International

Le droit international est mort, vive le droit international ? 

Politiste, Juriste

Face à l’impossibilité d’imposer un cessez-le-feu à Gaza, le droit international apparaît aujourd’hui inutile. Voire néfaste, car la qualification juridique des actes du Hamas et de l’État hébreu est aujourd’hui politisée à outrance. Pourtant, le droit international doit pouvoir être mobilisé par d’autres acteurs que les États – société civile, juges, ONG – et continuer à fournir un angle d’analyse dépassionné.

Le 26 janvier dernier, un parterre de journalistes venus de tous les continents attend la décision de la Cour internationale de justice. Saisie à l’initiative de l’Afrique du Sud, elle rend son ordonnance en indication de mesures conservatoires face au risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé au droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés contre tout acte de génocide. La Cour enjoint dès lors à Israël de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour éviter une telle tragédie.

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Près de deux mois plus tard, ni trêve ni cessez-le-feu n’ont été conclus entre Israël et le Hamas. Benjamin Netanyahou annonce vouloir lancer une offensive sur Rafah, à la frontière égyptienne, où plus d’un million de Palestiniens ayant fui les combats sont entassés dans des abris de fortune et au bord de la famine. Dans ce contexte, les critiques pleuvent sur le droit international.

S’exprimant le plus souvent au travers de tribunes ou de notes de blog, plusieurs personnes ont fait le constat d’une mort du droit international dans les décombres de Gaza[1]. Si on ne peut qu’être dévasté devant l’ampleur des violations, il convient de se garder d’enterrer trop tôt le droit international et en particulier une de ses branches, celle qui a été précisément conçue pour régir les conflits armés, le droit international humanitaire.

Dans un contexte de désinformation accru, le droit international est nécessaire pour qualifier les faits

Le conflit israélo-palestinien entretient une relation particulière au droit international, tant les questions les plus politiques y trouvent une réponse juridique. Depuis la première guerre mondiale et la déclaration Balfour de 1917 établissant un foyer juif en Palestine mandataire, le combat pour l’autodétermination des Israéliens et des Palestiniens a été mené par les armes, mais également au moyen du droit international. Ainsi, les fondations juridiques du droit à l’autodétermination de ces deux peuples, la légitimité du plan de partition des Nations unies en 1947, le régime juridique gouvernant la Cisjordanie et la bande de Gaza, l’illicéité du mur de séparation construit par Israël dès 2002 ou encore l’existence d’un apartheid sont autant de questions posées et débattues dans les termes du droit international.

Sans entrer dans le détail de ces discussions juridiques, force est de constater que le 7 octobre ouvre un nouveau chapitre dans les rapports entre droit et politique dans le contexte du conflit israélo-palestinien. Cette nouvelle flambée de violence a fait resurgir d’anciens débats, tels que ceux portant sur le régime juridique de la bande de Gaza, la licéité du siège imposé par Tsahal depuis 2007, ou le caractère terroriste du Hamas. D’autres ont émergé à la suite du 7 octobre, comme celui sur l’existence d’un féminicide de masse perpétré par le Hamas à l’encontre des femmes israéliennes, d’un nettoyage ethnique de la bande de Gaza, ou d’un transfert de la population palestinienne vers l’Égypte.

Dans ce contexte, le langage juridique a souvent été utilisé pour critiquer les deux protagonistes. Alors que le droit tend à dépolitiser les enjeux, on se trouve ici dans la situation inverse. La qualification juridique des actes des Palestiniens et des Israéliens est politisée à outrance, compliquant l’analyse pourtant légitime de leur conduite au regard du droit international.

À l’heure où tant les exactions du Hamas que celles commises par certains soldats de Tsahal sont filmées par des téléphones portables ou des vidéos de surveillance et relayées des milliers de fois sur les réseaux sociaux, le droit est de plus en plus mobilisé pour justifier tel ou tel comportement de chacune des parties au conflit, alimentant cette confusion entre analyse juridique et position politique.

