Société

Qui a peur du gouvernement des juges ?

Magistrat

Alors que ressurgit, avec le procès du RN pour détournement de fonds publics, l’accusation d’un gouvernement des juges, un regard juridiquement éclairé permet de mieux comprendre la notion de séparation des pouvoirs et la nécessaire indépendance de la justice pour protéger les élus de détournements de procédure à des fins politiques.

C’est devenu un lieu commun médiatique : à chaque fois (ou presque) qu’une décision de justice vient limiter l’action des gouvernants ou sanctionner l’un d’entre eux, surgit la figure d’un juge dont « on est convaincu à la fois qu’il est tout-puissant et que ses objectifs sont déconnectés de la logique judiciaire ».

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Aujourd’hui, le spectre du gouvernement des juges est partout : immanquablement convoqué à propos de toute décision du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État, de la Cour de cassation ou encore de la Cour européenne des droits de l’homme un tant soit peu médiatisée, il est presque toujours débusqué derrière la mise en cause pénale des responsables politiques. La comparution devant le tribunal correctionnel de cadres du Rassemblement national prévenus de détournement de fonds publics n’aura ainsi pas fait échec à la règle, voyant la dénonciation de l’abus de pouvoir des juges relayée bien au-delà des principaux intéressés.

Pourtant, dès lors que l’on ouvre le dossier de cette lourde accusation, les pièces censées l’étayer se révèlent particulièrement légères. C’est en vain que l’on cherche la démonstration ne serait-ce que d’un cas où une personnalité politique aurait été victime d’une condamnation arbitraire, poursuivie sur la base d’un dossier totalement creux ou monté de toutes pièces, ou même simplement soumise à une répression démesurée. On y trouve en revanche la mise en exergue des intentions prêtées aux juges qui ont l’audace de sanctionner les gouvernants. Soit que l’on exhume telle ou telle prise de position d’un membre du corps judiciaire contre la politique pénale autrefois promue par le politicien condamné. Soit, plus largement, que l’on affirme péremptoirement que « dans toute une partie de la magistrature judiciaire, la volonté de camper un contre-pouvoir purificateur, voire d’exercer un pouvoir au-dessus des autres pouvoirs, se nourrit d’un ressentiment contre le système politique et contre l’appareil d’État »[1].

Que l’on en


[1] Jean-Éric Schoettl, La Démocratie au péril des prétoires. De l’État de droit au gouvernement des juges, Gallimard, 2022, p. 24-25.

[2] Ibid., p. 208.

[3] En ce sens, l’article 12 de la loi des 16 et 24 août 1790 dispose que les juges « ne pourront point faire de règlements, mais ils s’adresseront au corps législatif toutes les fois qu’ils croiront nécessaire, soit d’interpréter une loi, soit d’en faire une nouvelle », et son article 13 que « les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs ».

[4] Ainsi en est-il, en particulier, de l’ensemble des atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique (sanctionnées par les articles 432-1 à 432-17 du Code pénal).

[5] La circonstance que les faits ont été commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission aggrave ainsi la répression de l’ensemble des atteintes à la personne (violences volontaires), sanctionnées par les articles 222-1 à 222-18-3 du Code pénal.

[6] Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

[7] Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, « Rapport sur le projet de code pénal », in Félix Lepeletier de Saint-Fargeau, Œuvres de Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, 1826, p. 97.

[8] Pierre Lascoumes, Pierre Lenoël et Pierrette Poncela, Au nom de l’ordre. Une histoire politique du code pénal, Hachette, 1989, p. 46 et suivantes.

[9] Vincent Sizaire, Être en sûreté. Comprendre ses droits pour être mieux protégé, La Dispute, 2020, p. 41-42.

[10] Jean-Louis Briquet, « “Juges rouges” ou “Mains propres” ? La politisation de la question judiciaire en Italie », Critique internationale, n° 15, 2002, p. 45-53.

[11] Jacques Englebert, « G

Vincent Sizaire

Magistrat, Maître de conférences associé à l'université Paris X Paris-Nanterre

Notes

[1] Jean-Éric Schoettl, La Démocratie au péril des prétoires. De l’État de droit au gouvernement des juges, Gallimard, 2022, p. 24-25.

[2] Ibid., p. 208.

[3] En ce sens, l’article 12 de la loi des 16 et 24 août 1790 dispose que les juges « ne pourront point faire de règlements, mais ils s’adresseront au corps législatif toutes les fois qu’ils croiront nécessaire, soit d’interpréter une loi, soit d’en faire une nouvelle », et son article 13 que « les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs ».

[4] Ainsi en est-il, en particulier, de l’ensemble des atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique (sanctionnées par les articles 432-1 à 432-17 du Code pénal).

[5] La circonstance que les faits ont été commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission aggrave ainsi la répression de l’ensemble des atteintes à la personne (violences volontaires), sanctionnées par les articles 222-1 à 222-18-3 du Code pénal.

[6] Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

[7] Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, « Rapport sur le projet de code pénal », in Félix Lepeletier de Saint-Fargeau, Œuvres de Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, 1826, p. 97.

[8] Pierre Lascoumes, Pierre Lenoël et Pierrette Poncela, Au nom de l’ordre. Une histoire politique du code pénal, Hachette, 1989, p. 46 et suivantes.

[9] Vincent Sizaire, Être en sûreté. Comprendre ses droits pour être mieux protégé, La Dispute, 2020, p. 41-42.

[10] Jean-Louis Briquet, « “Juges rouges” ou “Mains propres” ? La politisation de la question judiciaire en Italie », Critique internationale, n° 15, 2002, p. 45-53.

[11] Jacques Englebert, « G