Société

La bibelotisation contre l’impératif de sobriété – à propos du succès spectaculaire d’Action

Sociologue

Alors que l’impératif de sobriété s’impose dans le débat public, le succès fulgurant de l’enseigne maxidiscompte Action révèle l’attrait persistant d’un consumérisme accessible et ludique. Portée par une norme décorative aujourd’hui partagée et une quête de conformité sociale, cette consommation interroge les limites des discours écologiques.

Face à la crise climatique, les professionnels du marché rivalisent d’ingéniosité pour élaborer un discours, une offre, des dispositifs socio-techniques prétendument adaptés à l’impératif climatique. Il s’agit toujours de consommer mais de manière « responsable », une rhétorique marchande qui gratifie l’individu d’un nouveau signe d’appartenance de classe.

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Ce discours est soutenu depuis plusieurs décennies par la mise en place ou le retour d’un appareil commercial adapté, composé d’enseignes spécialisées, de marchés paysans, de ventes à la ferme, de casiers fermiers. Il s’accompagne enfin de dispositifs qui, après le chariot et le sac plastique de l’accumulation quasi-illimitée, engendrent le « plein responsable », allant du bocal en verre pour le vrac au tote-bag en coton bio dont chacun d’entre-nous accumule aujourd’hui les exemplaires en songeant à leur hypothétique réemploi.

À contre-courant de cette nouvelle doxa, des enseignes ont depuis une dizaine d’années fait une apparition fracassante dans le paysage commercial en se dédouanant de tout engagement en matière de la transition écologique. Le développement et le succès spectaculaires d’enseignes non-alimentaires maxidiscomptes, en premier lieu desquelles Action, stimulent l’accumulation matérielle et révèlent l’écart entre le préoccupations environnementales et les pratiques effectives. Pour le dire autrement, la sobriété consommatoire, imposée par la crise climatique, n’a pas trouvé de meilleur ennemi que ces néo-bazars.

Quelques chiffres suffisent à illustrer leur conquête du territoire et des clients hexagonaux. Fondée aux Pays-Bas en 1993, Action ouvre une première succursale en France en 2012. Douze ans plus tard, elle y compte 859 points de vente et environ 20 000 salariés. À l’échelle internationale, l’enseigne compte 2918 points de vente dans 12 pays et totalise 80 000 salariés. Dans l’Hexagone, son chiffre d’affaires dépasse les 3 milliards d’euros au début de l’année 2023. La marque devien


[1] Selon l’institut NielsenIQ et son dispositif Homescan fondé sur des consommations effectives, 52 % des foyers modestes et 30 % des cadres supérieurs avaient fréquenté l’enseigne dans les douze derniers mois précédents l’enquête réalisée en 2023 (+ 1 % par rapport à l’année précédente pour la première catégorie, + 2 % pour la seconde). Tous milieux sociaux confondus, 43,5 % des ménages français s’y étaient rendus au moins une fois au cours des douze derniers mois. C’est 5,4 points de plus qu’il y a un an, et 9 points de plus en deux ans. NelsonIQ, « Action : la success story venue du Nord », 31 juillet 2013. L’auteur remercie Emmanuel Fournet de lui avoir communiqué ces chiffres.

[2] Tati est fondé en 1948 et a définitivement fermé ses portes en 2021, la Foir’fouille a ouvert en 1975 (250 points de vente), Gifi en 1981 (530 points de vente).

[3] Rémi Gilbert Saisselin (1990), Le bourgeois et le bibelot, Albin Michel, Paris.

[4] Gilles Lipovetsky, Jean Serroy (2023), Le nouvel âge du kitsch. Essai sur la civilisation du « trop », Gallimard, Paris, p. 36.

[5] Christian Baudelot., Roger Establet (1994), « Hiérarchie des besoins et coefficients budgétaires », Maurice Halbwachs. Consommation et société, PUF, Paris, p. 26.

[6] Thomas Amossé, Marie Cartier (2019), « « Si je travaille, c’est pas pour acheter du premier prix ! ». Modes de consommation des classes populaires depuis leurs ménages stabilisés », Sociétés contemporaines, n°114, p. 103.

[7] Pierre Bourdieu (1979), La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, « Le sens commun », p. 441.

[8] Vincent Chabault (2024), Sociologie du commerce, Malakoff, Armand Colin, 2024, p. 206-209.

[9] Gilles Lipovetsky, Jean Serroy (2023), Le nouvel âge du kitsch, op. cit., p. 41.

[10] Vincent Chabault (2023), « Lecteurs et glaneurs sur le Bon Coin : deux formes de travail amateur dans le commerce du livre d’occasion », Ethnologie française, vol. 53, n°1, pp. 125-134.

Vincent Chabault

Sociologue, Enseignant-chercheur à l’Université de Paris et au Cerlis

Rayonnages

Société Économie

Notes

[1] Selon l’institut NielsenIQ et son dispositif Homescan fondé sur des consommations effectives, 52 % des foyers modestes et 30 % des cadres supérieurs avaient fréquenté l’enseigne dans les douze derniers mois précédents l’enquête réalisée en 2023 (+ 1 % par rapport à l’année précédente pour la première catégorie, + 2 % pour la seconde). Tous milieux sociaux confondus, 43,5 % des ménages français s’y étaient rendus au moins une fois au cours des douze derniers mois. C’est 5,4 points de plus qu’il y a un an, et 9 points de plus en deux ans. NelsonIQ, « Action : la success story venue du Nord », 31 juillet 2013. L’auteur remercie Emmanuel Fournet de lui avoir communiqué ces chiffres.

[2] Tati est fondé en 1948 et a définitivement fermé ses portes en 2021, la Foir’fouille a ouvert en 1975 (250 points de vente), Gifi en 1981 (530 points de vente).

[3] Rémi Gilbert Saisselin (1990), Le bourgeois et le bibelot, Albin Michel, Paris.

[4] Gilles Lipovetsky, Jean Serroy (2023), Le nouvel âge du kitsch. Essai sur la civilisation du « trop », Gallimard, Paris, p. 36.

[5] Christian Baudelot., Roger Establet (1994), « Hiérarchie des besoins et coefficients budgétaires », Maurice Halbwachs. Consommation et société, PUF, Paris, p. 26.

[6] Thomas Amossé, Marie Cartier (2019), « « Si je travaille, c’est pas pour acheter du premier prix ! ». Modes de consommation des classes populaires depuis leurs ménages stabilisés », Sociétés contemporaines, n°114, p. 103.

[7] Pierre Bourdieu (1979), La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, « Le sens commun », p. 441.

[8] Vincent Chabault (2024), Sociologie du commerce, Malakoff, Armand Colin, 2024, p. 206-209.

[9] Gilles Lipovetsky, Jean Serroy (2023), Le nouvel âge du kitsch, op. cit., p. 41.

[10] Vincent Chabault (2023), « Lecteurs et glaneurs sur le Bon Coin : deux formes de travail amateur dans le commerce du livre d’occasion », Ethnologie française, vol. 53, n°1, pp. 125-134.