Politique culturelle

Le street art, un avant-goût de l’art en régime néolibéral

Sociologue

Alors que le budget de la Culture est drastiquement réduit, le cas du street art, cette pratique marquée par un sous-financement structurel et par un soutien public conditionné aux promesses de développement urbain, offre un avant-goût des effets futurs des politiques d’austérité. Standardisation esthétique et euphémisation critique s’annoncent comme les mots d’ordre d’une création artistique financée par l’État néolibéral.

L’actualité du secteur de la culture a été fortement marquée par les annonces de réduction budgétaire formulées à l’autonome par les différentes administrations centrales et locales. On a, par exemple, largement discuté les coupes drastiques annoncées par la présidence de la Région des Pays de la Loire, témoignant d’une escalade rarement atteinte dans le fanatisme de l’austérité. Les différent·es commentateur·rices ont souligné, à juste titre, les conséquences dramatiques de cette décision sur l’ensemble du secteur culturel dans la région : disparition de structures, perte d’emplois, assèchement drastique de l’offre dans de nombreux espaces, etc.

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Si elles se confirment, ces coupes menacent par ailleurs d’accélérer drastiquement un processus déjà identifié depuis une vingtaine d’années : celui de l’hétéronomisation des conditions de la production artistique. En effet, si la conquête de liberté qui accompagne la construction moderne des professions d’artistes s’est réalisée au XIXe siècle par la mise à distance de l’emprise du pouvoir politique sur la création artistique, la sociologie de la culture a amplement souligné comment l’État s’était imposé, dans la deuxième partie du XXe siècle, comme une institution garantissant, au moins partiellement, l’autonomie de la production culturelle. Ainsi, dans le cinéma, le théâtre, la danse, le spectacle vivant ou l’art contemporain, les institutions publiques ont joué, en France, un rôle protecteur pendant plusieurs décennies, en assurant un financement large, en partie détaché des impératifs de rentabilité, permettant l’expression d’une liberté de fond et de forme pour les créateur·rices.

Or, depuis au moins la fin des années 1990, l’importation de logiques gestionnaires à l’intérieur des institutions publiques, l’instrumentalisation de la culture comme vecteur de croissance ou le recours de plus en plus fréquent à des partenariats public-privé contribuent à menacer ce lien entre financement public et protection de


[1] Et même plus tôt si l’on pense aux travaux de précurseurs comme Ernest Pignon-Ernest ou Jacques Villeglé.

[2] Ce terme, forgé par Stanley Cohen, a été appliqué au traitement du graffiti à New York par le sociologue Ronald Kramer, dans The Rise of Legal Graffiti Writing in New York and Beyond, Singapour : Palgrave Macmillan, 2017.

[3] Reconnaissance qui n’est, bien sûr, pas exempte de paradoxes : on a largement documenté la manière dont la valorisation de cette pratique s’inscrivait dans des politiques d’encadrement et de contrôle des jeunesses populaires et comment son institutionnalisation a conduit à évincer une partie de ses pratiquant·es les moins doté·es socialement.

[4] On pense ici à l’exposition « T.A.G. », réalisée au Grand Palais en 2009, et au Lasco Project, initié au Palais de Tokyo en 2012.

[5] À part au musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), à Marseille, qui réalise, depuis plusieurs années, une large campagne d’achat de street art, mais sous un angle « ethnologique » de documentation de cette pratique plus que de valorisation en tant que telle.

[6] Une Fédération de l’art urbain est ainsi créée en 2019, sous l’égide du ministère de la Culture.

[7] L’un des exemples les plus caractéristiques de cette forme d’engagement dépolitisé est offert par la Marianne de Shepard Fairey, modifiée par l’intervention d’un collectif de graffeur·ses militant·es et effacée par la galerie en charge du projet.

Anton Olive-Alvarez

Sociologue, Agrégé-préparateur au département de Sciences sociales de l’École normale supérieure de Paris

Notes

[1] Et même plus tôt si l’on pense aux travaux de précurseurs comme Ernest Pignon-Ernest ou Jacques Villeglé.

[2] Ce terme, forgé par Stanley Cohen, a été appliqué au traitement du graffiti à New York par le sociologue Ronald Kramer, dans The Rise of Legal Graffiti Writing in New York and Beyond, Singapour : Palgrave Macmillan, 2017.

[3] Reconnaissance qui n’est, bien sûr, pas exempte de paradoxes : on a largement documenté la manière dont la valorisation de cette pratique s’inscrivait dans des politiques d’encadrement et de contrôle des jeunesses populaires et comment son institutionnalisation a conduit à évincer une partie de ses pratiquant·es les moins doté·es socialement.

[4] On pense ici à l’exposition « T.A.G. », réalisée au Grand Palais en 2009, et au Lasco Project, initié au Palais de Tokyo en 2012.

[5] À part au musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), à Marseille, qui réalise, depuis plusieurs années, une large campagne d’achat de street art, mais sous un angle « ethnologique » de documentation de cette pratique plus que de valorisation en tant que telle.

[6] Une Fédération de l’art urbain est ainsi créée en 2019, sous l’égide du ministère de la Culture.

[7] L’un des exemples les plus caractéristiques de cette forme d’engagement dépolitisé est offert par la Marianne de Shepard Fairey, modifiée par l’intervention d’un collectif de graffeur·ses militant·es et effacée par la galerie en charge du projet.