Politique

Vote RN : pourquoi le racisme compte

Politiste et sociologue

Contrairement à ce que laissent entendre certains discours de responsables politiques comme de chercheurs, le racisme est bien le déterminant social le plus fort du vote RN. Pour le comprendre, il faut analyser comment ce racisme transversal à la société s’articule à des propriétés sociales spécifiques pour venir se traduire dans un geste électoral en faveur de l’extrême droite.

Les enquêtes sur les motivations électorales individuelles soulignent dans leur majorité la centralité du racisme dans le vote pour le Rassemblement national (RN, ex-Front national). Les électeurs et électrices du RN se situent toujours aux sommets des « échelles d’ethnocentrisme » mises au point par la science électorale, qui mesurent l’ampleur, l’intensité et la récurrence des préjugés négatifs à l’encontre des minorités ethno-raciales[1].

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Ces instruments de mesure ne sont pas parfaits et présentent d’incontestables limites méthodologiques. Il n’en reste pas moins que les résultats qu’ils offrent, confirmés à chaque scrutin, doivent être regardés avec lucidité.

Cela n’est pas toujours le cas, y compris au sein d’une partie des travaux de sciences sociales sur le vote d’extrême droite, préférant mettre en avant d’autres causalités jugées davantage « sociales » – comme si le racisme n’était pas un fait proprement social, qui pouvait s’articuler à d’autres rapports sociaux.

Le racisme compte politiquement parce qu’il compte socialement

De 2016 à 2022, dans le cadre d’une enquête de terrain dans le sud-est de la France, j’ai mené des entretiens auprès d’électeurs et d’électrices ordinaires ayant déjà, ponctuellement ou régulièrement, déposé un bulletin « FN » ou « RN » dans l’urne. J’ai cherché à connaître leurs trajectoires de vie, leurs conditions matérielles d’existence, leurs jugements sur les façons dont le monde social fonctionne et devrait, à leurs yeux, fonctionner.

L’analyse des schèmes racistes structurant les discours récoltés s’est dès lors assez vite imposée comme incontournable. Sans réduire leurs propos à cette seule dimension, il n’en reste pas moins que le racisme y apparaissait, pour reprendre les mots du sociologue Stuart Hall, comme une « manière effective d’ordonner le monde » et « d’organiser l’action au quotidien »[2]. Le racisme possède une force sociale qui lui est propre, qui oriente les goûts et les dégoûts sociaux, et par continui


[1] Voir par exemple Nonna Mayer, Guillaume Roux, « Des votes xénophobes ? » dans Le nouveau désordre électoral. Les leçons du 21 avril 2002, Presses De Sciences Po, 2004, p. 97‑118 ; Anja Durovic, Nonna Mayer, « Un vent de renouveau ? La recomposition des gender gaps électoraux à l’élection présidentielle française de 2022 », Revue française de science politique, vol. 72, n°4, 2022, p. 463-484.

[2] Stuart Hall, Race, ethnicité, nation : Le triangle fatal, Amsterdam éditions, 1994, p. 29 et 63

[3] Céline Braconnier, Une autre sociologie du vote. Les électeurs dans leurs contextes : bilan critique et perspectives, Lextenso Éditions, 2010

[4] Pascal Perrineau, « Front national : l’écho politique de l’anomie urbaine », Esprit, 1988, p. 22‑38 ; Hervé Le Bras, Le pari du FN, Éditions Autrement, 2015.

[5] Pour une synthèse, voir Mirna Safi, Les inégalités ethno-raciales, La Découverte, 2013.

[6] Daniel Gaxie, « La fin des votes de classe ? », La Pensée, vol. 415, no. 3, 2023, p. 113-123 ; 124-136.

[7] Julia Cagé, Thomas Piketty, Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022, Seuil, 2023.

[8] Sur les débats, maintenant assez anciens, autour de cette question au sein des sciences sociales françaises, voir notamment Didier Fassin et Éric Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ?, La Découverte, 2006.

[9] Florent Gougou, 2015. « Les ouvriers et le vote Front National. Les logiques d’un réalignement électoral », dans Sylvain Crépon, Alexandre Dézé, Nonna Mayer (dir.), Les faux-semblants du Front national, Paris : Presses de Sciences Po, p. 323-344 ; Patrick Lehingue, 2023. « L’électorat du Front national. Retour sur deux ou trois “idées reçues” », dans Mauger G., Pelletier W. (dir.), Pourquoi tant de votes RN dans les classes populaires ?, Éditions du Croquant, p. 25-47.

[10] Claude Grignon, « Racisme et racisme de classe », Critiques sociales, no 2, 1991, p. 9.

[11] Sur le populisme épistémologique en sciences soc

Félicien Faury

Politiste et sociologue , Post-doctorant au Centre de recherches sociologiques sur le Droit et les institutions pénales

Notes

[1] Voir par exemple Nonna Mayer, Guillaume Roux, « Des votes xénophobes ? » dans Le nouveau désordre électoral. Les leçons du 21 avril 2002, Presses De Sciences Po, 2004, p. 97‑118 ; Anja Durovic, Nonna Mayer, « Un vent de renouveau ? La recomposition des gender gaps électoraux à l’élection présidentielle française de 2022 », Revue française de science politique, vol. 72, n°4, 2022, p. 463-484.

[2] Stuart Hall, Race, ethnicité, nation : Le triangle fatal, Amsterdam éditions, 1994, p. 29 et 63

[3] Céline Braconnier, Une autre sociologie du vote. Les électeurs dans leurs contextes : bilan critique et perspectives, Lextenso Éditions, 2010

[4] Pascal Perrineau, « Front national : l’écho politique de l’anomie urbaine », Esprit, 1988, p. 22‑38 ; Hervé Le Bras, Le pari du FN, Éditions Autrement, 2015.

[5] Pour une synthèse, voir Mirna Safi, Les inégalités ethno-raciales, La Découverte, 2013.

[6] Daniel Gaxie, « La fin des votes de classe ? », La Pensée, vol. 415, no. 3, 2023, p. 113-123 ; 124-136.

[7] Julia Cagé, Thomas Piketty, Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022, Seuil, 2023.

[8] Sur les débats, maintenant assez anciens, autour de cette question au sein des sciences sociales françaises, voir notamment Didier Fassin et Éric Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ?, La Découverte, 2006.

[9] Florent Gougou, 2015. « Les ouvriers et le vote Front National. Les logiques d’un réalignement électoral », dans Sylvain Crépon, Alexandre Dézé, Nonna Mayer (dir.), Les faux-semblants du Front national, Paris : Presses de Sciences Po, p. 323-344 ; Patrick Lehingue, 2023. « L’électorat du Front national. Retour sur deux ou trois “idées reçues” », dans Mauger G., Pelletier W. (dir.), Pourquoi tant de votes RN dans les classes populaires ?, Éditions du Croquant, p. 25-47.

[10] Claude Grignon, « Racisme et racisme de classe », Critiques sociales, no 2, 1991, p. 9.

[11] Sur le populisme épistémologique en sciences soc