Penser la sobriété
Depuis la crise énergétique née de la guerre d’Ukraine, la sobriété est dans toutes les bouches. Mais le terme ne dépasse jamais en réalité dans le débat actuel le niveau de la lutte anti-gaspi selon les termes en vigueur dans les années 1970, à l’époque des crises pétrolières.

Jamais l’expression « faire de nécessité vertu » n’est ici aussi justifiée. La notion de sobriété est assurément plus exigeante et globale. Elle ne relève pas seulement des contraintes liées aux impératifs de la survie, mais doit être pensée d’abord comme une intelligence de la vie. La sobriété renvoie à une dimension morale de la vie qui englobe l’ensemble de nos faits et gestes, mais qui semble mal correspondre aux économies contemporaines fondées entièrement sur la dialectique de la production et de la consommation.
La notion de sobriété a besoin d’être justifiée pour ne pas être réduite à un slogan qui flatterait notre bonne conscience tout en favorisant le statu quo. Il faut être en mesure de répondre à la critique marxiste actuelle qui juge la sobriété « comme la maladie infantile de l’écologie » (Paul Guillibert), autrement dit de faire en sorte que la sobriété ne soit pas seulement celle que l’on destine aux autres, la haute bourgeoisie administrative aux classes populaires (hier le mouvement des gilets jaunes, aujourd’hui les soulèvements paysans) ou le Nord post-industriel au Sud en voie d’industrialisation.
Il existe dans l’histoire de la pensée quatre voies pour justifier la sobriété : deux voies morales et deux voies politiques.
La première justification morale nous renvoie à la philosophie antique et à son thème de prédilection : la vertu, aretḗ en grec, virtus en latin. Parmi les quatre vertus cardinales (la prudence, le courage, la justice, la tempérance), il en est une qui joue ici un rôle particulièrement structurant, la tempérance, ou plus exactement – et le terme grec est bien plus riche de signification – la sōphrosúnē – ie le sens de l’ordre, de la mesure et