opposait elle-même à cette appellation, pourtant aujourd’hui entrée dans les mœurs : Bernard Pingaud (dir.) et alii, L’Avortement. Histoire d’un débat, Flammarion, 1975, p. 260.

[13] « La loi pénale est[-elle…] le reflet de l’opinion publique ou bien [le] produit de la seule délibération de politiciens éclairés ? La loi pénale suit elle l’évolution des mœurs ou bien a-t-elle vocation à les régir ? » : Bruno Dayez, « L’avortement et la raison pénale », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 1990/1, vol. 24, p. 61.

[14] Sur les craintes de la montée en puissance des droits subjectifs, voir notamment : Assemblée nationale, 24 novembre 2022, Mme Pascale Bordes ; Mme Emmanuelle Ménard ; M. Patrick Hetzel.

[15] Assemblée nationale, 24 novembre 2022, Emmanuelle Ménard.

[16] Voir notamment Tatiana Gründler, « Une clause de conscience en matière d’IVG, un antidote contre la trahison », Droits et cultures, 1974/2017, p. 155.

[17] Sur ce point voir notamment Chloé Leprince, « Violence en politique : les débats sur l’avortement pour la loi Veil, summum historique », Radio France.

[18] Assemblée nationale, séance 2 du 26 novembre 1974, Alexandre Bolo, p. 7024 : « Ce projet est dangereux pour la nation, nul ne peut en douter, les expériences étrangères démontrent les effets désastreux de l’avortement libre sur la natalité, et par la même sur l’avenir de notre société, déjà fortement obéré par la situation démographique actuelle ». Dans le même sens, séance 2 du 26 nov. 1974, Louis Mexandeau, p. 7019 ; séance 2 du 26 nov. 1974, Jean Desanlis, p. 7021 ; séance 2 du 26 nov. 1974, René Feït, p. 7028 ; séance 2 du 26 nov. 1974, Jacques Médecin, p. 7036 ; séance 2 du 27 nov. 1974, Michel Debré, p. 7104 ; séance 2 du 27 nov. 1974, Louis Mexandeau, p. 7107 ; séance 2 du 27 nov. 1974, Robert Boulin, p. 7120.

[19] Voir notamment Assemblée nationale, séance 2 du 28 novembre 1974, Simone Veil, p. 7194 : « c’est bien l’aspect essentiel de ce débat. Il en va, assurément de notre identité nationale, et de notre droit collectif à l’existence »

[20] Loi n° 300 du 15 février 1942 relative à la répression de l’avortement : JORF, 7 mars 1942, p. 938.

[21] F.R. Jacot, C. Poulin, A.P. Bilodeau, M. Morin, S. Moreau, F. Gendron, D. Mercier, « A five-year experience with second-trimester induced abortions: no increase in complication rate as compared to the first trimester », American Journal of Obstetrics and Gynecology, 186, 633-637, 1993.

[22] Argument mobilisé dans la discussion éthique par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) lui-même dans son avis du 8 décembre 2020 sur l’allongement des délais.

[23] Sur les différentes formulations possibles de cette constitutionnalisation et leurs avantages comparés voir notamment : Stéphanie Hennette-Vauchez, Diane Roman, Serge Slama, « Pourquoi et comment constitutionnaliser le droit à l’avortement », La Revue des droits de l’Homme, 2022, Actualités Droits-Libertés, 21. Pour une analyse des débats de 2022, 2023 et de 2024 : Laurie Marguet, « La constitutionnalisation du droit à l’IVG » et « La constitutionnalisation de l’IVG : deuxième round », billets du 5 décembre 2022 et du 9 février 2024, blog Jus Politicum.

[24] Pour deux décisions récentes, voir : CAA de MARSEILLE, 2e chambre, 29/03/2018, n°16MA00924 ; CAA de NANTES, 3e chambre, 04/10/2019, n° 18NT00006.

[25] Sur ce point voir Lisa Carayon, « IVG et contraception : quel accès à une liberté génésique ? »,
in La loi et le genre, Stéphanie Hennette-Vauchez, Diane Roman, Marc Pichard (dir.), éd. CNRS, 2014, p. 107 et Laurie Marguet, « Les lois sur l’avortement (1975-2013) : une autonomie procréative en trompe-l’œil ? », La Revue des droits de l’homme, 5, 2014.

[26] Conseil constitutionnel, décision n° 2014-700 DC du 31 juillet 2014, Loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

[27] Conseil constitutionnel, décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.