En effet, le droit international permet de qualifier de manière neutre les faits sur la base de règles pré-établies et acceptées par tous – lesquelles comprennent par exemple la règle relative à la distinction entre civils et combattants, ou celle formulant la proportionnalité (les dégâts humains et matériels causés par une action militaire ne doivent pas excéder l’objectif militaire anticipé). Devant l’ampleur de la désinformation de part et d’autre et la difficulté à s’accorder sur les faits, le droit a d’abord été une ressource rhétorique permettant en partie de dissiper le brouillard informationnel.

Devant l’ampleur de la désinformation de part et d’autre et la difficulté à s’accorder sur les faits, le droit a d’abord été une ressource rhétorique permettant en partie de dissiper le brouillard informationnel.

Par ailleurs, le cynisme des responsables politiques ne doit pas amener à confondre l’usage qui peut être fait du droit et le droit lui-même, qui a vocation à être mobilisé par d’autres acteurs : société civile, organismes humanitaires, responsables politiques extérieurs au conflit, organisations internationales, juges, internationaux comme nationaux, etc. Le droit international n’est pas la propriété des États parties au conflit, ni même des États tiers. Nombre d’acteurs peuvent s’en saisir.

Déclarer sa mort parce que certains États n’en font pas bon usage, c’est priver tous ces acteurs de son bon usage. Ainsi, le narratif qui consiste à considérer le droit international inutile, et au premier rang duquel le droit international humanitaire, n’améliore en rien la situation. Pire, elle ne peut que contribuer à l’aggraver. Car, sans droit international, la situation est-elle meilleure ? Non. Et si le droit international est mort, par quoi le remplacer ? Une réponse existe-t-elle seulement ? Loin d’être un système idéal, le droit international n’en est pas moins, sans doute, le moins mauvais.

Les violations de DIH ne doivent pas masquer son application

Outre cette instrumentalisation du droit pour relayer des positions politiques et promouvoir les intérêts des parties au conflit, le passage au tamis du droit international de la séquence débutée le 7 octobre ne doit pas masquer toutes les fois où le droit international a effectivement été appliqué.

Les attaques perpétrées par le Hamas le 7 octobre ont à n’en pas douter donné lieu à des crimes de guerre – prises d’otages, meurtres, violences sexuelles, etc., possiblement qualifiables en sus de crimes contre l’humanité, et auxquels peut en outre être apposé le label « terroriste ». Les commandos du Hamas ont toutefois également visé des combattants de Tsahal et des installations militaires. Six ont été attaquées : le check-point d’Erez, la base militaire de Nahal Oz, la base de Soufa située près du kibboutz de Be’eri, la base de Reïm et une installation proche du kibboutz de Kerem Shalom.

Ces bases sont des objectifs militaires, qu’il est licite de prendre pour cible en droit international. De même, si des bâtiments ou des personnes civiles ont été visés dans Gaza, l’ampleur des destructions et l’émoi provoqué par ces violations, dont certaines constituent indiscutablement des crimes de guerre – prendre délibérément pour cible des civils, empêcher le fonctionnement des hôpitaux, entraver arbitrairement l’assistance humanitaire, infliger des mauvais traitements aux prisonniers, etc., ne doit pas masquer le fait que l’armée israélienne a également effectivement ciblé des installations militaires du Hamas et démantelé une partie de ses capacités militaires.

Enfin, si les images qui nous parviennent du conflit montrent des exactions, on peut cependant supposer que des refus d’obéir à des ordres manifestement illégaux – une obligation du droit international – ont eu lieu. Il existe en Israël une très forte tradition de désobéissance civile des soldats, désignés par le terme de « refuzniks ». Par exemple, des membres de l’unité 8200 en 2014 avaient refusé d’utiliser les informations collectées concernant l’orientation sexuelle des Gazaouis pour faire pression sur ces derniers afin d’obtenir du renseignement.

