Guerre ou otages ? Otages ou guerre ?
L’année 2025 commençait plutôt bien pour Benjamin Netanyahu et son gouvernement, le plus à droite, le plus religieux et annexionniste de l’histoire du pays. Donald Trump allait enfin revenir s’installer à la Maison Blanche, le 20 janvier. Le Premier ministre, invité à le rencontrer au cours du mois suivant, devrait lui demander un feu vert pour une frappe israélo-américaine sur les sites nucléaires iraniens, la poursuite des accords d’Abraham, en y intégrant l’Arabie Saoudite, étant entendu qu’il ne serait pas question d’envisager la création d’un État palestinien… Et, peut-être même pourrait-il obtenir du président américain l’autorisation de reconstruire des colonies dans le nord de Gaza, dont l’armée avait évacué la quasi-totalité de la population.

L’affaire des otages détenus par le Hamas dans l’enclave est alors au point mort. Depuis le mois de novembre 2023, aucun d’entre eux n’a été libéré en échange de prisonniers palestiniens détenus en Israël. Au sein de la coalition parlementaire, une majorité exige la poursuite de la guerre. Bezalel Smotrich, ministre des Finances et patron du « sionisme religieux », ne veut pas d’un arrêt des combats. Itamar Ben Gvir, le ministre de la Sécurité Nationale, chef du parti kahaniste Puissance juive, se vante même d’avoir réussi à torpiller deux accords de cessez-le-feu. De fait, le général de brigade Oren Setter, membre de l’équipe de négociateurs avec le Hamas, a confirmé qu’en mars et en juillet 2024, des occasions sérieuses de conclure des échanges avec le Hamas ont été ratées. Organisant des manifestations massives, et faisant feu de tout bois, le mouvement des familles d’otages n’est jamais parvenu à amener le gouvernement à changer de politique.
Et, patatras ! Voilà que Steve Witkoff, l’émissaire de Donald Trump au Proche-Orient, arrive le 11 janvier à Jérusalem, le jour du sacro-saint repos du shabbat. Après cinq heures de discussions avec Benjamin Netanyahu, revenu au bureau, on apprend que les négociations avec le Hamas reprennent. Elles progressent rapidement. Et, le 15, l’accord est conclu. Surprise, il est quasi identique à la proposition soumise par Israël en mai 2024, qui avait été abandonnée par la suite, le Premier ministre ayant ajouté des conditions rejetées par le Hamas. Cette fois, les choses vont aller vite.
Benjamin Netanyahu réalise que la libération des otages est devenue la priorité de Donald Trump. D’après ce que l’on sait, il s’agit d’une promesse faite par le président à la principale donatrice de sa campagne électorale, Miriam Adelson. La veuve d’origine israélienne du milliardaire Sheldon Adelson, fidèle soutien de la droite nationaliste israélienne, avait offert cent millions de dollars pour l’élection de Donald Trump. Quoi qu’il en soit, Itamar Ben Gvir ne veut pas en entendre parler. Il claque la porte, quitte le gouvernement et annonce qu’il ne reviendra que si les combats reprennent. Il sait que la deuxième et la troisième phase de l’accord doit conduire à la fin de la guerre et donc à une nouvelle gouvernance arabe de Gaza. Envolés les rêves de recolonisation de l’enclave. Ce n’est pas tout, sous la pression internationale, et notamment du monde arabe, il n’est pas exclu que des négociations permettent la reprise du processus de paix. Et, cela, le gouvernement Netanyahu n’en veut absolument pas.
L’échec de la guerre
Durant la première phase de l’accord, 33 otages israéliens détenus à Gaza ont retrouvé la liberté en échange de plus de mille Palestiniens emprisonnés en Israël. Le premier échange a eu lieu le 19 janvier. Trois femmes israéliennes ont été libérées en échange de 90 prisonniers palestiniens. De samedi en samedi, les islamistes ont ensuite organisé des cérémonies humiliantes de « libération de détenus israéliens », jusqu’au cérémonial macabre de la remise à la Croix-Rouge des cercueils des enfants en bas âge de la famille Bibas et celui d’Oded Lifshitz, 85 ans, militant pacifiste. Sur ces images de propagande, savamment orchestrées, le public israélien a découvert avec stupéfaction que le Hamas contrôlait toujours l’enclave en dépit de quatorze mois de combat, la mort de dizaines de milliers de Gazaouis, la destruction de quartiers entiers.
