La déchéance déchaînée : record de déchéances de nationalité sous la Ve République
Le 18 décembre 2024, M. Mabrouk, M. Tahir, Mme Boudouani, et M. Chouaïb, devenaient respectivement les 38e, 39e, 40e, et 41e personnes déchues de leur nationalité en 2024, portant à 81 le total des déchéances depuis 2001.

Quelques jours plus tôt, le Journal Officiel du 12 décembre 2024 rapportait une autre proposition de déchéance, celle de M. Yasin Or, né en France. Comment le droit encadre-t-il cet essor de la déchéance de nationalité ? À travers une analyse croisée des décrets de déchéance publiés au Journal Officiel (de 2002 à 2024), des décisions du Conseil d’État et des conclusions de ses rapporteurs publics (de 2002 à 2023), cette étude dresse un constat accablant : celui de l’accommodation, par le droit, d’un virage toujours plus à droite de notre régime de nationalité.
Le tournant 2015
Lorsque j’ai commencé ma thèse en septembre 2015, la déchéance de nationalité était largement disqualifiée, perçue comme une mesure à la fois fascisante et exceptionnelle. Elle évoquait irrémédiablement le régime de Vichy, avec ses 15 000 décisions de déchéances prises à l’encontre des populations juives et récemment naturalisées. Le souvenir de Vichy n’avait certes pas fait barrage à toutes les propositions d’extension de la déchéance de nationalité depuis la Libération : en 1996, par exemple, le terrorisme était introduit à l’article 25 du Code civil comme nouveau motif de déchéance.
Quelques années plus tard, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, les attentats terroristes de Madrid et de Londres conduisaient le gouvernement à étendre les délais de la déchéance de l’article 25-1 du Code civil de 10 à 15 ans pour cas de terrorisme. Toutefois, malgré ces évolutions, la déchéance de nationalité restait une mesure exceptionnelle et encadrée : elle ne pouvait être prononcée qu’à l’encontre des Français binationaux, naturalisés ou nés en France de parents étrangers, à condition qu’ils aient acquis la nationalité française depuis moins de 15 ans et qu’il ne se soit pas éc