Des manifestations contre l’opération Glaives de fer ont été organisées à Haifa et à Tel Aviv, témoignant d’une contestation exprimée à l’intérieur de la société civile. De même, il est impossible de documenter toutes les fois où le commandement israélien a décidé de ne pas attaquer un bien parce que celui-ci ne répondait pas à la définition de l’objectif militaire ou parce que l’attaque n’aurait pas respecté d’autres règles de la conduite des hostilités.

Quant à l’aide humanitaire, aussi minime soit-elle et malgré les récents événements effroyables entourant une distribution alimentaire, il faut avoir à l’esprit que seul le droit international humanitaire la prévoit et en donne les contours. Si des camions peuvent, tout de même, entrer dans la bande de Gaza et si le Comité international de la Croix-Rouge peut continuer d’assurer une présence c’est parce que les textes internationaux le prévoient. Le droit international constitue ici le seul levier permettant de continuer d’exiger inlassablement des parties au conflit qu’elles laissent les organismes humanitaires atteindre les populations qui en ont besoin de manière critique et faire leur travail selon les principes qui sont les leurs.

Réprimer : quel rôle pour la justice pénale internationale ?

Nous l’avons rappelé, le droit international prouve son utilité dans le conflit entre Israël et le Hamas car il permet dans un premier temps une certaine mise à distance en qualifiant les faits et ce faisant dissipe le brouillard informationnel. Il fournit également des règles posant des garde-fous à l’utilisation de la violence qui, si elles ont été violées, ont également été appliquées.

La troisième critique dirigée à l’encontre du droit régissant les conflits armés pointe la faiblesse, si ce n’est l’absence, des poursuites lorsqu’il est bafoué. Selon cette analyse, les condamnations, lorsqu’elles existent, ne seraient que déclaratoires et resteraient lettre morte. C’est pourtant méconnaître le formidable essor que connaît la justice pénale internationale depuis vingt ans, notamment à travers la Cour pénale internationale ; une juridiction qui a été saisie de ce conflit avant le 7 octobre.

Dès 2009, Mahmoud Abbas consulte le procureur d’alors, Luis Moreno Ocampo, qui oppose l’ambiguïté du statut juridique de la Palestine: elle ne peut adhérer au statut de Rome, base de la compétence de la CPI, puisqu’elle n’est pas un État. Sous l’impulsion de Saeb Erekat, des juristes palestiniens décident alors de proposer l’adhésion de la Palestine à des organisations internationales et d’autres traités internationaux, afin de satisfaire ensuite à cette condition d’accès au statut de Rome. Cette stratégie a été qualifiée péjorativement de lawfare dans le but de la discréditer. Plusieurs associations pro-israéliennes actives dans ce débat, comme le Lawfare project, Shurat HaDin et NGO monitor, ont ainsi été entendues par la CPI pour délégitimer les démarches juridiques palestiniennes.

L’initiative est qualifiée « d’option nucléaire palestinienne » et le cabinet du Premier ministre se résout en 2013 à négocier une « trêve » juridique avec l’Autorité palestinienne ayant comme condition la libération de prisonniers politiques palestiniens. L’objectif est de gagner du temps pour évaluer les conséquences juridiques d’une éventuelle enquête de la CPI et préparer une stratégie de défense. En 2012, l’Assemblée générale de l’ONU adopte la résolution 67/19 qui donne à la Palestine le statut d’« État observateur non membre », pièce maîtresse pour accéder en 2015 le statut de Rome.

En mars 2021, la procureure Fatou Bensouda a annoncé l’ouverture d’une enquête sur la situation de l’État de Palestine, après que la Chambre préliminaire eut reconnu la compétence de la Cour pour juger les crimes commis sur le territoire israélien, à la fois par Israël et par les groupes armés palestiniens, et que cette compétence s’étendait à Gaza et à la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. En mesure de rétorsion, elle subit des sanctions américaines décidées par l’administration Trump, lui interdisant d’utiliser certains services bancaires et de se rendre sur le sol américain.