On constate que le fondamentalisme djihadiste n’a pas baissé le ton. Abou Obeida, dans un discours repris par la chaîne Al Jazeera, a cité d’entrée de jeu la sourate 17 : 4 du Coran, dite « des deux promesses », que les islamistes interprètent ainsi : « Les “enfants d’Israël” ayant commis le mal, par deux fois, la punition promise par la Divinité leur serait infligée, conduisant à la disparition d’Israël. » Puis : « 471 jours ont passé depuis la bataille historique “Le déluge d’Al Aqsa’’, qui a planté le dernier clou dans le cercueil de l’occupation qui est en train de disparaître[1]. L’immense sacrifice et le sang versé par notre peuple ne sera pas en vain. Conclure un accord pour que cesse l’agression sioniste contre notre peuple a été notre but pendant de longs mois, même depuis le tout début de cette agression. »
Aucun des objectifs fixés à Tsahal par Benjamin Netanyahu, dès le lendemain de l’attaque terroriste du 7 octobre 2023, n’a été atteint. La force militaire n’a pas permis la libération des 251 otages capturés par les islamistes dans les localités et les bases militaires situées autour de Gaza. Si les capacités offensives du Hamas ont été affaiblies, elles sont loin d’être détruites. Le gouvernement n’a pas établi de but politique à la guerre, et a refusé d’envisager un accord politique qui permettrait le retour dans Gaza de l’Autorité palestinienne. C’est une hérésie pour la coalition au pouvoir, cela signifierait la relance d’un processus de négociations, et peut être l’arrêt de la colonisation en Cisjordanie.
Cela parce que l’idéologie du Likoud, des sionistes religieux et des kahanistes du parti Puissance juive se fonde sur le rejet de la notion même d’identité nationale palestinienne, telle que le gouvernement Rabin l’avait reconnue en 1993, dans le cadre des accords d’Oslo. En septembre 2017, Premier ministre, Benjamin Netanyahu avait envoyé ses vœux au congrès de l’Union nationale, parti ultranationaliste religieux, présidé à l’époque par Bezalel Smotrich. Député fraîchement élu, il venait d’y faire adopter son plan destiné à assurer « la victoire d’Israël face aux Arabes ». On y trouvait des arguments similaires à ceux développés par Benjamin Netanyahu dans son livre-programme publié en 1993, où il écrivait : « La campagne arabe contre Israël a développé le “principe palestinien”. Pour cela, ils ont inventé une nouvelle identité en Cisjordanie, créant un “peuple cisjordanien”» réclamant les droits d’une nation. Smotrich offre aux Palestiniens le choix de vivre en tant qu’individus dans l’État juif mais seulement s’ils renoncent à toute ambition nationale. Pour sa part, Itamar Ben Gvir est l’héritier idéologique du rabbin Meir Kahana, qui militait pour l’expulsion des Arabes de la Terre d’Israël.
Le plan Trump
Le 4 février 2025, est une date qui marque un tournant dans l’Histoire du Proche-Orient. Recevant Benjamin Netanyahu, le Président américain, a annoncé : « Les États-Unis vont prendre le contrôle de la bande de Gaza et nous allons faire du bon boulot. Nous en serons propriétaires. » Un million huit cent mille habitants de l’enclave devront partir pour permettre la construction d’une riche « Riviera » sur les 40 kilomètres de plage gazaouie. Et Trump a ajouté que ces Gazaouis[2] iront s’installer en Égypte et en Jordanie. Mais, ces pays refusent, d’ores et déjà, l’arrivée sur leurs territoires de centaines de milliers de Palestiniens expulsés – ou transférés volontairement de Gaza – parmi lesquels de nombreux djihadistes qui représenteraient une menace pour ces régimes et déstabiliseraient la région. Pour le mouvement palestinien, c’est une nouvelle « Nakba », la tragédie des réfugiés palestiniens, expulsés par les forces israéliennes ou fuyant les combats en 1948.
Ce nouveau plan Trump a été visiblement concocté par l’ultradroite messianique israélienne avec ses alliés évangélistes. Et l’ensemble du gouvernement Netanyahu l’a accueilli avec enthousiasme. Sans parler du trumpisme pour qui l’idée d’autodétermination des peuples n’a de valeur que financière et économique. Toutes choses qui, en l’occurrence, correspondent à la vision du Likoud, des sionistes religieux et du parti Puissance juive.
Immédiatement, Israël Katz, le très Likoud ministre de la Défense, a ordonné à Tsahal de se préparer à la mise en place du plan Trump. Il a blâmé publiquement le général Shlomo Bender, le chef des Renseignements militaires, pour avoir analysé les risques que comportait pour Israël l’initiative du président américain. Katz a publié un communiqué : « Les officiers de Tsahal ne s’exprimeront en aucun cas contre l’important plan du président américain Trump concernant Gaza, et contre les directives de l’échelon politique. J’ai donné l’ordre à Tsahal de se préparer à faire avancer le plan de départ volontaire des résidents de Gaza qui seraient intéressés à partir vers divers endroits dans le monde. » Bezalel Smotrich, emballé par cette perspective de nettoyage ethnique de la Bande de Gaza, a entamé des discussions avec l’administration Trump, pour préparer « le processus de départ des Gazaouis ».
