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Chercher l’humanité : le monde, l’Afrique et la violence de la nature

Historien

Le 18 avril prochain se tiendra la Journée du Patrimoine mondial. Comme chaque année depuis 1982, l’évènement célèbre la Convention du Patrimoine mondial de l’humanité, créée dix ans plus tôt par l’Unesco pour protéger des sites à « valeur universelle exceptionnelle ». Mais cet « universel » a un goût amer pour les premiers concernés. Comme dans les parcs naturels d’Afrique, où des centaines de milliers de paysans sont violentés, criminalisés, appauvris, aujourd’hui encore.

Juin 2022, Loliondo, au nord de la Tanzanie. Quelques kilomètres à l’est du parc du Ngorongoro, la police tire à balles réelles sur les bergers masaï. Des gaz lacrymogènes sont lancés, des habitants frappés à coups de matraque. Le bilan dressé par Amnesty International fait état d’un policier tué, d’un habitant disparu, d’une quarantaine de blessés chez les bergers et d’une centaine d’arrestations. Amnesty condamne ces violences, ainsi que la menace qui pèse sur la survie de 70 000 Masaï, bientôt expulsés du Ngorongoro au nom de la protection de la nature.

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Survival International fustige à son tour la violence des autorités tanzaniennes. Mais l’ONG pointe aussi du doigt les institutions internationales de la conservation : l’Unesco, qui dicte les normes de la « bonne » gestion du Ngorongoro depuis son classement au Patrimoine mondial en 1979 ; et la Frankfurt Zoological Society (FZS), une organisation allemande qui finance le parc. Les accusés, eux, contestent. L’Unesco estime que les menaces humaines sur la nature sont bien réelles, mais elle affirme n’avoir « jamais demandé, à aucun moment, l’expulsion du peuple Maasaï ». La FZS évoque des usages de la terre destructeurs, mais elle déclare ne pas être impliquée dans ces violences, qu’elle « condamne fermement ». Quant au gouvernement tanzanien, il garantit travailler avec les populations locales pour protéger la nature et avec elle, le tourisme dont dépend la région.

Cette histoire se répète partout sur le continent. Depuis le début du XXe siècle, entre 1 et 14 millions d’agriculteurs et de bergers ont été expulsés des aires protégées africaines, la plupart reconnues par l’Unesco, la FZS, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ou le World Wide Fund for Nature (WWF). Évoquer la violence qui sévit dans la nature africaine n’est donc pas une opinion, c’est un fait avéré qui amène, inévitablement, à une question : qui est responsable ?

La question est simple mais si l’on veut y répond


[1] Les citations d’archives et les évènements décrits dans cet article sont extraits de : Guillaume Blanc, La nature des hommes. Une mission écologique pour « sauver » l’Afrique, La Découverte, 2024.

[2] Jean-François Bayart, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale n° 5, 1999, p. 98.

Guillaume Blanc

Historien , maître de conférences à l’université Rennes 2

Notes

[1] Les citations d’archives et les évènements décrits dans cet article sont extraits de : Guillaume Blanc, La nature des hommes. Une mission écologique pour « sauver » l’Afrique, La Découverte, 2024.

[2] Jean-François Bayart, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale n° 5, 1999, p. 98.