Santé

Révolution ou normalisation ? Les questions que pose la PrEP à la lutte contre le VIH

Politiste

L’utilisation de la PrEP dans le cadre d’une « prévention combinée » a marqué un tournant dans l’histoire de la lutte contre le VIH/sida. Mais ce mouvement de réforme majeur montre aujourd’hui ses limites : des biais de genres et de fortes inégalités d’accès et d’appropriation sous-tendent la politique de prévention combinée, qui reste peu diffusée dans certains territoires et auprès de certains publics.

Les premières semaines qui ont suivi la réinstallation de Donald Trump à la Maison Blanche ont été marquées par des coupes massives dans l’aide internationale, notamment celle qui concerne le VIH/sida. De nombreuses voix ont alerté sur les conséquences catastrophiques qu’auront ces décisions politiques sur l’accès aux traitements antirétroviraux (trithérapies) pour des millions de personnes, notamment sur le continent africain, risquant de réduire à néant vingt-cinq ans d’efforts et de coopérations en la matière.

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Durant cette période, l’incidence du virus (le nombre de nouveaux cas diagnostiqués chaque année) a diminué grâce à la mobilisation internationale mais aussi en raison du recours accru au dépistage et au (re)déploiement des molécules antirétrovirales dans une perspective préventive comme le traitement post-exposition (TPE), la prise quotidienne des trithérapies (TasP pour Treatment as Prevention, traitement comme prévention) et la prophylaxie pré-exposition (PrEP)[1]. La place grandissante de ces outils biomédicaux a consacré le changement de paradigme qui s’est opéré dans les politiques de prévention contre le VIH/Sida au cours des années 2010, où les savoirs « fondés sur les preuves » (evidence-based) et une nouvelle modélisation de l’épidémie ont participé à la construction d’un nouvel horizon politique qui serait celui de la « fin de l’épidémie ».

Parmi ces outils, la PrEP a été présentée comme un élément de rupture[2]. Autorisé en France depuis 2016, ce traitement préventif qui empêche la transmission du VIH est déployé en priorité auprès des personnes considérées comme les plus à risque et fait l’objet d’une prise en charge complète par la sécurité sociale. Tout en évitant le risque d’infection grâce aux médicaments, cet outil permet également à ses usagers et usagères de bénéficier d’un suivi régulier pour des dépistages et des vaccinations contre les autres infections sexuellement transmissibles (IST). Son efficacité a été démontrée par pl


[1] Il s’agit d’un médicament à base d’antirétroviraux – l’Emtricitabine et le Fumarate de Ténofovir, qui sont des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse, empêchant la réplication virale – qui protège d’une infection par le VIH. Il concerne les personnes séronégatives qui sont exposées au virus. Son mode d’administration peut être une prise quotidienne, dite « en continu » (en cas d’expositions répétées) ou intermittente aussi appelée « à la demande » qui concerne les personnes s’exposant ponctuellement au risque. Le schéma d’administration est également lié au genre : les hommes ont le choix entre les deux types de prises en raison des données d’efficacité disponibles (les essais « à la demande » n’ont concerné que des usagers), tandis que les femmes sont tenues de le prendre en continu, assimilant la PrEP à un véritable traitement chronique. S’agissant d’une spécialité thérapeutique, son utilisation est conditionnée à une prescription médicale trimestrielle et à des dépistages réguliers afin d’éliminer tout risque de séroconversion. Ce dispositif, lourd et régulier, en plus des différences sur le schéma de prise chez les femmes, constitue souvent un frein pour les personnes les plus éloignées de la médecine (hospitalière ou de ville) et sans droits.

[2] AIDES parle dans ses campagnes du comprimé quotidien « qui vous protège du VIH ». On peut également citer la campagne suisse de Dialgai « Êtes-vous PrEP ? ». Ce jeu de mot est aussi mobilisé par la plateforme prévention sida en Belgique au sein d’une campagne diffusée en 2019.

[3] Que sont le préservatif, le TPE, le TasP et le dépistage.

[4] A ce titre on pense au propos de Anita Hardon et Emilia Sanabria qui, dans leur revue de la littérature sur les significations anthropologiques des médicaments affirment que ces derniers « ne sont pas « découverts » mais qu’« ils sont fabriqués et refabriqués en rapport à des contextes mouvants. » in « Fluid Drugs : Revisiting the Anthropology of Pharmaceuticals

Théo Sabadel

Politiste, Post-doctorant à l’École Normale Supérieure de Lyon (ENS, CNRS, Laboratoire Triangle UMR 5206).

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Notes

[1] Il s’agit d’un médicament à base d’antirétroviraux – l’Emtricitabine et le Fumarate de Ténofovir, qui sont des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse, empêchant la réplication virale – qui protège d’une infection par le VIH. Il concerne les personnes séronégatives qui sont exposées au virus. Son mode d’administration peut être une prise quotidienne, dite « en continu » (en cas d’expositions répétées) ou intermittente aussi appelée « à la demande » qui concerne les personnes s’exposant ponctuellement au risque. Le schéma d’administration est également lié au genre : les hommes ont le choix entre les deux types de prises en raison des données d’efficacité disponibles (les essais « à la demande » n’ont concerné que des usagers), tandis que les femmes sont tenues de le prendre en continu, assimilant la PrEP à un véritable traitement chronique. S’agissant d’une spécialité thérapeutique, son utilisation est conditionnée à une prescription médicale trimestrielle et à des dépistages réguliers afin d’éliminer tout risque de séroconversion. Ce dispositif, lourd et régulier, en plus des différences sur le schéma de prise chez les femmes, constitue souvent un frein pour les personnes les plus éloignées de la médecine (hospitalière ou de ville) et sans droits.

[2] AIDES parle dans ses campagnes du comprimé quotidien « qui vous protège du VIH ». On peut également citer la campagne suisse de Dialgai « Êtes-vous PrEP ? ». Ce jeu de mot est aussi mobilisé par la plateforme prévention sida en Belgique au sein d’une campagne diffusée en 2019.

[3] Que sont le préservatif, le TPE, le TasP et le dépistage.

[4] A ce titre on pense au propos de Anita Hardon et Emilia Sanabria qui, dans leur revue de la littérature sur les significations anthropologiques des médicaments affirment que ces derniers « ne sont pas « découverts » mais qu’« ils sont fabriqués et refabriqués en rapport à des contextes mouvants. » in « Fluid Drugs : Revisiting the Anthropology of Pharmaceuticals