International

Murer les frontières est un échec

Politiste

À la fin de la guerre froide, une douzaine de murs délimitaient les frontières du monde ; aujourd’hui, on en recense 74. L’emmurement est devenu la norme, et l’étudier c’est interroger le multilatéralisme, les formes de protection des États, nos rapports à la migration, à la guerre, au droit. Le mur parle plus des sociétés qui s’emmurent qu’il ne résout les dangers globaux. Alors, quelles alternatives envisager ?

Il y a trente-cinq ans, à Berlin le 9 novembre 1989, des scènes d’euphorie accompagnaient la chute du mur. Élément iconique du « rideau de fer » qui séparait alors l’Europe, ce mur de briques et de barbelés érigé en une nuit en août 1961 avait pour but d’empêcher les départs vers l’Ouest. Son perfectionnement devint la marque de la République démocratique d’Allemagne à tel point qu’en 1989 un « mur high-tech 2000 » était à l’étude. Une douzaine de murs hérissait alors les frontières et territoires disputés au sortir de la guerre froide. Aujourd’hui, on en dénombre soixante-quatorze.

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Ériger des murs est aujourd’hui la norme plus que l’exception. Les géographes savent les catégoriser en fonction de leur coût, de leur sophistication mais aussi de leurs finalités professées : ici délimiter une zone de cessez-le-feu (Corées, Chypre, Sahara Occidental, Géorgie, Cachemire), là empêcher l’intrusion de combattants (Turquie, Israël, Inde, Arabie Saoudite, Pakistan), ou lutter contre l’immigration dite « clandestine » (Pologne, Hongrie, Espagne, France, Grèce, Inde) et la contrebande d’armes ou de drogues (États-Unis, Chine/Birmanie). Certains murs sont situés en zone de guerre, sur des territoires contestés, d’autres entre deux États en paix. Certains se limitent à des grillages barbelés (Botswana) ou des blocs de béton (Jérusalem), d’autres à des déploiements de technologies « virtuelles » (Union européenne) ou d’importantes patrouilles maritimes (Australie).

Se focaliser sur la matérialité des murs peut faire oublier qu’ils font partie de dispositifs[1] de sécurité comprenant également des postes de contrôle, des technologies diverses, des centres d’enfermement, des lois, procédures et règlements régissant l’accès à un territoire mais aussi des discours et des représentations de séparation le justifiant. À la fois infrastructure, pratique et discours, les murs contemporains ont pour dénominateur commun leur fonction d’obstacle, de contrôle et de filtrage des mobil


[1] Évelyne Ritaine, « La barrière et le checkpoint : mise en politique de l’asymétrie », Cultures & Conflits, vol. 73, no. 1, 2009, p. 15-33.

[2] Carolina Kobelinsky, Filippo Furri, Relier les rives. Sur les traces des morts en Méditerranée, Paris, La découverte, 2024.

[3] Douglas S. Massey, “Immigration policy mismatches and counterproductive outcomes: unauthorized migration to the US in two eras”, Comparative Migration Studies, 2020, vol. 8, n° 1, p. 1-27.

[4] Damien Simonneau, L’obsession du mur. Politique de militarisation des frontières en Israël et en Arizona, Peter Lang, 2020.

[5] Stéphanie Latte-Abdallah & Cédric Parizot (dir)., Israël-Palestine, l’illusion de la séparation, Aix-en-Provence, PUP, 2017.

[6] Johan Galtung, “Violence, peace, and peace research”, Journal of peace research, 6.3, 1969, p. 167-191.

[7] Julian Fernandez et Jean-Vincent Holeindre (dir.), Nations désunies ? La crise du multilatéralisme dans les relations internationales, Paris, CNRS Éditions, 2022.

[8] Antoine Pécoud, “Narrating an ideal migration world? An analysis of the Global Compact for Safe, Orderly and Regular Migration”, Third World Quarterly, 42:1, 2021, p. 16-33.

[9] Catherine Wihtol De Wenden, Faut-il ouvrir les frontières?, Paris, Presses de Sciences-Po, 3ème édition, 2017.

[10] Donnatella Della Porta (ed.), Solidarity Mobilizations During the ‘Refugee Crisis’: Contentious Moves, Londres, Palgrave Macmillan, 2018.

[11] Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky & Alexandra Galitzine-Loumpet (dir)., Lingua (non) grata. Langues, violences et résistances dans les espaces de la migration, Paris, Presses de l’INALCO, 2022.

Damien Simonneau

Politiste , Maître de conférences en science politique à l’Institut National des Langues et des Civilisations Orientales (INALCO)

Notes

[1] Évelyne Ritaine, « La barrière et le checkpoint : mise en politique de l’asymétrie », Cultures & Conflits, vol. 73, no. 1, 2009, p. 15-33.

[2] Carolina Kobelinsky, Filippo Furri, Relier les rives. Sur les traces des morts en Méditerranée, Paris, La découverte, 2024.

[3] Douglas S. Massey, “Immigration policy mismatches and counterproductive outcomes: unauthorized migration to the US in two eras”, Comparative Migration Studies, 2020, vol. 8, n° 1, p. 1-27.

[4] Damien Simonneau, L’obsession du mur. Politique de militarisation des frontières en Israël et en Arizona, Peter Lang, 2020.

[5] Stéphanie Latte-Abdallah & Cédric Parizot (dir)., Israël-Palestine, l’illusion de la séparation, Aix-en-Provence, PUP, 2017.

[6] Johan Galtung, “Violence, peace, and peace research”, Journal of peace research, 6.3, 1969, p. 167-191.

[7] Julian Fernandez et Jean-Vincent Holeindre (dir.), Nations désunies ? La crise du multilatéralisme dans les relations internationales, Paris, CNRS Éditions, 2022.

[8] Antoine Pécoud, “Narrating an ideal migration world? An analysis of the Global Compact for Safe, Orderly and Regular Migration”, Third World Quarterly, 42:1, 2021, p. 16-33.

[9] Catherine Wihtol De Wenden, Faut-il ouvrir les frontières?, Paris, Presses de Sciences-Po, 3ème édition, 2017.

[10] Donnatella Della Porta (ed.), Solidarity Mobilizations During the ‘Refugee Crisis’: Contentious Moves, Londres, Palgrave Macmillan, 2018.

[11] Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky & Alexandra Galitzine-Loumpet (dir)., Lingua (non) grata. Langues, violences et résistances dans les espaces de la migration, Paris, Presses de l’INALCO, 2022.