International

Le refus de la guerre n’est pas un déni de guerre

Philosophe

Le déni fait partie des logiques guerrières. De nombreux discours affirment pourtant que le déni est aujourd’hui du côté de celles et ceux qui s’opposent aux politiques de réarmement européen : être pacifiste, antimilitariste ou anti-guerre, ce serait nécessairement se rendre coupable d’une passivité complice. Pour être capables de résister aux logiques du déni, c’est au contraire de perspectives anti-guerre conséquentes que nous avons besoin.

« I have seen, almost daily, for months, images of children mutilated, starved to death, executed. Bodies in pieces. Parents burying limbs. In time, there will be nothing particularly controversial about using these words to describe the things they were created to describe. (The very history of the word “genocide,” meant as a mechanic of forewarning rather than some after-the-fact resolution, is littered with instances of the world’s most powerful governments going to whatever lengths they can to avoid its usage, because usage is attached to obligation. It was never intended to be enough to simply call something genocide: one is required to act.) Once far enough removed, everyone will be properly aghast that any of this was allowed to happen. But for now, it’s just so much safer to look away, to keep one’s head down, periodically checking on the balance of polite society to see if it is not too troublesome yet to state what to the conscience was never unclear. »
Omar El Akkad, One Day, Everyone Will Have Always Been Against This[1]

Face à la guerre en Ukraine et aux velléités expansionnistes russes, les voix qui s’opposent au mouvement de réarmement et de mobilisation européenne sont régulièrement accusées de faire preuve de déni[2]. Celles-ci refuseraient de faire face à la situation, faire face exigeant d’envoyer davantage d’armes, de renforcer la défense en Europe, d’être en mesure de déployer des soldats aux frontières pour s’assurer du respect du cessez-le-feu le jour où il sera adopté, peut-être également d’élargir la dissuasion nucléaire française à l’échelle européenne.

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Les pacifistes, en prétendant refuser la guerre, seraient en fait aveugles à celle-ci et à ses logiques. Cette accusation de déni va souvent de pair avec une accusation de passivité complice : les voix antimilitaristes, sous couvert de pacifisme abstrait, consentiraient en fait à la guerre menée par la Russie, refusant leur soutien aux Ukrainiens et ne prenant pas la mesure du risq


[1] Omar El Akkad, One Day, Everyone Will Have Always Been Against This, New York, Alfred A. Knopf, 2025, p. 25.

[2] Je remercie vivement Thomas Berns, Salomé Frémineur, Juliette Lafosse, Paul Lazzarotto, Tyler Reigeluth et Renaud-Selim Sanli pour les précieuses discussions autour de ce texte.

[3] Voir « La dénégation, un classique de la vie de tous les jours, mais aussi de la diplomatie et de la guerre ? », avec Jean-Vincent Holeindre et Pierre-Henri Castel, France Culture – Avec philosophie, le vendredi 23 septembre 2022. Pour un retour historique sur les procédés discursifs du pouvoir russe pour ne pas qualifier ses guerres, et sur les effets produits par ces discours sur l’évolution même de la guerre, voir Aude Merlin et Anne Le Huérou au sujet du conflit tchétchène, « Le conflit tchétchène à l’épreuve de la reconnaissance », Cultures & Conflits, n° 87, 2012, p. 47-68.

[4] Aurélia Kalisky, « Injustice épistémique et régimes du sensible : le paradoxe d’un génocide invisible et assumé », Chaire Marcel Liebman, Bruxelles, le 13/05/2025 (bientôt visionnable en ligne).

[5] Pour ne pas alourdir inutilement le texte, je simplifie ici sans entrer dans les détails de la conceptualisation freudienne, et de la distinction entre Verleugnung et Verneinung.

[6] Voir par exemple Stéphane Audoin-Rouzeau, « Ukraine : avons-nous oublié la guerre ? », France Culture, le 27 février 2025.

[7] Ce point est l’objet du premier chapitre (« La guerre vue du dehors ») de mon livre Les désirs guerriers de la modernité (Seuil, 2025).

[8] Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce (1947), Paris, Plon, 1988, p. 137.

[9] Cité dans « L’Université de Liège signe un partenariat avec Thales pour rendre ses roquettes plus efficaces grâce à l’intelligence artificielle », Sud info – La Meuse, le 7/05/2025.

[10] Christophe Wasinski, « L’ULiège et Thales s’associent pour développer des roquettes : un partenariat qui pose de sérieuses questions », Le Soir, le 23/05/2025.

[11] Judith Butler, « Je veux que les

Déborah Brosteaux

Philosophe, Chercheuse en philosophie, Collaboratrice scientifique au FNRS, membre du Centre de Recherche sur l’Expérience de Guerre (CREG, MSH-ULB) et chercheuse associée au Centre Marc Bloch à Berlin

Notes

[1] Omar El Akkad, One Day, Everyone Will Have Always Been Against This, New York, Alfred A. Knopf, 2025, p. 25.

[2] Je remercie vivement Thomas Berns, Salomé Frémineur, Juliette Lafosse, Paul Lazzarotto, Tyler Reigeluth et Renaud-Selim Sanli pour les précieuses discussions autour de ce texte.

[3] Voir « La dénégation, un classique de la vie de tous les jours, mais aussi de la diplomatie et de la guerre ? », avec Jean-Vincent Holeindre et Pierre-Henri Castel, France Culture – Avec philosophie, le vendredi 23 septembre 2022. Pour un retour historique sur les procédés discursifs du pouvoir russe pour ne pas qualifier ses guerres, et sur les effets produits par ces discours sur l’évolution même de la guerre, voir Aude Merlin et Anne Le Huérou au sujet du conflit tchétchène, « Le conflit tchétchène à l’épreuve de la reconnaissance », Cultures & Conflits, n° 87, 2012, p. 47-68.

[4] Aurélia Kalisky, « Injustice épistémique et régimes du sensible : le paradoxe d’un génocide invisible et assumé », Chaire Marcel Liebman, Bruxelles, le 13/05/2025 (bientôt visionnable en ligne).

[5] Pour ne pas alourdir inutilement le texte, je simplifie ici sans entrer dans les détails de la conceptualisation freudienne, et de la distinction entre Verleugnung et Verneinung.

[6] Voir par exemple Stéphane Audoin-Rouzeau, « Ukraine : avons-nous oublié la guerre ? », France Culture, le 27 février 2025.

[7] Ce point est l’objet du premier chapitre (« La guerre vue du dehors ») de mon livre Les désirs guerriers de la modernité (Seuil, 2025).

[8] Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce (1947), Paris, Plon, 1988, p. 137.

[9] Cité dans « L’Université de Liège signe un partenariat avec Thales pour rendre ses roquettes plus efficaces grâce à l’intelligence artificielle », Sud info – La Meuse, le 7/05/2025.

[10] Christophe Wasinski, « L’ULiège et Thales s’associent pour développer des roquettes : un partenariat qui pose de sérieuses questions », Le Soir, le 23/05/2025.

[11] Judith Butler, « Je veux que les