International

Entre possible et réel : les mots de la guerre

Philosophe

La guerre des mots, qui est partie prenante des violences en cours – on le voit avec le mot « génocide » concernant Gaza –, est nourrie par une série de pièges qu’il s’agit d’identifier pour, au minimum, les desserrer. Le mot « piège » lui-même rend compte du sentiment que l’on éprouve : les mots sont tendus comme des pièges.

Plusieurs publications récentes ont mis l’accent sur la guerre des mots qui se livre autour de l’usage de la catégorie de « génocide » pour qualifier les « violences de masse » en cours sur le territoire palestinien. Parmi ces publications, je mentionnerai Omar El Akkad, One Day, Everyone Will Have Always Been Against This (New York, Alfred A. Knopf, 2025), Didier Fassin, Une étrange défaite. Sur le consentement à l’écrasement de Gaza (La Découverte, 2024) ou encore l’article de Jean-François Bayart, « Comment la paix ? » (AOC, 22 juillet 2025).

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Tout en partageant le contenu de ces différentes analyses, mon but n’est pas de cerner à leur suite les causes d’un égarement en cours en vue de rétablir une quelconque vérité derrière les mots de cet égarement, ni de montrer les intentions ou les rapports de force passés ou présents qui se jouent incontestablement derrière eux : mon but se limite à dessiner, au sujet de l’usage des mots dans cette situation de guerre et en partant de l’exemple singulier du mot « génocide », quelques perspectives philosophiques de nature quasi formelle, au sens où elles veilleront à mobiliser le moins possible les réalités, pourtant ô combien urgentes à évaluer, que les mots prétendent décrire, et se concentreront, par une sorte de mouvement de retrait, sur l’idée qu’on se fait des mots et de leurs rapports au réel et aux possibles. Un tel retrait n’est évidemment que partiel dès lors que cette guerre des mots est partie prenante aux violences en cours[1].

Le piège des mots réduits à des citations

Cette guerre des mots est nourrie par une série de pièges qu’il s’agit d’identifier pour au minimum les desserrer. J’emploie à dessein le mot « piège », pour rendre compte du sentiment que, comme beaucoup sans doute, j’ai moi-même éprouvé que les mots que j’ai pu hésiter à utiliser étaient tendus comme des pièges.

C’est ce que je voudrais tenter d’expliquer avec soin en précisant immédiatement d’une part que l’analyse de ce piège, même so


[1] Cet article s’inscrit dans de longues suites de discussions exigeantes et amicales avec Déborah Brosteaux, Salomé Frémineur, Juliette Lafosse, Paul Lazzarotto et Tyler Reigeluth.

[2] Et plus encore de guerre civile ; voir Jérémie Foa, Survivre. Une histoire des guerres de religion, Le Seuil, 2024.

[3] Judith Butler, Excitable Speech. A Politics of the Performative, Routledge, 1997.

[4] Grégoire Ben-Aïssa, Thomas Berns et Tyler Reigeluth, « Le traitement automatisé des injures », Éthique, politique, religions, n° 22, 2023 – 1.

[5] On reconnaîtra derrière ces mises en garde très générales l’influence de la pensée derridienne, telle que je la développe dans « Insult and Post-sovereign Law as Juridicity », Political Theology, 2021.

[6] Sur ceci, je me permets de renvoyer à Thomas Berns, La Guerre des philosophes, PUF, 2019.

[7] Voir sur ceci le commentaire de Jacques Derrida dans Politiques de l’amitié, Galilée, 1994, p. 152-157.

[8] Voir sur ceci mon commentaire dans « La femme de Loth », T. Berns et D. Brosteaux (dir.), Traces de guerre, Les Presses du Réel, 2023, p. 41-61.

Thomas Berns

Philosophe, Professeur de philosophie à l'Université Libre de Bruxelles et Doyen de la Faculté de Philosophie et Sciences sociales

Notes

[1] Cet article s’inscrit dans de longues suites de discussions exigeantes et amicales avec Déborah Brosteaux, Salomé Frémineur, Juliette Lafosse, Paul Lazzarotto et Tyler Reigeluth.

[2] Et plus encore de guerre civile ; voir Jérémie Foa, Survivre. Une histoire des guerres de religion, Le Seuil, 2024.

[3] Judith Butler, Excitable Speech. A Politics of the Performative, Routledge, 1997.

[4] Grégoire Ben-Aïssa, Thomas Berns et Tyler Reigeluth, « Le traitement automatisé des injures », Éthique, politique, religions, n° 22, 2023 – 1.

[5] On reconnaîtra derrière ces mises en garde très générales l’influence de la pensée derridienne, telle que je la développe dans « Insult and Post-sovereign Law as Juridicity », Political Theology, 2021.

[6] Sur ceci, je me permets de renvoyer à Thomas Berns, La Guerre des philosophes, PUF, 2019.

[7] Voir sur ceci le commentaire de Jacques Derrida dans Politiques de l’amitié, Galilée, 1994, p. 152-157.

[8] Voir sur ceci mon commentaire dans « La femme de Loth », T. Berns et D. Brosteaux (dir.), Traces de guerre, Les Presses du Réel, 2023, p. 41-61.