Par ailleurs, en 2021, le ministère israélien de la Défense dissout par décret militaire six des principales organisations de la société civile palestinienne œuvrant à la défense des droits humains dans le territoire palestinien occupé. Addameer, al-Haq, Bisan Center for Research and Development, Defense for Children Palestine, l’Union des comités de travail Agricole, et l’Union des comités des femmes palestiniennes sont des organisations qui avaient participé à la saisie de la CPI. Elles ont été désignées comme « terroristes » en vertu d’une loi israélienne de 2016 permettant leur interdiction, la saisie de leurs biens et l’arrestation des membres de leur personnel. Il est en outre interdit de financer ou d’exprimer publiquement un soutien à leurs activités.

Aujourd’hui, on note une certaine frilosité de la Cour pénale internationale à se saisir du dossier. Le nouveau procureur Karim Khan, dont le mandat a débuté en juin 2021, a pourtant été très actif dans le cadre du conflit russo-ukrainien, soutenu par les États-Unis qui ne sont pas signataires du statut de Rome. La Cour rechigne visiblement à faire avancer le dossier israélo-palestinien, et alimente de ce fait la critique du deux poids deux mesures qui lui est adressée. En novembre 2023, l’Afrique du Sud, Djibouti, le Bangladesh, la Bolivie et les Comores demandent ainsi à la CPI de se saisir de la situation actuelle en Palestine au Procureur. En décembre 2023, Karim Khan s’est rendu à Rafah. Il a alors rappelé aux parties au conflit leurs obligations au regard du droit international.

La Cour internationale de justice et la procédure de génocide

La CIJ, organe juridictionnel principal des Nations unies, a également été active depuis le 7 octobre, puisqu’elle a notamment été saisie par l’Afrique du Sud, qui allègue une violation de l’article 2 de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide. Contrairement à la Cour pénale internationale, qui juge les individus, la CIJ recherche la responsabilité des États. Le Hamas n’étant pas un État, il ne peut faire l’objet de la procédure dans cette enceinte.

La procédure enclenchée par l’Afrique du Sud est similaire à celle intentée par la Gambie devant la CIJ, en 2019 en faveur des Rohingya. Banjul avait déposé une plainte contre Naypyidaw, accusant la Birmanie de génocide à l’encontre de cette minorité musulmane. L’Afrique du Sud, poids lourd du continent africain et des BRICS, justifie sa démarche en rappelant que la Convention, adoptée le 9 décembre 1948, à Paris, au lendemain de la seconde guerre mondiale et de la Shoah, oblige les cent cinquante-deux États qui l’ont ratifiée à empêcher tout acte de génocide.

Cette procédure illustre d’ailleurs un autre aspect, qui s’il est subsidiaire n’en est pas moins important pour comprendre le rôle du droit international et sa pertinence sans cesse renouvelée. Il y a encore seulement quelques années, personne n’aurait pu imaginer à quel point les juridictions internationales allaient être mobilisées par les États. Que cet usage puisse être qualifié de stratégique n’enlève rien. Cela peut se lire non seulement dans la saisine de juridictions ou de mécanismes de mise en œuvre de toute branche du droit international, mais également de manière plus subtile dans les interventions d’un nombre croissant d’États dans les procédures internationales. Devant la seule CIJ, ce ne sont pas moins d’une centaine d’États qui sont impliqués d’une manière ou d’une autre, soit parce qu’ils sont parties à la procédure, soit parce qu’ils sont tiers intervenants.

La CIJ a également était saisie pour émettre un avis consultatif relatif aux conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. Treize États ont déposé des observations écrites. Le fait que le droit international soit perçu, et utilisé, comme un outil par ceux-là même qui l’ont élaboré et l’élaborent encore est bien le témoignage de sa vivacité. Ainsi, le choix d’Israël de se rendre à la CIJ dans le cadre de la saisine par l’Afrique du Sud sur la possibilité d’un génocide illustre un changement dans la politique de l’État hébreu. En creux, Israël reconnaît la légitimité de la Cour en acceptant de justifier légalement ses actions, ce qui n’avait pas été le cas dans l’affaire du mur en 2004.

