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« L’anticolonialisme » russe et le dessein d’un ordre international illibéral

Politiste

À l’heure où Donald Trump a choisi l’ancien général à la retraite Keith Kellogg pour devenir émissaire pour l’Ukraine et la Russie, avec un « plan » de fin des combats très compatible avec les souhaits russes, Vladimir Poutine n’est pas prêt à renoncer à son discours sur l’attitude « coloniale » de l’Occident. D’autant que celui-ci permet de gagner les faveurs d’autres démocraties illibérales, en particulier dans le cadre des BRICS.

Si la guerre lancée par la Russie contre l’Ukraine continue de travailler les sociétés belligérantes, ses conséquences accélèrent la recomposition des rapports de force à l’échelle régionale et globale, au point que ce conflit porte en lui le dessein d’un ordre international alternatif à l’ordre libéral occidental.

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En témoignent non seulement le recours des dirigeants russes au discours « anticolonial », qui vise « l’Occident collectif », mais aussi leur tentative de l’imposer comme un cadre privilégié d’interprétation des relations internationales.

Les ressorts de la posture « anticoloniale » de la Russie

Historiquement, ce discours s’inspire de deux sources principales : l’une nationaliste, l’autre soviétique. Le thème de la « colonisation » de la Russie par l’Europe – sur le plan culturel, politique ou économique – n’est pas nouveau. Les slavophiles, ces penseurs nationaux-conservateurs russes du XIXe siècle, puis les théoriciens émigrés de « l’eurasisme », dans les années 1920-1930, y faisaient explicitement référence pour soutenir la singularité de l’identité russe vis-à-vis des peuples européens[1]. Partant des mêmes constats, les dissidents nationalistes russes des années 1960-1980 s’opposaient au régime soviétique « de type colonial » dans la mesure où le marxisme était une théorie occidentale – et une doctrine messianique – implantée sur le sol russe par la force[2].

Les bolcheviks ont, eux, mis à profit le caractère (réellement ou supposément) progressiste de leur doctrine, favorable à la libération des peuples ayant fait l’objet d’une colonisation européenne. Dans l’entre-deux-guerres mais surtout dans l’après-1945, l’Union soviétique a en effet soutenu des mouvements de lutte pour l’indépendance en Asie comme en Afrique. Cela n’a pas empêché les dirigeants soviétiques successifs d’exercer une domination impériale sur l’Europe de l’Est et de rejeter l’optique coloniale pour penser l’expansion de la Moscovie puis de l’Empire tsariste (notamment e


[1] Michel Niqueux, Le Conservatisme russe d’aujourd’hui. Essai de généalogie, Caen, Presses universitaires de Caen, 2022.

[2] Marlène Laruelle, « Russia’s Ideological Construction in the Context of the War in Ukraine », Russie. Eurasie. Reports, n° 46, IFRI, mars 2024 ; idem, Ideology and Meaning-Making under the Putin Regime Politics, Standford, Standford Univeristy Press, à paraître en janvier 2025, chap. 11.

[3] Voir notamment Françoise Blum (dir.), Socialismes en Afrique, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2021.

[4] Roman Krakovsky, « Une représentation de la guerre froide : le camp de la paix et le camp de la guerre en Tchécoslovaquie (1948-1960) », Relations internationales, n° 129, 2007, p. 21-35.

[5] Anna Colin Lebedev, « Ukraine : l’État et la nation à l’épreuve de la guerre », Les Études du CERI, Regards sur l’Eurasie. L’année politique 2022, n° 266-267, 2023, p. 15-16.

[6] Voir Scott Radnitz, « No Collusion ! Or Is There ? Presidents as Puppets in Russia and the United States », dans Harris Mylonas et Scott Radnitz (dir.), Enemies Within : The Global Politics of Fifth Columns, New York, Oxford University Press, 2022, p. 129-151.

[7] Pierre Hassner, La Revanche des passions. Métamorphoses de la violence et crises du politique, Paris, Fayard, 2015, p. 57.

[8] Aglaé Achechova, « Manuels d’histoire 2023 pour les classes terminales : nouveau texte, vieille doctrine ? », La Revue russe, n° 61, 2023, p. 183-198.

[9] Maxime Audinet et Kevin Limonier, « Le dispositif d’influence informationnelle de la Russie en Afrique subsaharienne francophone : un écosystème flexible et composite », Questions de communication, n° 41, 2022, p. 129-148 ; Maxime Audinet, « Les médias dans l’action internationale de la Russie en Afrique : présences, influence, récits », dans Jean-Vincent Holeindre et Julian Fernandez (dir.), Annuaire français de relations internationales, Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2024, p. 799-817.

[10] Dmitri Trenin, « L’Ukraine et le mon

Jules Sergei Fediunin

Politiste, post-doctorant au CESPRA à l'EHESS

Mots-clés

Guerre en Ukraine

Notes

[1] Michel Niqueux, Le Conservatisme russe d’aujourd’hui. Essai de généalogie, Caen, Presses universitaires de Caen, 2022.

[2] Marlène Laruelle, « Russia’s Ideological Construction in the Context of the War in Ukraine », Russie. Eurasie. Reports, n° 46, IFRI, mars 2024 ; idem, Ideology and Meaning-Making under the Putin Regime Politics, Standford, Standford Univeristy Press, à paraître en janvier 2025, chap. 11.

[3] Voir notamment Françoise Blum (dir.), Socialismes en Afrique, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2021.

[4] Roman Krakovsky, « Une représentation de la guerre froide : le camp de la paix et le camp de la guerre en Tchécoslovaquie (1948-1960) », Relations internationales, n° 129, 2007, p. 21-35.

[5] Anna Colin Lebedev, « Ukraine : l’État et la nation à l’épreuve de la guerre », Les Études du CERI, Regards sur l’Eurasie. L’année politique 2022, n° 266-267, 2023, p. 15-16.

[6] Voir Scott Radnitz, « No Collusion ! Or Is There ? Presidents as Puppets in Russia and the United States », dans Harris Mylonas et Scott Radnitz (dir.), Enemies Within : The Global Politics of Fifth Columns, New York, Oxford University Press, 2022, p. 129-151.

[7] Pierre Hassner, La Revanche des passions. Métamorphoses de la violence et crises du politique, Paris, Fayard, 2015, p. 57.

[8] Aglaé Achechova, « Manuels d’histoire 2023 pour les classes terminales : nouveau texte, vieille doctrine ? », La Revue russe, n° 61, 2023, p. 183-198.

[9] Maxime Audinet et Kevin Limonier, « Le dispositif d’influence informationnelle de la Russie en Afrique subsaharienne francophone : un écosystème flexible et composite », Questions de communication, n° 41, 2022, p. 129-148 ; Maxime Audinet, « Les médias dans l’action internationale de la Russie en Afrique : présences, influence, récits », dans Jean-Vincent Holeindre et Julian Fernandez (dir.), Annuaire français de relations internationales, Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2024, p. 799-817.

[10] Dmitri Trenin, « L’Ukraine et le mon