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Fascisme : hier, aujourd’hui, demain ?

Historienne

Le mot « fascisme », avant de servir à désigner la montée actuelle des extrêmes droites, décrit un phénomène historique qui ne se prête pas complètement à la comparaison contemporaine. Il y a un trouble dans notre rapport au passé. Et ceux qui agitent le danger fasciste comme outil de mobilisation se trouvent confrontés à l’indifférence ou au conditionnement par la langue de l’extrême droite. Le mot ne rend alors plus compte de phénomènes concrets. Or, il faut savoir comment on en est arrivés là, et déterminer son ennemi.

Le spectre du fascisme semble à nouveau hanter le monde : de l’Amérique latine à l’Inde, des USA à la Russie, en passant par l’Europe. L’influence et l’emprise des partis d’extrême droite ne cessent de croître et l’élection de Donald Trump donne un nouveau souffle à leur grammaire politique, tout en renforçant leur présence là où ils ne sont pas encore aux affaires ; en France, en Allemagne et au Portugal, elles sont aux portes du pouvoir.

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Passée la sidération, il reste l’impératif d’intervenir, d’alerter, de mobiliser les forces sociales nécessaires à contrer leur agenda politique ; mais comment ? Comprendre les raisons de cet apparent « retour du fascisme » ne va en effet pas de soi. D’ailleurs, s’agit-il bien de cela ? L’utilisation du terme « fascisme » pour décrire les phénomènes contemporains fait l’objet de nombreux débats. Pour certains son usage est essentiel parce qu’il offrirait un cadre prédictif ; mais, on le sait, si l’histoire éclaire le présent, elle ne peut en aucun cas prédire l’avenir.

L’inflation actuelle des déclinaisons du mot ne cesse d’interroger. Fascisme (tardif, préventif, de la fin des temps, fossile, trumpiste…) « néo/post/para/semi/micro/techno-fascisme » : les qualificatifs ne manquent pas pour tenter de cerner cet ennemi qui avance imperturbablement[1]. Cette avalanche conceptuelle cache cependant difficilement la désorientation de l’analyste face à une situation qui, si elle rappelle, par bien des aspects, les heures sombres du XXe siècle, n’en reste pas moins radicalement nouvelle. Comme l’écrivait l’historien Eric J. Hobsbawm, « quand les hommes sont face à une chose à laquelle le passé ne les a nullement préparés, ils tâtonnent à la recherche de mots pour nommer l’inconnu, même lorsqu’ils ne peuvent ni le définir ni le comprendre » [2]. L’analogie aurait prétendument l’avantage de permettre d’analyser l’inconnu en partant d’un terrain connu, tout en offrant un cadre à la mobilisation nécessaire des forces de résistance.


 

[1] Voir notamment parmi les articles les plus intéressants parus récemment Naomi Klein, Astra Taylor, « The rise of end times fascism », The Guardian, 13 avril 2025 ; voir aussi Frédéric Lordon, « Fascisme, définition » Le Monde diplomatique, 19 février 2025 ; Timothy Erik Ström, « Capital and Cybernitics », New Left Review, n°135, mai-juin 2022.

[2] Eric J. Hobsbawm, L’Age des extrêmes. Histoire du court vingtième siècle, Paris, Versailles, 1994, p. 380.

[3] Daniel Bessner, « This Is America », Jacobin, 27 mars 2025.

[4] Ibid.

[5] Alberto Toscano, Fascisme tardif. Généalogies des extrêmes droites contemporaines, Paris, Editions La Tempête, 2025.

[6] Parmi les bestseller, Paul Mason, How to stop Fascism : History, Ideology, Resistance, Londres, Allen Lane, 2022 ; Jason Stanley, How Fascism works. The Politics of US and Them, Penguin, Random House, New York, 2018.

[7] Enzo Traverso, « The Spectre of Fascism is haunting Europe as it marks VE Day », Jacobin, 8 mai 2025.

