Le soin du temps
Quand on parle habituellement de développement durable, c’est-à-dire de la transformation du système productif sous la contrainte écologique, on pense à un développement capable de durer, sinon de créer de la durée. Mais, sous cette forme, en faisant de la durée le simple effet du développement, on crée une tautologie : tout développement se développe nécessairement dans la durée, en tant même qu’il se développe.

Quand il cesse de se développer, il ne dure plus. On comprend que cette notion serve surtout au statu quo. Mais en revanche, si on renverse l’ordre de consécution des termes, si l’on fait de la durée le terme fondamental, le principe même du développement « durable », si l’on pense le développement « durable » à partir du sens du temps et de la construction de la durée, et non à partir de la transformation de la matière et de l’évolution socio-économique, alors le développement durable prend une tout autre dimension.
Encore faut-il que nous réformions en profondeur notre rapport au temps, qu’il ne nous apparaisse pas seulement comme un effet de la vie qui s’écoule, mais comme son principe. Tout ce qui rend la vie digne dépend du soin que nous accordons au temps et de la façon de le vivre en le respectant. Le soin que nous accordons au temps fait la valeur du soin que nous accordons aux autres et aux choses aussi bien qu’à soi-même. C’est d’abord de temps et de patience, d’attention de tous les instants, qu’est fait le soin. Si nous ne savons pas habiter le temps, nous ne sommes d’aucun secours pour rien ni personne.
De même, il ne sert à rien de travailler moins ni de bénéficier de temps libre si, là aussi, nous ne transformons pas notre rapport au temps. La liberté du temps n’est pas simplement une affaire comptable d’heures gagnées sur les horaires de travail ; elle se détermine de façon plus qualitative dans le rapport même que nous entretenons avec nos activités. Cicéron rapporte dans son Traité des fonctions (De Officiis) que Scipion l’Africa