International

La « reine » Giorgia, le RN et le souvenir de Giacomo Matteotti

Historienne

Le 30 mai, le gouvernement néofasciste italien a commémoré le dernier discours de Matteotti, député socialiste assassiné par les fascistes le 10 juin 1924. Un « hommage » utilisant son souvenir contre les valeurs mêmes qu’il défendait. Et ainsi piqûre de rappel, à l’adresse de la droite française quand elle fait de Meloni un modèle pour le RN, quant aux intentions de l’extrême-droite élue au Parlement européen. Mais la guerre des mémoires n’est pas perdue.

Les dernières élections européennes ont marqué la victoire du Rassemblement national (RN) en France, de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) en Allemagne, du Parti de la Liberté d’Autriche (FPÖ), et même de Fratelli d’Italia (FdI), le parti de Giorgia Meloni qui a dépassé de près de trois points le score obtenu aux législatives de septembre 2022. Les votes qui se sont exprimés ne peuvent être considérés comme de simples incidents de parcours, mais comme le révélateur d’une transformation en profondeur du paysage et de l’imaginaire politique et culturel européen sur fond de crise sociale, d’urgence environnementale, de guerre et de désespérance.

publicité

Au milieu de ce marasme, alors qu’Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale, les regards se tournent vers l’Italie de Giorgia Meloni qui, selon les dires de cette dernière, serait dorénavant le seul pays politiquement stable parmi les grandes puissances européennes ; et qu’importe si son parti a perdu près de 10% des voix dans un contexte de forte abstention, depuis les élections législatives de 2022, passant de 7,4 millions à 6,7 millions, et qu’il est le premier arrivé en tête aux élections européennes depuis près de 30 ans à passer en-dessous de la barre des 30% (on se souvient que le Parti Démocrate (PD) de Matteo Renzi avait obtenu plus de 40% des voix en 2014 et la Lega de Matteo Salvini plus de 34% en 2019).

L’Italie de Meloni est de plus en plus souvent présentée comme un exemple à suivre par un large échantillon de la presse de droite française qui en appelle à une « melonisation » du Rassemblement national. Après tout la « reine Meloni », comme l’a rebaptisée le quotidien italien Corriere della Sera, n’est-elle pas la seule à arborer un large sourire lors d’un G7 de leaders affaiblis en profitant pour réclamer que « le poids de l’Italie soit enfin reconnu » ? Et tant pis si l’avortement libre et gratuit et les droits des personnes LGBTIQA ont disparu de la résolution finale du G7. L


[1] « Tornata di venerdì 30 maggio 1924 », Atti parlamentari. Legislatura XXVII, 1 sessione, Discussioni, Camera dei deputati, p. 58.

[2] Daniel Bensaïd, La Discordance des temps. Essai sur les crises, les classes, l’histoire, Les Éditions de la Passion, 1995, p. 273.

Stéfanie Prezioso

Historienne, Professeure à l’Université de Lausanne

Notes

[1] « Tornata di venerdì 30 maggio 1924 », Atti parlamentari. Legislatura XXVII, 1 sessione, Discussioni, Camera dei deputati, p. 58.

[2] Daniel Bensaïd, La Discordance des temps. Essai sur les crises, les classes, l’histoire, Les Éditions de la Passion, 1995, p. 273.