La tâche de la critique, interpréter la littérature pour les deux moitiés du monde
En mémoire de ma collègue, Cécile Poisson.
«Ces violences, je m’en nourris », a pu protester Jean-Michel Maulpoix au tribunal, où sa poésie est restée impuissante à le disculper. L’article de Maxime DesGranges pour Zone critique pose pourtant la question qui fait mal : que dit ou fait la littérature qui oublie, occulte, excuse, voire glorifie la violence, jusqu’aux violences conjugales les plus brutales ?

L’article de DesGranges conclut sur l’éclairage nouveau des œuvres depuis la notoriété de la condamnation[1] pour rappeler la difficulté qu’il y a à démêler cette « intrication complexe entre les vies privée et professionnelle des créateurs ». Une tribune, signée par plus de 400 femmes de lettres appelait le 7 mars à un #metoo des facs et des lettres, ainsi qu’à des états généraux pour les femmes : il est aussi temps de comprendre ce que nous pouvons faire en tant que scientifiques spécialistes des textes.
Il ne s’agit en aucun cas de revenir sur les acquis de « La mort de l’auteur » de Barthes, ni d’interpréter les textes par les biographies ou les annales judiciaires. C’est, au plus, dans la catégorie des vérifications a posteriori que se range ce genre de détails, jamais décisifs, ni même significatifs pour l’interprétation des œuvres. Il reste, pourtant, une impression tenace : celle d’une corrélation entre les violences commises et l’art, qu’on aurait voulu en d’autres temps civilisateur, au moins autonome et détaché de ces sales contingences comme des basses manœuvres.
Pire : d’une même corrélation, qui pourrait former un continuum de violence(s) entre les textes que nous étudions, ce que nous en disons et ce que nous en taisons, avec ce qui se passe dans nos universités comme dans le monde : ce serait plutôt pour la sociologie. Reste l’idée qu’il y a, dans la façon dont nous pensons l’art, un effacement des conditions de production des œuvres comme de nos activités – ce qui inclut ces « violences » dont Maulpoix dit se « nourrir ». Ne remontons pas