La mise en lumière de ces procédures en raison des sujets sensibles dont elles ont à se saisir tient également à deux éléments : premièrement, l’accès à ces informations jusqu’alors réservées à un petit groupe confidentiel d’experts et d’expertes de ces matières et deuxièmement l’utilisation par les États de mécanismes qu’ils avaient jusqu’ici ignorés. Or, ce coup de projecteur produit alors un effet paradoxal. Alors que l’activité juridictionnelle internationale a toujours existé, aujourd’hui qu’elle est mise à jour dans cette ampleur, elle est abordée avec suspicion par les commentateurs.

Pourtant, elle a dans le passé conduit à la résolution de différends et a permis que soient opérés des changements qui ont eu, et ont encore, un réel impact en vue d’une meilleure réalisation des droits, en particulier au bénéfice des individus titulaires de droits et libertés garantis par le droit international. Les cas emblématiques du moment, auxquels s’ajoutent la complexité tout comme la technicité qu’ils véhiculent, ne doivent pas occulter toute l’œuvre de la justice internationale, qu’elle soit étatique ou individuelle, qui a conduit à des progrès tout à fait significatifs depuis en tout cas une vingtaine d’années.

Enfin, rappelons que le droit international s’incarne aussi dans les juridictions nationales, qui constituent un élément du maillage de la justice pénale internationale en cas de suspicion de crimes de guerre. Lorsqu’un crime a lieu à l’étranger, la justice française est notamment compétente si l’auteur ou la victime est français, de même qu’elle est compétente pour certains crimes internationaux, crimes de guerre, contre l’humanité, génocide, torture, par exemple, dans certaines conditions.

En l’occurrence, les juridictions françaises ont ainsi été saisies pour enquêter sur les 42 victimes françaises des attaques du Hamas, qu’elles aient été tuées ou prises en otages. De plus, plusieurs individus francophones ont déjà posté en ligne des vidéos qui laissent suggérer leur possible participation à des crimes internationaux, comme la destruction de bien de caractère civil. Les juridictions françaises pourraient avoir à s’en saisir.

Si certaines contraintes continuent de peser sur elle et sur un exercice plein et entier de la compétence universelle, la justice nationale française a déjà été mobilisée pour ces crimes commis lors de conflits armés. C’est notablement le cas en ce qui concerne les conflits au Rwanda et en Syrie. À cet égard, deux juges d’instruction ont ordonné en avril 2023 que trois hauts responsables du régime syrien de Bachar al Assad soient jugés aux assises pour la mort de deux citoyens franco-syriens, Mazzen Dabbagh et son fils Patrick, arrêtés en 2013.

Que le droit international soit gravement malmené et que des crimes soient commis par le Hamas et par Israël, doit-il conduire à conclure à l’impuissance du droit international ? Celui-ci est-il moribond ? Il nous semble au contraire qu’il faille le défendre pour au moins trois séries de raisons.

Le droit permet tout d’abord, nous l’avons dit, de lutter contre la désinformation, en fournissant un cadre précis pour qualifier les comportements. Le vocabulaire juridique (terrorisme, génocide, crime de guerre, crime contre l’humanité…) est précisément défini, ce qui en fait à la fois une ressource rhétorique utile pour exercer notre capacité de jugement, mais également une arme contre le brouillard informationnel qui caractérise aujourd’hui les conflits. Le droit permet, loin de la compétition entre les victimes ou les injonctions morales, de fournir un angle d’analyse pertinent et dépassionné.

