Société

L’islam dans les procès de terrorisme

Sociologue et juriste

Les procès de terrorisme ont amené la justice à traiter de la question religieuse, la radicalité islamiste d’auteurs d’infractions terroristes s’invitant dans les débats. Comment la justice prend-elle en compte cet élément ? Quelle place accorde-t-elle à la religion dans l’analyse des faits, comme dans la chronologie des audiences ? Trois scènes judiciaires – le tribunal pour enfants statuant en matière terroriste, le procès V13, et le procès des attentats de Bruxelles – donnent à voir trois regards sur ces questions.

L’institution judiciaire française n’aborde généralement les questions de religion qu’avec les plus extrêmes précautions, les passant volontiers sous silence, voire les maniant comme une sorte de tabou. L’accueil réservé récemment par des magistrats à une recherche sur ce sujet en témoigne : « Vous ne trouverez pas grand-chose… », et « La religion n’a pas sa place dans la justice laïque, la justice de la République ».

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Dans au moins un domaine toutefois, la justice ne peut faire l’impasse sur la religion : il s’agit de cet ensemble de procès aujourd’hui dénommés « procès terroristes ». Le terrorisme dont il est question, également qualifié de « djihadiste », présente en effet la particularité de se revendiquer d’une religion, l’islam. Dans ces procès, la notion de « radicalisation » (sous-entendu, religieuse) s’invite dans les débats. La question est alors de savoir comment la justice va se saisir de cet élément, quelle place elle va lui accorder. Trois scènes judiciaires différentes ont été l’occasion d’observer plusieurs facettes, relativement contrastées, de ce traitement : le tribunal pour enfants statuant en matière terroriste, le procès des attentats de novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, dit V13, et le procès des attentats commis le 22 mars 2016 à l’aéroport de Zaventem et dans le métro bruxellois.

Le tribunal pour enfants représente une situation un peu particulière, par rapport aux deux autres scènes, en raison de la moindre gravité des faits jugés, commis par des mineur.es. Ils et elles sont cependant pareillement poursuivi.es pour association de malfaiteurs terroriste (AMT) : deux jeunes filles pour avoir participé à un groupe Telegram encourageant le départ en Syrie et diffusé des vidéos de propagande de l’organisation État islamique ; une autre mineure pour avoir entretenu une correspondance virtuelle avec un détenu converti qui allait mourir « en martyr » sur zone ; un jeune Tchétchène, accusé d’avoir préparé la revendication d’un attentat (


[1] Voir Anne Wyvekens, « Il est musulman comme nous ou musulman normal ? », Politika, 15 juin 2022. Allusion à une audience correctionnelle d’AMT observée au cours d’une autre recherche et à la question posée par une inculpée à propos d’un autre inculpé.

[2] Antoine Mégie, Charlotte Piret, Florence Sturm et Benoît Peyrucq, Chroniques d’un procès du terrorisme. L’affaire Merah, Paris, La Martinière, 2019, p. 47 : « Le président avait prévu de remettre à plus tard la question de l’engagement religieux d’Abdelkader Merah. Et son avocat, Éric Dupond-Moretti, s’en offusque : “Vous excluez la religion de la personnalité, cela veut dire que vous en faites un élément à charge.” » / Voir également Christiane Besnier, Sharon Weill, Antoine Mégie, Denis Salas, Les Filières djihadistes en procès, rapport pour la Mission de recherche Droit et Justice, décembre 2019, pp. 95 et s.

[3] La formule est de Pascale Robert-Diard, Le Monde, 6 novembre 2021.

[4] Selon l’expression de Julie Brafman dans Libération, 12 janvier 2022.

[5] Me Fanny Vial, audience du 1er février 2022.

[6] Audience du 8 février 2022.

[7] Emmanuel Carrère, V13, P.O.L., 2022, p. 193.

[8] Voir Bernard Lahire, Pour la sociologie. Et pour en finir avec une prétendue “culture de l’excuse”, Paris, La Découverte, 2016 : « On prête [aux sciences sociales] (…) parfois, par pure méconnaissance, des intentions ou des défauts qu’elles n’ont pas. On confond leur travail de description et d’interprétation avec, selon les cas, un travail de justification ou de dénonciation : lorsqu’elles donnent à comprendre des actes moralement ou juridiquement condamnables, on les soupçonne d’excuser ; lorsqu’elles énoncent des états de fait qui fâchent (inégalités, dominations, etc.), on leur reproche de dénoncer. »

[9] Alain Grignard est décédé en cours de procès.

[10] Le code pénal belge contient une disposition, l’article 141 bis, qui exclut l’application des dispositions criminalisant le terrorisme, au profit d’une application du droit

Anne Wyvekens

Sociologue et juriste, Directrice de recherche au CNRS

Notes

[1] Voir Anne Wyvekens, « Il est musulman comme nous ou musulman normal ? », Politika, 15 juin 2022. Allusion à une audience correctionnelle d’AMT observée au cours d’une autre recherche et à la question posée par une inculpée à propos d’un autre inculpé.

[2] Antoine Mégie, Charlotte Piret, Florence Sturm et Benoît Peyrucq, Chroniques d’un procès du terrorisme. L’affaire Merah, Paris, La Martinière, 2019, p. 47 : « Le président avait prévu de remettre à plus tard la question de l’engagement religieux d’Abdelkader Merah. Et son avocat, Éric Dupond-Moretti, s’en offusque : “Vous excluez la religion de la personnalité, cela veut dire que vous en faites un élément à charge.” » / Voir également Christiane Besnier, Sharon Weill, Antoine Mégie, Denis Salas, Les Filières djihadistes en procès, rapport pour la Mission de recherche Droit et Justice, décembre 2019, pp. 95 et s.

[3] La formule est de Pascale Robert-Diard, Le Monde, 6 novembre 2021.

[4] Selon l’expression de Julie Brafman dans Libération, 12 janvier 2022.

[5] Me Fanny Vial, audience du 1er février 2022.

[6] Audience du 8 février 2022.

[7] Emmanuel Carrère, V13, P.O.L., 2022, p. 193.

[8] Voir Bernard Lahire, Pour la sociologie. Et pour en finir avec une prétendue “culture de l’excuse”, Paris, La Découverte, 2016 : « On prête [aux sciences sociales] (…) parfois, par pure méconnaissance, des intentions ou des défauts qu’elles n’ont pas. On confond leur travail de description et d’interprétation avec, selon les cas, un travail de justification ou de dénonciation : lorsqu’elles donnent à comprendre des actes moralement ou juridiquement condamnables, on les soupçonne d’excuser ; lorsqu’elles énoncent des états de fait qui fâchent (inégalités, dominations, etc.), on leur reproche de dénoncer. »

[9] Alain Grignard est décédé en cours de procès.

[10] Le code pénal belge contient une disposition, l’article 141 bis, qui exclut l’application des dispositions criminalisant le terrorisme, au profit d’une application du droit