International

Cameroun : le régime d’attente

Sociologue et historien

Au Cameroun, l’absence actuelle du président Paul Biya confirme l’impatience de la société camerounaise en quête de changement, suspendue au temps d’un seul homme depuis près de quarante ans. Cette culture de l’attente pèse sur le quotidien des citoyens, travaillant les imaginaires et nourrissant le délitement social et institutionnel du pays. À l’approche de l’élection présidentielle, la question est donc devenue urgente : quelle heure est-il sur l’horloge du Cameroun ?

Cela fait plus de quarante jours que les Camerounais sont sans nouvelles de Paul Biya, président de la République depuis le 6 novembre 1982.

En quarante-deux années de règne, jamais le président camerounais ne s’était aussi longuement absenté, alors que ses séjours privés répétés à Genève (plus de cinq ans au total selon l’OCCRP) sont de l’ordre des routines de son pouvoir. La durée de son absence comme celle de son règne produisent plus que par le passé, des discours sur la vacance du pouvoir[1] et confirment l’impatience généralisée d’un pays qui demande l’avènement d’une vraie société nouvelle.

Face à l’incertitude persistante autour de la santé du président et au moment où d’énièmes rumeurs l’annoncent une nouvelle fois mort, de nombreux internautes ont mis en scène « la veillée sans corps de Paul Biya », pleurant et s’inquiétant d’un départ « précoce » et ses conséquences pour la stabilité du pays.

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Quelles que soient les interprétations de cette demande sociale d’informations claires sur la santé du président, et donc sur le corps même du pouvoir, la question de sa capacité à rester aux commandes d’un pays aussi fragile que divers, traduit une grande inquiétude sur les possibles de ce long règne.

Et, comme l’explique Alexander Motyl[2] dans son étude sur les déclins impériaux, ces moments critiques surviennent lorsque l’impatience est performée comme une force de changement social. Je propose ici d’explorer la situation camerounaise par le régime d’attente dans lequel elle se trouve, car le long règne de Paul Biya, qu’il soit à son crépuscule ou non, est un laboratoire de la manière dont un pouvoir éprouve le temps[3].

L’attente d’une fin de règne produit et gouverne (par) l’absence

En 2015 à Yaoundé, face à la presse et en compagnie de François Hollande, alors président français, Paul Biya ironisait sur sa longévité à la tête de l’État et l’éventualité d’une nouvelle candidature à la présidentielle de 2018 : « ne dure pas au pouvoir qui veut mais qui


[1] Un avocat camerounais a saisi le Conseil constitutionnel pour constater la vacance du pouvoir, Paul Biya ayant passé plus de quarante-cinq jours hors du pays.

[2] Alexander Motyl, Imperial Ends : The Decay, Collapse, and Revival of Empire, New York, Columbia University Press, 2001.

[3] Pierre Bourdieu parle de l’attente comme manière d’éprouver le pouvoir. Voir Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997 qui a inspiré le numéro 250 des Actes de la recherche en sciences sociales, éd. de l’EHESS et Seuil, 2023.

[4] Michel Lussault, estime que la lutte des places a remplacé la lutte des classes. Il développe l’idée d’une spatialisation de l’individu de laquelle je m’inspire ici, sans nécessairement réduire l’espace au lieu mais en l’élargissant à la position qu’il occupe dans la hiérarchie et la cartographie des postes administratifs. Voir M. Lussault, De la lutte des classes à la lutte des places, Paris, Grasset, 2009.

[5] George Macaire Eyenga, Gaetan Omgba Mimboe, Joseph Fabrice Bindzi, « Être sans-papiers chez soi ? Les mésaventures de l’encartement biométrique au Cameroun », Critique internationale, n° 97, 2022, p. 113-134.

[7] Charles Reveillere, Pierre-Antoine Chauvin, « Politiques de l’attente. Patient.es et puissant.es de la domination temporelle », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 250, Paris, Seuil/EHESS, 2023.

[8] Achille Mbembe, De la postcolonie, Paris, La Découverte, 2020.

[9] Rob Nixon, Slow Violence and the Environmentalism of the Poor, Cambridge, Harvard University Press, 2011.

[10] Brice Molo, « The Eséka train disaster as a witchcraft collective action: a socio-historical perspective on anger », Africa, vol. 94, iss. 3, sous presse.

Brice Molo

Sociologue et historien, Doctorant à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et à l’Université de Yaoundé I

Notes

[1] Un avocat camerounais a saisi le Conseil constitutionnel pour constater la vacance du pouvoir, Paul Biya ayant passé plus de quarante-cinq jours hors du pays.

[2] Alexander Motyl, Imperial Ends : The Decay, Collapse, and Revival of Empire, New York, Columbia University Press, 2001.

[3] Pierre Bourdieu parle de l’attente comme manière d’éprouver le pouvoir. Voir Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997 qui a inspiré le numéro 250 des Actes de la recherche en sciences sociales, éd. de l’EHESS et Seuil, 2023.

[4] Michel Lussault, estime que la lutte des places a remplacé la lutte des classes. Il développe l’idée d’une spatialisation de l’individu de laquelle je m’inspire ici, sans nécessairement réduire l’espace au lieu mais en l’élargissant à la position qu’il occupe dans la hiérarchie et la cartographie des postes administratifs. Voir M. Lussault, De la lutte des classes à la lutte des places, Paris, Grasset, 2009.

[5] George Macaire Eyenga, Gaetan Omgba Mimboe, Joseph Fabrice Bindzi, « Être sans-papiers chez soi ? Les mésaventures de l’encartement biométrique au Cameroun », Critique internationale, n° 97, 2022, p. 113-134.

[7] Charles Reveillere, Pierre-Antoine Chauvin, « Politiques de l’attente. Patient.es et puissant.es de la domination temporelle », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 250, Paris, Seuil/EHESS, 2023.

[8] Achille Mbembe, De la postcolonie, Paris, La Découverte, 2020.

[9] Rob Nixon, Slow Violence and the Environmentalism of the Poor, Cambridge, Harvard University Press, 2011.

[10] Brice Molo, « The Eséka train disaster as a witchcraft collective action: a socio-historical perspective on anger », Africa, vol. 94, iss. 3, sous presse.