Société

Le problème islamophobe et la réaffiliation religieuse

Socio-anthropologue

Le meurtre d’Aboubakar Cissé et la séquence médiatico-politique dont il a été l’objet ont révélé la gravité de l’islamophobie en France. Elle apparaît comme le contrecoup d’une « promesse républicaine » s’estimant trahie par la réaffiliation religieuse des communautés musulmanes issues de l’immigration. C’est la communion du néo-républicanisme originellement de gauche et de la xénophobie de droite qui fabrique un « problème musulman », qui est en réalité un « problème islamophobe ».

Il faut incontestablement saluer l’émotion qui a saisi la société française, bien au-delà des musulman·e·s, à l’occasion de l’effroyable assassinat d’Aboubakar Cissé le 25 avril 2025. Cet affect ressenti par la nation entière – à l’exception de ses franges les plus gagnées par la haine – est inédit, malgré la succession des violences racistes et islamophobes qui ont scandé ces dernières années. Fin août 2024, Djamel Bendjaballah a ainsi été écrasé sous les yeux de sa fille par un militant identitaire qui n’avait eu de cesse lors des mois précédents de menacer de s’en prendre à celui qu’il qualifiait de « bougnoule » et de « sarrasin ». Quelques mois plus tôt, un septuagénaire infligeait un coup de cutter au cou d’un jardinier coupable d’avoir mal stationné devant le domicile de sa fille, agression filmée lors de laquelle l’assaillant avait cru bon d’asséner à sa victime – en sus de la tentative d’égorgement – la phrase suivante : « Oh, les gnouls ! C’est chez moi ici, les bourricots. »

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On l’a peut-être également oublié, mais un attentat commis par un militant d’extrême-droite à Paris a coûté la vie à trois militant·e·s kurdes à la fin de l’année 2022. À ce titre, malgré le décret d’exceptionnalité vertueuse que l’on appose parfois aux Kurdes, cette fusillade était triplement islamophobe. L’assaillant, rongé par le souvenir de la défaite française lors de la Guerre d’indépendance algérienne, avait d’abord voulu prendre d’assaut une mosquée de la région parisienne avant d’aboutir tragiquement au centre culturel de la rue du Faubourg Saint-Denis. Par ailleurs, non sans ressemblance avec les attaques commises par Anders Breivik en Norvège, l’assaillant visait à punir ceux qu’il considérait comme insuffisamment décidés dans leur lutte contre l’islamisme conquérant, en l’espèce celui de l’État islamique[1]. Enfin, puisqu’il faut le rappeler, les Kurdes sont aussi musulmans, ce dont ont témoigné les déchirantes scènes de deuil qui ont suivi cette série de meurtre


[1] À l’évidence, je ne prétends pas que la lutte contre un groupe aussi violent et cruel que l’État islamique soit islamophobe. Ce qui est islamophobe est l’érection de cette lutte au statut de conflit eschatologique, au point de s’en prendre à ceux qui – quoique l’ayant combattu – n’auraient pas mis suffisamment d’ardeur à la tâche.

Hamza Esmili

Socio-anthropologue, Chercheur en anthropologie de la religion à l'Université Libre de Bruxelles

Notes

[1] À l’évidence, je ne prétends pas que la lutte contre un groupe aussi violent et cruel que l’État islamique soit islamophobe. Ce qui est islamophobe est l’érection de cette lutte au statut de conflit eschatologique, au point de s’en prendre à ceux qui – quoique l’ayant combattu – n’auraient pas mis suffisamment d’ardeur à la tâche.