Écologie

Les mobilités liées au travail dans l’angle mort des politiques de transition écologique

Sociologue et politiste , Ingénieur et historien, Économiste

Les déplacements professionnels sont responsables d’une part majeure des émissions de carbone du secteur du transport, le plaçant en tête des pollueurs de France. Pourtant, la décarbonation des mobilités du travail est encore laissée aux mains de régulations privées et de niches fiscales pour les employeur.euses, là où elle pourrait être encadrée par des règles contraignantes, qui permettraient aux partenaires sociaux de lier leurs intérêts à la réduction des mobilités. Les leviers d’action sont – ou pourraient-être – nombreux.

Fixée pour 2050, la neutralité carbone est une ambition inscrite dans la loi[1], en écho à l’Accord de Paris (COP21). Depuis 2015, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) esquisse une feuille de route pour atteindre progressivement cette neutralité, en réduisant de manière drastique les émissions de gaz à effet de serre. Si la crise climatique est désormais un problème public qui se traduit par des objectifs chiffrés, la stratégie pour y répondre reste encore à identifier[2]. Quantitativement, les mobilités occupent une place centrale, notamment celles liées au travail.

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Nous montrons toutefois, dans une enquête réalisée pour le Forum Vies Mobiles, que la mise à l’agenda de la décarbonation des déplacements n’a rien d’évident au sein des organisations (entreprises, administrations, associations…). Alors que de récents dispositifs sont déployés à l’attention des employeur∙euses, la baisse des émissions de CO2 des mobilités liées au travail se heurte à de puissants mécanismes de déresponsabilisation, qu’ils soient liés à la primauté des objectifs économiques court-termistes, aux habitudes de traitement des enjeux dits sociétaux ou environnementaux ou encore au cadrage des négociations menées entre partenaires sociaux.

Les mobilités liées au travail : un sujet d’importance pour baisser les émissions de gaz à effet de serre

Secteur émettant le plus de gaz à effet de serre en France – 31 % en 2019 (rapport Citepa 2022) –, le transport est le seul secteur ayant poursuivi la croissance de ses émissions depuis 1990, malgré une légère stagnation depuis la fin des années 2000[1].

Les émissions du secteur des transports résultent à 94 % du transport routier, 4,4 % du transport aérien et moins de 2 % pour le transport ferroviaire, le transport fluvial et maritime intérieur et les deux roues. Pour le transport routier, plus de la moitié des émissions proviennent des véhicules particuliers, 24 % des poids lourds, 20 % des véhicules utilitaires légers (moins de 3,5 tonn


[1] Nous pouvons par exemple mentionner la loi nᵒ 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ou encore la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat.

[2] François-Mathieu Poupeau, L’État en quête d’une stratégie énergie-climat, Presses des Mines, Sciences sociales, 2023.

[3] Aurélien Bigo, Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement., Institut polytechnique de Paris, 2020.

[4] Virginie Boutueil, Towards a Sustainable Mobility System: Leveraging Corporate Car Fleets to Foster Innovation, Champs-sur-Marne, Université Paris-Est, 2015.

[5] Lucas Chancel, « Global carbon inequality over 1990–2019 », Nature Sustainability, novembre 2022, vol. 5, no 11, p. 931‑938 ; Valérie Deldrève, Pour une sociologie des inégalités environnementales, Bruxelles, Peter Lang, 2015 ; Diana Ivanova et Richard Wood, « The unequal distribution of household carbon footprints in Europe and its link to sustainability », Global Sustainability, janvier 2020, vol. 3.

[6] David Caubel, « Politique de transports et accès à la ville pour tous ? Une méthode d’évaluation appliquée à l’agglomération lyonnaise », Les Annales de la recherche urbaine, 2012, vol. 107, no 1, p. 36‑45 ; Emre Korksu et Sandrine Wenglenski, « Job Accessibility, Residential Segregation and Risk of Long-term Unemployment in the Paris Region », Urban Studies, 2010, vol. 47, no 11, p. 2279‑2324.

[7] Nous regroupons sous ce terme un ensemble de comportements réputés vertueux pour l’environnement et renvoyant à un engagement revendiqué des individus dans différents contextes sociaux, à l’instar de la sphère professionnelle.

[8] Étienne Faugier et Antoine Lévêque, « Les mobilités métropolitaines avant la « Métropole » : socio-histoire des transports périphériques dans l’agglomération lyonnaise », in Aurélie Mercier et Roelof Verhage (dir.), Lyon, métropole en mou

Antoine Lévêque

Sociologue et politiste , Maître de conférences à l’université Paris Dauphine-PSL

Arnaud Passalacqua

Ingénieur et historien, professeur des universités à l’École d'urbanisme de Paris (Université Paris-Est, Créteil)

Philippe Poinsot

Économiste, Maître de conférences à l’École d’Urbanisme de Paris

Notes

[1] Nous pouvons par exemple mentionner la loi nᵒ 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ou encore la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat.

[2] François-Mathieu Poupeau, L’État en quête d’une stratégie énergie-climat, Presses des Mines, Sciences sociales, 2023.

[3] Aurélien Bigo, Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement., Institut polytechnique de Paris, 2020.

[4] Virginie Boutueil, Towards a Sustainable Mobility System: Leveraging Corporate Car Fleets to Foster Innovation, Champs-sur-Marne, Université Paris-Est, 2015.

[5] Lucas Chancel, « Global carbon inequality over 1990–2019 », Nature Sustainability, novembre 2022, vol. 5, no 11, p. 931‑938 ; Valérie Deldrève, Pour une sociologie des inégalités environnementales, Bruxelles, Peter Lang, 2015 ; Diana Ivanova et Richard Wood, « The unequal distribution of household carbon footprints in Europe and its link to sustainability », Global Sustainability, janvier 2020, vol. 3.

[6] David Caubel, « Politique de transports et accès à la ville pour tous ? Une méthode d’évaluation appliquée à l’agglomération lyonnaise », Les Annales de la recherche urbaine, 2012, vol. 107, no 1, p. 36‑45 ; Emre Korksu et Sandrine Wenglenski, « Job Accessibility, Residential Segregation and Risk of Long-term Unemployment in the Paris Region », Urban Studies, 2010, vol. 47, no 11, p. 2279‑2324.

[7] Nous regroupons sous ce terme un ensemble de comportements réputés vertueux pour l’environnement et renvoyant à un engagement revendiqué des individus dans différents contextes sociaux, à l’instar de la sphère professionnelle.

[8] Étienne Faugier et Antoine Lévêque, « Les mobilités métropolitaines avant la « Métropole » : socio-histoire des transports périphériques dans l’agglomération lyonnaise », in Aurélie Mercier et Roelof Verhage (dir.), Lyon, métropole en mou