Forêt et finance : la fin des bons pères de famille
L’approche de l’adaptation des écosystèmes forestiers au dérèglement climatique est bien documentée par les sciences de l’environnement. En revanche, les changements économiques et sociaux qui affectent les forêts françaises sont souvent minorés.

Pourtant, « l’espace forestier […] est un des lieux où les tendances les plus lourdes d’une société se donnent libre cours »[1]. En France, la forêt privée[2] est donc un espace privilégié pour appréhender le processus de financiarisation de la ressource forestière. Aujourd’hui, les fonds d’investissement s’allient aux propriétaires les plus fortunés pour capter la rente forestière au détriment des petits propriétaires qui géraient jusqu’alors leur forêt « en bon père de famille », selon l’expression consacrée.
Dans La Grande transformation, Karl Polanyi décrit comment l’avènement du capitalisme opère une bascule du pouvoir de la sphère politique vers la sphère économique dans des sociétés où la terre, la monnaie, et les hommes sont désormais soumis aux lois du marché. Par la rente spatiale qu’elle offre, la forêt française est caractéristique de ce phénomène. L’incorporation de la logique financière dans le domaine de la gestion forestière transforme la forêt en simple actif, comme un bien immatériel prêt à être échangé sur les marchés. À bas bruit, disparaît alors la figure du propriétaire forestier, gestionnaire « en bon père de famille » de son domaine, archétype paternaliste et vieillissant du propriétaire terrien attaché à la conservation du paysage et à la production raisonnée de bois. Néanmoins, bien qu’ils soient de plus en plus assujettis aux normes productivistes des coopératives forestières, ces propriétaires traditionnels bénéficient encore d’une grande autonomie dans la gestion de leur patrimoine.
Loin de la bifurcation du modèle économique qu’impose l’accélération du changement climatique, la financiarisation de la forêt ouvre la voie à une « accumulation par dépossession »[3], sous forme de concent