Deuxièmement, certains États se sont emparés du droit international au point d’en faire une boussole de leur politique étrangère. Alors que le système international est marqué par une utilisation de la force armée désinhibée et un renouveau de la compétition entre puissances, la France a par exemple fait le choix d’indexer sa politique étrangère au droit international, comme en attestent sa Revue nationale stratégique de 2022 et sa « stratégie d’influence par le droit » de mars 2023. Un tel choix politique renforce la légitimité du droit international et souligne son rôle clé pour développer un système international juste et apaisé.

Troisièmement, il est impératif de décentrer le regard du conflit israélo-palestinien pour s’interroger sur le long terme des conséquences d’une « mort » annoncée du droit international. Le droit international humanitaire a vocation à limiter la violence de tous les conflits, et il est aujourd’hui décisif de rappeler son importance alors que les combats font rage, en Ukraine, mais aussi en République Démocratique du Congo, au Myanmar, au Yémen, au Soudan, en Syrie ou encore aux Philippines, et sans que cette liste ne soit exhaustive. Dire, parce que les violations dont il fait l’objet dans un conflit donné sont massives, que le droit est obsolète, impuissant ou désormais mort et sans objet, c’est l’annihiler tout entier, non seulement à Gaza, au profit des personnes qui ont cruellement besoin de cet ultime rempart, mais partout ailleurs dans le monde où des individus sont pris au piège des conflits armés.

Or, toutes ces personnes ont le droit de recevoir les protections qui leur sont dues lorsqu’elles font l’objet d’une privation de liberté, et en particulier de recevoir la visite d’organismes extérieurs dont le mandat est de s’assurer qu’elles sont traitées conformément au droit international. Toutes ces personnes ont le droit d’exiger que soit élucidé le sort des proches qui auraient disparu en raison du conflit. Toutes ces personnes ont le droit d’exiger la restitution des dépouilles de leurs proches, le cas échéant. Toutes ces personnes ont le droit de recevoir de l’aide humanitaire, toutes ces personnes ont le droit de ne pas être prises pour cible tant qu’elles ne prennent pas part aux hostilités et toutes ces personnes ont le droit que justice leur soit rendue en cas de violations. Clamer la mort du droit international c’est nier l’ensemble de ces droits, et bien d’autres, à toutes les personnes qui subissent les effets des conflits armés, où qu’elles se trouvent.

Enfin, il convient de ne pas perdre de vue que la guerre est de toute façon inhumaine et que le droit n’y peut, et n’y pourra, jamais rien de plus que de tenter de la rendre un peu moins terrible. Le droit international humanitaire n’a pas vocation à arrêter la guerre. Il cherche simplement, par les protections qu’il offre, à alléger, autant que faire se peut, les souffrances de celles et ceux qui subissent les conflits armés.


[1] Tribune de l’avocat William Bourdon, « Le droit international a succombé dans les gravats de Gaza », Libération, 10 décembre 2023 ; Chronique de Béligh Nabli, « Gaza, cimetière du droit international », L’Obs, 14 novembre 2023 ; Tribune de Béligh Nabli et Johann Soufi, « Le cimetière du droit international que représente Gaza marque la fin d’un monde », Le Monde, 25 janvier 2024 ; Laura-Julie Perreault, « Au chevet du droit international », La Presse, 21 novembre 2023.

Amélie Férey

Politiste, Chercheuse au Centre des Etudes de sécurité et coordinatrice de son Laboratoire de recherche sur la défense (LRD)

Julia Grignon

Juriste, Professeure à la faculté de droit de l'Université Laval

Notes

[1] Tribune de l’avocat William Bourdon, « Le droit international a succombé dans les gravats de Gaza », Libération, 10 décembre 2023 ; Chronique de Béligh Nabli, « Gaza, cimetière du droit international », L’Obs, 14 novembre 2023 ; Tribune de Béligh Nabli et Johann Soufi, « Le cimetière du droit international que représente Gaza marque la fin d’un monde », Le Monde, 25 janvier 2024 ; Laura-Julie Perreault, « Au chevet du droit international », La Presse, 21 novembre 2023.