Conversations sur les romans
« […] quittant à la fois les ténèbres de la métaphysique et les fausses profondeurs de la “vie intérieure”, découvrir l’immense contenu humain des faits les plus humbles de la vie quotidienne »
Henri Lefebvre, Critique de la vie quotidienne[1]
«Alors, qu’est-ce que tu lis ces jours ? » telle est l’amorce de nombreuses conversations sur les romans menées avec Hélène (prénom fictif), dans un village des Alpes suisses. Du printemps 2020 à ce jour, à l’occasion de la pandémie de Covid-19, des rencontres informelles ont eu lieu chez elle, chaque semaine, au moment de lui apporter des courses ou de prendre de ses nouvelles. Ni questionnaire préalable ni protocole d’entretien n’ont structuré ces conversations. L’échange s’engage assez rapidement autour des romans posés sur sa table de cuisine. Sa parole change alors de régime, plus engagée et personnelle que dans les discussions sur la vie domestique. S’ouvre alors un espace de récits. Elle résume le roman, le commente et en tire des réflexions, elle évalue son sujet et son intérêt pour elle.

Un parcours de lectrice
Née en 1932 dans le canton catholique de Fribourg (où elle a vécu de 1932 à 1952), elle l’a quitté pour travailler dès ses dix-sept ans comme employée d’auberge. Elle s’est mariée dans le canton de Vaud selon le rite protestant, a élevé ses enfants et collaboré à l’entreprise de son mari, avant de reprendre un travail salarié au moment de son veuvage (1952-1981). Depuis 1981, elle vit dans la plaine industrielle du Rhône où elle a rejoint son nouveau compagnon, décédé en 2017. Désormais seule, elle s’est mise à « lire beaucoup », dit-elle, pour meubler sa solitude et exercer son esprit. Environ deux romans par semaine. Quatre ou cinq autres attendent sur un meuble.
Cadette d’une fratrie de onze enfants, d’un père gardien de génisses et bûcheron et d’une mère au foyer, elle passe ses premières années dans un alpage de basse montagne à l’écart du village. Après sa scolarité primaire, elle a travaillé d