[8] Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ? Histoire et interprétation, Paris Gallimard, 2004, p. 9.

[9] Olivier Mannoni, Coulée brune. Comment le fascisme inonde notre langue, Paris, Heloise Ormesson, 2024.

[10] Alberto Tocano, Fascisme tardif, op. cit.

[11] Bertold Brecht, La résistible ascension d’Arturo Ui,

[12] Umberto Eco, Il fascismo eterno, Milan, La nave di Teseo, 2017, p. 24.

[13] Nadia Urbinati, « La maschera fascista dell’Europa », la Repubblica, 17 octobre 2017.

[14] P. P. Pasolini. Scritti corsari, Milan, Garzanti 1975. (Corriere della Sera, 1er février 1975).

[15] Zygmunt Bauman, Culture in a Liquid Modern World, Polity, Cambridge, 2011, p. 21.

[16] Enzo Traverso, Les nouveaux visages du fascisme, Paris, Textuel, 2017.

[17] Alessio Gagliardi, Matteo Pasetti, « Fascism in the public sphere of post-fascist Italy », Journal of Modern Italian Studies, n°29:3, 2024, p. 247; voir notamment Jason Stanley, How Fascism works, op. cit.

[18] Elisabeth Zerofsky, « Is it Fascism ? A leading hi

Stéfanie Prezioso

Historienne, Professeure à l’Université de Lausanne

Rayonnages

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Notes

 

[1] Voir notamment parmi les articles les plus intéressants parus récemment Naomi Klein, Astra Taylor, « The rise of end times fascism », The Guardian, 13 avril 2025 ; voir aussi Frédéric Lordon, « Fascisme, définition » Le Monde diplomatique, 19 février 2025 ; Timothy Erik Ström, « Capital and Cybernitics », New Left Review, n°135, mai-juin 2022.

[2] Eric J. Hobsbawm, L’Age des extrêmes. Histoire du court vingtième siècle, Paris, Versailles, 1994, p. 380.

[3] Daniel Bessner, « This Is America », Jacobin, 27 mars 2025.

[4] Ibid.

[5] Alberto Toscano, Fascisme tardif. Généalogies des extrêmes droites contemporaines, Paris, Editions La Tempête, 2025.

[6] Parmi les bestseller, Paul Mason, How to stop Fascism : History, Ideology, Resistance, Londres, Allen Lane, 2022 ; Jason Stanley, How Fascism works. The Politics of US and Them, Penguin, Random House, New York, 2018.

[7] Enzo Traverso, « The Spectre of Fascism is haunting Europe as it marks VE Day », Jacobin, 8 mai 2025.

[8] Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ? Histoire et interprétation, Paris Gallimard, 2004, p. 9.

[9] Olivier Mannoni, Coulée brune. Comment le fascisme inonde notre langue, Paris, Heloise Ormesson, 2024.

[10] Alberto Tocano, Fascisme tardif, op. cit.

[11] Bertold Brecht, La résistible ascension d’Arturo Ui,

[12] Umberto Eco, Il fascismo eterno, Milan, La nave di Teseo, 2017, p. 24.

[13] Nadia Urbinati, « La maschera fascista dell’Europa », la Repubblica, 17 octobre 2017.

[14] P. P. Pasolini. Scritti corsari, Milan, Garzanti 1975. (Corriere della Sera, 1er février 1975).

[15] Zygmunt Bauman, Culture in a Liquid Modern World, Polity, Cambridge, 2011, p. 21.

[16] Enzo Traverso, Les nouveaux visages du fascisme, Paris, Textuel, 2017.

[17] Alessio Gagliardi, Matteo Pasetti, « Fascism in the public sphere of post-fascist Italy », Journal of Modern Italian Studies, n°29:3, 2024, p. 247; voir notamment Jason Stanley, How Fascism works, op. cit.

[18] Elisabeth Zerofsky, « Is it Fascism ? A leading hi