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La guerre et les armes nucléaires

Politiste

On a espéré que l’effet dissuasif du nucléaire serait une garantie de paix. Les guerres actuelles menées entre pays dotés de l’arme nucléaire, y compris en avril-mai 2025 entre l’Inde et le Pakistan, montrent qu’il n’en est rien. Plus loin : des pays non dotés ont attaqué des pays dotés sans provoquer de représailles nucléaires. Mais comment compter sur des effets systématiques avec une telle promesse de destruction ?

La Russie mène une guerre contre l’Ukraine ; Israël poursuit des opérations militaires dans la bande de Gaza ; l’Inde et le Pakistan se sont affrontés par missiles et drones interposés du 22 avril au 10 mai de l’année en cours. Ces quatre États sont tous détenteurs d’arsenaux nucléaires. Ces réalités contemporaines semblent aller à l’encontre d’une idée fréquemment acceptée selon laquelle les armes nucléaires empêcheraient la guerre.

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On parle même parfois de « paix nucléaire », oubliant que la durée de l’absence de guerre entre grandes puissances depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale n’est pas exceptionnelle, et qu’en 1969 la Chine et l’Union soviétique, toutes deux dotées d’armes nucléaires, se sont affrontées militairement, sans compter les nombreux affrontements indirects entre les États-Unis et l’Union soviétique au cours de la guerre froide[1]. Ce court essai entend examiner les rapports entre les armes nucléaires et la guerre – entendue comme interaction violente entre au moins deux entités – à la lumière des résultats de la recherche indépendante.

Il n’est pas nécessaire de qualifier de « guerre nucléaire limitée » les 543 explosions/« essais » nucléaires atmosphériques conduites par les États dotés entre 1945 et 1980, qui ont contaminé plusieurs millions de personnes ainsi que la biosphère, pour prendre la mesure de l’inexactitude de l’affirmation selon laquelle les armes nucléaires empêchent la guerre[2]. Cet article se limite à trois objections qui composent ses trois sections. Il y aurait beaucoup plus à dire bien évidemment. Il conviendrait en particulier de se pencher sur les cas où les États dotés d’armes nucléaires sont parvenus à dissuader leurs adversaires de les attaquer pour déterminer si les armes nucléaires étaient nécessaires à cet effet ou si une telle attaque aurait eu lieu en leur absence.

À défaut de cette analyse, qui reste à conduire, on attribue sans preuve tout effet de dissuasion de l’agression contre un État doté à ses


[1] Aaron Clauset, « Trends and Fluctuations in the Severity of Interstate Wars », Science Advances, 4(2), 2018 ; Bear F. Braumoeller, Only the Dead: The Persistence of War in the Modern Age, Oxford University Press, 2019, p. 28.

[2] Robert Jacobs, Nuclear Bodies. The Global Hibakusha, Yale University Press, 2022 ; Sébastien Philippe et Tomas Statius, Toxique. Enquête sur les essais nucléaires français en Polynésie, PUF, 2021.

[3] Voir aussi notre Repenser les choix nucléaires, Presses de Sciences Po, 2022, p. 283-291.

[4] Richard Ned Lebow et Janice Stein, We All Lost the Cold War, Princeton University Press, 1994, p. 49 ; et Francis J. Gavin, Nuclear Weapons and American Grand Strategy, Washington, Brookings Institution Press, 2020, p. 300-301.

[5] Martin J. Sherwin, Gambling with Armageddon. Nuclear roulette from Hiroshima to the Cuban Missile Crisis, New York, Knopf, 2020, p. 28.

[6] Serhii Plokhy, Nuclear Folly. A History of the Cuban Missile Crisis, New York, W.W. Norton, 2021, p. 271 ; James G. Blight et Janet M. Lang, Dark beyond Darkness, New York, Rowman & Littlefield, 2017, p. 148.

[7] Mark S. Bell, Nuclear Reactions. How Nuclear-Armed States Behave, Ithaca, Cornell University Press, 2021, p. 16 ; et chapitre 3.

[8] S. Paul Kapur, Dangerous Deterrent: Nuclear Weapons Proliferation and Conflict in South Asia, Stanford University Press, 2009.

[9] Giles David Arceneaux, « Whether to Worry: Nuclear Weapons in the Russia-Ukraine War », Contemporary Security Policy, 44(4), octobre 2023.

[10] Mark S. Bell, “The Russia-Ukraine War and Nuclear Weapons: Evaluating Familiar Insights”, Journal for Peace and Nuclear Disarmament, 7 (2), p. 494-508, p. 501.

[11] Des preuves de la vulnérabilité aux explosions nucléaires délibérées, accidentelles ou non autorisées se lisent dans Repenser les choix nucléaires, chapitre 6.

[12] Sterre van Buuren, Thomas Fraise et Benoît Pelopidas, « Armes nucléaires et environnement », Raison présente, n°230/2, 2024 ; « Existential silos :

Benoît Pelopidas

Politiste, Professeur à Sciences Po (CERI)

Notes

[1] Aaron Clauset, « Trends and Fluctuations in the Severity of Interstate Wars », Science Advances, 4(2), 2018 ; Bear F. Braumoeller, Only the Dead: The Persistence of War in the Modern Age, Oxford University Press, 2019, p. 28.

[2] Robert Jacobs, Nuclear Bodies. The Global Hibakusha, Yale University Press, 2022 ; Sébastien Philippe et Tomas Statius, Toxique. Enquête sur les essais nucléaires français en Polynésie, PUF, 2021.

[3] Voir aussi notre Repenser les choix nucléaires, Presses de Sciences Po, 2022, p. 283-291.

[4] Richard Ned Lebow et Janice Stein, We All Lost the Cold War, Princeton University Press, 1994, p. 49 ; et Francis J. Gavin, Nuclear Weapons and American Grand Strategy, Washington, Brookings Institution Press, 2020, p. 300-301.

[5] Martin J. Sherwin, Gambling with Armageddon. Nuclear roulette from Hiroshima to the Cuban Missile Crisis, New York, Knopf, 2020, p. 28.

[6] Serhii Plokhy, Nuclear Folly. A History of the Cuban Missile Crisis, New York, W.W. Norton, 2021, p. 271 ; James G. Blight et Janet M. Lang, Dark beyond Darkness, New York, Rowman & Littlefield, 2017, p. 148.

[7] Mark S. Bell, Nuclear Reactions. How Nuclear-Armed States Behave, Ithaca, Cornell University Press, 2021, p. 16 ; et chapitre 3.

[8] S. Paul Kapur, Dangerous Deterrent: Nuclear Weapons Proliferation and Conflict in South Asia, Stanford University Press, 2009.

[9] Giles David Arceneaux, « Whether to Worry: Nuclear Weapons in the Russia-Ukraine War », Contemporary Security Policy, 44(4), octobre 2023.

[10] Mark S. Bell, “The Russia-Ukraine War and Nuclear Weapons: Evaluating Familiar Insights”, Journal for Peace and Nuclear Disarmament, 7 (2), p. 494-508, p. 501.

[11] Des preuves de la vulnérabilité aux explosions nucléaires délibérées, accidentelles ou non autorisées se lisent dans Repenser les choix nucléaires, chapitre 6.

[12] Sterre van Buuren, Thomas Fraise et Benoît Pelopidas, « Armes nucléaires et environnement », Raison présente, n°230/2, 2024 ; « Existential silos :