Société

L’extrême difficulté à dire « islamophobie » : une exception française

Angliciste

En France, on pouvait croire que le mot « islamophobie » n’existait pas, alors même que le phénomène qu’il décrit est l’objet des pires instrumentalisations politiques. La mort d’Aboubakar Cissé a révélé ce simple fait, qui illustre à lui seul le décalage entre l’ampleur d’un islamophobie documentée et la réticence ancienne d’une grande partie de la classe politique à la qualifier et la reconnaître comme telle.

La mosquée de Christchurch (Nouvelle-Zélande) a tragiquement fait le tour du monde. Là-bas, le 15 mars 2019, un attentat islamophobe était perpétré par Brenton Tarrant, jeune homme australien, lui-même « immigré », donc, en Nouvelle-Zélande. Bilan : 51 morts, 49 blessés, dans un pays sans islamophobie enracinée, à la réputation de démocratie libérale multiculturelle. Tarrant, lors de son procès, s’est défini comme un « type blanc normal » (a regular white guy).

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On connaît moins l’attentat de la mosquée de Québec. Le 29 janvier 2017, un certain Alexandre Bissonnette, étudiant en sciences politiques à l’Université de Laval, tire sur des fidèles réunis à la mosquée. Bilan : 6 morts, tous des immigrés issus de l’Afrique francophone. Comme la Nouvelle-Zélande, le Canada fait figure de démocratie multiculturelle apaisée, ainsi que le montre le nombre de Français.es musulman.e.s qui s’y sont installé.e.s. Au Canada, le traumatisme est profond, jusqu’au plus haut sommet de l’État fédéral, alors dirigé par Justin Trudeau.

En France, l’islamophobie est profondément enracinée et prend sa source dans un racisme anti-arabe (post)colonial. Un candidat à la présidentielle dont la raison d’être elle-même est l’islamophobie – Éric Zemmour – a été fréquemment présenté comme un vainqueur potentiel des élections de 2022. Et les médias Bolloré, pour ne citer qu’eux, ont l’islamophobie obsessionnelle. Pourtant, en France, il n’y a pas eu de Brenton Tarrant, d’Alexandre Bissonnette, malgré la litanie d’actes de haine ciblant les mosquées du pays, sur laquelle on reviendra plus loin.

C’est notamment cette absence de Tarrant et Bissonnette qui a permis à des médias, des politiques, des « éditocrates » français.es de nier l’existence de ce racisme spécifique qu’est l’islamophobie. En outre, les attentats terroristes, des années 2015-2016 en particulier, ont confirmé auprès d’un grand nombre de personnes que les musulman.e.s ne sont pas des personnes (françaises pour la plupart) à q


[1] Cité dans « Ennemis mortels », représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale, Paris : La Découverte, 2019, p. 266.

[2] Voir Jean-Jacques Rosat, L’Esprit du totalitarisme : George Orwell et 1984 face au 21ème siècle, Marseille : Hors d’Atteinte, 2025, p. 304-5.

[3] Sur tous ces points, voir Reza Zia-Ebrahimini, Antisémitisme & Islamophobie : une histoire croisée, Paris : Amsterdam, 2021, p. 55-66.

[4] Henri Goldman, Le Rejet français de l’islam : une souffrance républicaine, Paris : Presses Universitaires de France, 2015, p. 170-171.

[5] Olivier Esteves, De l’invisibilité à l’islamophobie : les musulmans britanniques (1945-2010), Paris : Presses de Sciences-Po, 2011, p. 245.

[6] Les deux conseillères en question étaient Charlotte Galland, conseillère solidarités, égalité femmes/hommes, lutte contre les discriminations et Mme Violaine Demaret, conseillère intérieur, sécurité à la Présidence de la République.

[7]  Rappelons que c’est cette déclaration macronienne le 10 juin 2020 qui a laissé le champ libre à Blanquer et Vidal pour s’en prendre à l’islamo-gauchisme à l’université, suite au meurtre de Samuel Paty. Voir Le Monde, « Comment le gouvernement s’est aliéné le monde des sciences sociales », 30 juin 2020.

[8] Entretien (O. E.), 11. 12. 2021.

[9] Cité dans Olivier Esteves, Alice Picard, Julien Talpin, La France…, op.cit., p. 294.

[10] Sophie Bessis, La Civilisation judéo-chrétienne. Anatomie d’une imposture, Paris : Les Liens qui libèrent, 2025.

Olivier Esteves

Angliciste, Professeur des Universités, cultures et sociétés anglophones à l'Université de Lille

Notes

[1] Cité dans « Ennemis mortels », représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale, Paris : La Découverte, 2019, p. 266.

[2] Voir Jean-Jacques Rosat, L’Esprit du totalitarisme : George Orwell et 1984 face au 21ème siècle, Marseille : Hors d’Atteinte, 2025, p. 304-5.

[3] Sur tous ces points, voir Reza Zia-Ebrahimini, Antisémitisme & Islamophobie : une histoire croisée, Paris : Amsterdam, 2021, p. 55-66.

[4] Henri Goldman, Le Rejet français de l’islam : une souffrance républicaine, Paris : Presses Universitaires de France, 2015, p. 170-171.

[5] Olivier Esteves, De l’invisibilité à l’islamophobie : les musulmans britanniques (1945-2010), Paris : Presses de Sciences-Po, 2011, p. 245.

[6] Les deux conseillères en question étaient Charlotte Galland, conseillère solidarités, égalité femmes/hommes, lutte contre les discriminations et Mme Violaine Demaret, conseillère intérieur, sécurité à la Présidence de la République.

[7]  Rappelons que c’est cette déclaration macronienne le 10 juin 2020 qui a laissé le champ libre à Blanquer et Vidal pour s’en prendre à l’islamo-gauchisme à l’université, suite au meurtre de Samuel Paty. Voir Le Monde, « Comment le gouvernement s’est aliéné le monde des sciences sociales », 30 juin 2020.

[8] Entretien (O. E.), 11. 12. 2021.

[9] Cité dans Olivier Esteves, Alice Picard, Julien Talpin, La France…, op.cit., p. 294.

[10] Sophie Bessis, La Civilisation judéo-chrétienne. Anatomie d’une imposture, Paris : Les Liens qui libèrent, 2025.