Culture

Rap Contenders : le battle rap à l’ordre du jour (1/2)

Sociologue

Propulsé par l’engouement suscité dès ses premières vidéos, Rap Contenders a accompagné l’essor du battle rap a cappella en France. La diffusion de sa 22e édition, organisée en mai dernier, offre l’occasion de revenir sur la trajectoire de cette ligue et sur l’affirmation de cette discipline comme une scène artistique autonome.

Phénomène sur les plateformes de vidéos et sur les réseaux sociaux au début des années 2010, le Rap Contenders – principale ligue française de battle rap a cappella par laquelle sont passées plusieurs figures du rap francophone actuel comme Nekfeu, Alpha Wann, Jazzy Bazz, Deen Burbigo, Dinos, Bigflo & Oli, Guizmo, Luidji ou encore Laylow – a clôturé sa 22ᵉ édition en mai 2025 au Cabaret Sauvage, une salle parisienne pouvant accueillir plus de 1000 spectateurs.

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Quatre semaines plus tard, le ROAR – ligue concurrente du « RC » – organisait à son tour un évènement dans la capitale, au Nouveau Casino, dont la capacité avoisine les 400 places, illustrant la vitalité de la scène battle rap malgré l’affaiblissement de son engouement médiatique. Alors que les musiques hip-hop connaissent depuis quarante ans un processus de légitimation – encore inachevé[1] –, certaines de ses pratiques artistiques sont encore peu documentées par les sciences humaines et sociales.

Si Cyril Vettorato a appréhendé l’historicité des joutes verbales d’insultes puis réinscrit leurs codes sociaux et stylistiques dans le cadre de performances langagières nommées « clashes »[2], la scène battle rap semble s’être structurée depuis une quinzaine d’années sans pour autant que celle-ci fasse l’objet d’une attention spécifique des hip-hop studies françaises. Popularisé notamment grâce au film 8 Mile (2003), réalisé par Curtis Hanson et porté par Eminem, le battle rap[3] deviendra une discipline pratiquée occasionnellement par de nombreux rappeurs de la scène underground, notamment lors d’événements dédiés tels que ceux organisés au Batofar à Paris[4]. Lors de ces joutes oratoires rappées, les MCs (pour maîtres de cérémonie) s’invectivent en improvisant sur une instrumentale devant un public ; pratique qui a constitué la norme en France jusqu’à l’avènement du Rap Contenders. Ces affrontements opposent les membres d’un groupe de pairs, « au sens où les distinctions sociales préexistantes sont temp


[1] Karim Hammou, Marie Sonnette-Manouguian (dir.), 40 ans de musiques hip-hop en France, Ed. Les Presses de Sciences Po, Paris, 2022

[2] « « Clasher », verbe argotique emprunté à l’anglais, signifie « provoquer », « entraîner quelqu’un dans une altercation ». Dans la culture dite « de rue », ce verbe est employé entre autres pour désigner des formes de joutes verbales d’insultes pratiquées aujourd’hui dans le monde entier, mais qui trouvent leurs origines dans les ghettos américains du vingtième siècle peuplés par la communauté africaine américaine. Les deux formes les plus connues en sont le dirty dozen – souvent abrégé en dozen – qui date du début du vingtième siècle, et la freestyle battle contemporaine, apparentée à la culture hip-hop. Le premier consiste le plus souvent en des litanies d’insultes à la mère sans réel lien entre elles, tandis que la seconde est relativement construite et participe plus largement de l’art de l’improvisation de couplets rap. » In. Cyril Vettorato, Un monde où l’on clashe, Editions des archives contemporaines, 2008, p. 8

[3] Dans cet article, nous utiliserons le masculin pour désigner le battle rap en tant que discipline, ainsi que le battle pour désigner l’affrontement entre MCs. Bien que le terme puisse s’employer au masculin comme au féminin, la majorité des battle MCs privilégie le masculin ; nous adoptons donc ici cet usage.

[4] Aujourd’hui encore, 8 Mile demeure une référence mobilisée dans certaines oppositions (« Mon passage préféré dans 8 Mile, c’est quand Eminem dégueule », Taïpan versus Deen Burbigo en 2011, « J’assume aussi le fait de ne pas être original car je copie la fin d’8 Mile » K5 versus 2Taf en 2016, « Vous croyez que nos vies c’est du cinéma, c’est pas 8 Mile ou Bodied » Wojtek versus Lunik en 2021).

[5] Thierry Wendling, Perspectives comparatives sur les joutes oratoires, ethnographiques.org, Numéro 7 – avril 2005.

[6] Ces récits contrastent avec la description qu’en donne Sébastien Barrio, qui qualifie l’amb

Rémi Boura

Sociologue, Docteur en sociologie à Paris Dauphine (IRISSO)

Notes

[1] Karim Hammou, Marie Sonnette-Manouguian (dir.), 40 ans de musiques hip-hop en France, Ed. Les Presses de Sciences Po, Paris, 2022

[2] « « Clasher », verbe argotique emprunté à l’anglais, signifie « provoquer », « entraîner quelqu’un dans une altercation ». Dans la culture dite « de rue », ce verbe est employé entre autres pour désigner des formes de joutes verbales d’insultes pratiquées aujourd’hui dans le monde entier, mais qui trouvent leurs origines dans les ghettos américains du vingtième siècle peuplés par la communauté africaine américaine. Les deux formes les plus connues en sont le dirty dozen – souvent abrégé en dozen – qui date du début du vingtième siècle, et la freestyle battle contemporaine, apparentée à la culture hip-hop. Le premier consiste le plus souvent en des litanies d’insultes à la mère sans réel lien entre elles, tandis que la seconde est relativement construite et participe plus largement de l’art de l’improvisation de couplets rap. » In. Cyril Vettorato, Un monde où l’on clashe, Editions des archives contemporaines, 2008, p. 8

[3] Dans cet article, nous utiliserons le masculin pour désigner le battle rap en tant que discipline, ainsi que le battle pour désigner l’affrontement entre MCs. Bien que le terme puisse s’employer au masculin comme au féminin, la majorité des battle MCs privilégie le masculin ; nous adoptons donc ici cet usage.

[4] Aujourd’hui encore, 8 Mile demeure une référence mobilisée dans certaines oppositions (« Mon passage préféré dans 8 Mile, c’est quand Eminem dégueule », Taïpan versus Deen Burbigo en 2011, « J’assume aussi le fait de ne pas être original car je copie la fin d’8 Mile » K5 versus 2Taf en 2016, « Vous croyez que nos vies c’est du cinéma, c’est pas 8 Mile ou Bodied » Wojtek versus Lunik en 2021).

[5] Thierry Wendling, Perspectives comparatives sur les joutes oratoires, ethnographiques.org, Numéro 7 – avril 2005.

[6] Ces récits contrastent avec la description qu’en donne Sébastien Barrio, qui qualifie l’amb