Les Arabes disent non à Trump
Mais surtout, cette initiative américaine est sans précédent. Pour la première fois depuis plus d’un siècle, une puissance impérialiste occidentale entend s’approprier un territoire arabe après en avoir évacué la population. La carte du Moyen-Orient est remise en question. Elle avait été dessinée durant la première guerre mondiale par la France et la Grande-Bretagne, qui se sont attribué les mandats coloniaux sur le Liban, la Syrie, l’Irak et la Palestine lors de la conférence de San Remo en avril 1920.
Dès le 2 février, réunis au Caire, les ministres des Affaires étrangères, égyptien, jordanien, qatari, émiratie, saoudiens, et de l’Autorité palestinienne, ont publié un communiqué rejetant « toute tentative visant à porter atteinte aux droits inaliénables des Palestiniens. Ils annoncent vouloir œuvrer avec l’administration Trump afin de réaliser une paix globale et juste fondée sur la solution à deux États ».
Trois jours plus tard, l’Arabie Saoudite a démenti les propos de Donald Trump selon lequel le royaume ne réclamait plus la création d’un État palestinien comme condition de sa normalisation avec Israël. « C’est faux » a déclaré un porte-parole officiel à Riyad : « La position du royaume n’est pas négociable, ne peut faire l’objet d’aucun compromis. Une paix juste et durable est impossible si le peuple palestinien n’obtient pas ses droits légitimes en accord avec les résolutions internationales. » Benjamin Netanyahu n’a pas aimé ces mises au point et a suggéré que l’État palestinien soit créé… en Arabie Saoudite. À Riyad, on n’a pas apprécié.
Dans ces conditions, la mission de Steve Witkoff, paraît quasi impossible. Lui-même la compare à la quadrature du cercle. Déjà, le 22 février, Benjamin Netanyahu a suspendu la libération de six cents palestiniens détenus dans les prisons israéliennes. Elle devait avoir lieu après la remise par le Hamas a à la Croix-Rouge internationale des six derniers otages israéliens prévus par la première phase de l’accord du 15 janvier. Selon le Premier ministre : « À la lumière des violations répétées du Hamas – y compris les cérémonies humiliantes qui déshonorent nos otages et l’utilisation cynique des otages à des fins de propagande – il a été décidé de retarder la libération des terroristes prévue pour ce samedi jusqu’à ce que la libération des prochains otages soit garantie, et sans cérémonie humiliante. »
Il a limogé l’équipe des négociations les chefs du Mossad et du Shin Beth, les accusant d’avoir fait trop de concessions au Hamas. Benjamin Netanyahu les a remplacés par Ron Dermer, le ministre des Affaires stratégiques, son principal conseiller depuis les années 90. D’origine américaine, ancien activiste républicain, proche de l’administration Trump, il prône la relance de la guerre. Il sait qu’un cessez-le-feu de trop longue durée pourrait mener à la chute du gouvernement, et donc à des élections anticipées… voire à la mise sur pied d’une commission d’enquête judiciaire. C’est la grande crainte de Netanyahu car elle examinera sa politique qui, depuis 2009, a permis le développement à Gaza des organisations djihadistes meurtrières.
Steve Witkoff n’a pas le choix, il va devoir négocier avec les États de la Ligue arabe qui, seuls, ont la capacité de faire pression sur le Hamas, afin qu’il accepte de prolonger la première phase de l’accord de cessez-le-feu. Or tous ces pays, conduits par Mohamed ben Salman, le prince héritier saoudien, rejettent le plan Trump et toute idée de nettoyage ethnique à Gaza, et réaffirment le droit des Palestiniens à l’autodétermination. Reste que la clé se trouve à Ryad où se déroulent les pourparlers entre les États-Unis et la Russie. Et puis, l’administration Trump compte sur les milliards saoudiens pour investir dans l’économie américaine. En tout cas aux dernières nouvelles, le président américain semble modérer son intention de prendre le contrôle de Gaza, en déclarant que ce n’était qu’une proposition.
Selon tous les sondages, une immense majorité au sein du public israélien exige la poursuite du cessez-le-feu et le retour des 63 otages encore prisonniers des islamistes. 27 seraient encore en vie, la plupart sont des militaires dont la libération n’est même pas prévue dans la seconde phase de l’accord. Leurs familles espèrent que Miriam Adelson interviendra en leur faveur. Prête à toute éventualité, l’armée israélienne a mis en place autour de Gaza un dispositif sans précédent. Les divisions de blindés et d’infanterie pourraient réoccuper l’enclave en quelques heures. Sur la ligne de son père, l’historien Benzion, Benjamin Netanyahu a toujours dit qu’Israël était condamné à vivre sous l’épée.