La guerre, à nouveau ?
Depuis le 24 février 2022, nous sommes assaillis par la présence d’une catastrophe inattendue : celle du retour de la guerre en Europe. Et, depuis octobre 2023, la violence extrême mise en œuvre à Gaza en réponse au déploiement de cruauté du 7 octobre par le Hamas, est venue aggraver encore notre trouble.

Toutefois, les deux événements, s’ils cumulent d’une certaine manière leurs effets en affectant profondément la confiance que nous persistions à placer dans notre temps, sont d’une nature très différente. La guerre de Gaza a percuté profondément notre champ politique – ne serait-ce qu’en induisant un débat (qui semble en voie d’achèvement) sur la question des mots qu’il convient désormais de poser sur cette violence-là – et, au-delà, en affectant profondément ce que l’on serait tenté d’appeler l’économie morale de la Cité. La guerre d’Ukraine, elle, a placé devant nos yeux une menace directe, prégnante : celle d’une guerre de la Russie contre les « sociétés à haut niveau de pacification » (comme les désignait Norbert Elias) que nous, nations européennes d’Europe occidentale, espérions incarner. Et incarner, en quelque sorte, pour toujours.
La guerre d’Ukraine a ramené en Europe, jour après jour, les réalités de la « vraie guerre », en nous forçant à réévaluer notre propre rapport au fait guerrier : le rapport d’Européens « gâtés à la paix », pour reprendre une formule du grand historien allemand Karl Schlögel[1]. Et même d’Européens gorgés de leur certitude de paix, et d’une paix définitive. Une certitude que n’avait pas réellement ébranlé, entre 1992 et 1995, le tragique avertissement signé par l’éclatement si meurtrier de l’ex-Yougoslavie – un avertissement largement négligé avant d’être oublié : ne pouvait-on se rassurer en estimant qu’au fond, il ne s’agissait que d’un conflit interne à un État en voie d’éclatement, fruit tardif et empoisonné de l’effondrement du communisme en Europe orientale et balkanique ?… Après la fin de la guerre froide, suivie