Ce que la guerre fait au Soudan
Voici plus de treize mois que deux généraux ont entrepris de désintégrer le Soudan. Bien sûr, ils se récrieraient face à une telle affirmation, chacun arguant vouloir sauver le pays, la nation, le peuple. Pourtant la guerre qu’ils se mènent est bel et bien une entreprise de désintégration du pays.

Territoriale, d’abord. « J’ai le sentiment que nous avons déjà perdu le Soudan, nous a affirmé avec une insondable tristesse Sojoud El Garrai, activiste, féministe, engagée dans le travail humanitaire, et aujourd’hui exilée à Kampala, capitale de l’Ouganda. Le pays est coupé en deux, physiquement et dans les esprits. » La ligne de séparation des belligérants court, en gros, du nord au sud. A l’est, les Forces armées soudanaises (SAF, selon l’acronyme anglais couramment usité), dirigées par le général Abdelfattah al-Bourhan, proche des cercles islamistes du régime d’Omar al-Bachir, le dictateur renversé en avril 2019. À l’ouest, les Forces de soutien rapide (RSF), du général Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemetti, issu d’une tribu de nomades éleveurs de bétail de l’ouest du pays, et surtout ancien chef des janjawid, miliciens supplétifs de Khartoum pendant la guerre du Darfour à partir de 2004.
D’avril 2023 à décembre 2023, le front a peu bougé. Chacun des belligérants a consolidé ses positions dans ses fiefs : RSF au Darfour et SAF à l’est et au nord. Mi-décembre, les RSF ont effectué une percée importante vers l’est, « avalant » l’État de la Gezira, et portant le fer et le feu en terre SAF. Un traumatisme pour la population, d’autant que l’armée s’est retirée sans combattre. Cette ligne qui sépare les deux belligérants correspond, à grands traits, à la division historique, géographique et ethnique des deux forces en présence. Les RSF sont issues des tribus arabes de la province occidentale, ainsi désignées car leur langue maternelle est l’arabe et qu’elles prétendent descendre d’un même ancêtre. Ce qui les différencie des communautés non arabes de la même région. Le