Écologie

Réflexions autour des alternatives écolo-libertaires dans les mondes ruraux

Sociologue et politiste

Peut-on se passer de l’État pour changer le monde ? Le développement de plus en plus important de pratiques d’engagements politiques du quotidien, à l’écart des institutions dominantes et des villes, pose la question de leur efficacité politique. L’enjeu serait plutôt de combiner ces politiques préfiguratives à d’autres modes d’action en plaidant pour un utopisme réaliste.

Les événements liés à la pandémie de Covid-19 et sa gestion étatique coercitive ainsi que la visibilisation croissante de la crise écologique ont contribué ces dernières années à la revalorisation des campagnes françaises dans les débats publics. Un peu comme dans les années 1970[1], les mondes ruraux constitueraient désormais des espaces propices à des modes de vies sobres, écologiques, à l’écart des excès du capitalisme et des dérives gouvernementales en tout genre[2], des lieux d’inventivité et d’autonomisation politique.

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Cela s’inscrit d’ailleurs dans un moment historique où la politique institutionnelle semble largement désenchantée : la défiance des populations à l’égard du politique, de ses institutions et de ses élites est à son comble ; l’abstention est croissante (y compris lors des élections de premier ordre et au-delà des seules classes populaires) ; les promoteurs de la démocratie participative n’ont pas tenu leurs promesses ; les organisations politiques comme, dans une moindre mesure, syndicales n’ont pas bonne presse dans nombre de milieux sociaux. Mais ce scepticisme politique ambiant, voire cette résignation, ne signifient pas – il faut le redire – que les citoyennes et les citoyens soient dépolitisé·e·s ou désintéressé·e·s de la chose publique.

C’est dans ce contexte de crise de la représentation politique que se déploient, en France comme dans d’autres démocraties du Nord global, des pratiques politiques dites « préfiguratives »[3], notamment dans les mondes ruraux. Au-delà de leur diversité (expériences communautaires, éco-lieux, coopératives, réseaux d’interconnaissance, etc.), celles-ci consistent à mettre en œuvre diverses formes d’utopies « réelles »[4] ou concrètes, d’expérimentations égalitaires et écolo-libertaires, à travers des modes d’organisation collectifs souvent auto-subsistants et des relations sociales visant à moins d’asymétrie (sociale, de genre, de race, de générations ou autres), à la fois critiques des institutions


[1] Bernard Lacroix, L’utopie communautaire. Histoire sociale d’une révolte, PUF, 1981.

[2] Bertrand Hervieu, Danièle Hervieu-Léger, Le retour à la nature en prévision des temps difficiles. L’utopie néo-rurale en France, Éditions de l’Aube, 2023.

[3] Selon la catégorie de désignation en vigueur dans les travaux anglo-saxons à la suite des écrits de Carl Boggs, « Marxism, Prefigurative Communism, and the Problem of Workers’ Control », Radical America, vol. 11, n° 6, 1977.

[4] Erik Olin Wright, Utopies réelles, La Découverte, 2017.

[5] Marianne Maeckelberg, « The prefigurative turn: The time and place of social movement practice », in Ana C. Dinerstein, Social Sciences for an Other Politics, London, Palgrave, 2016, p. 121-134.

[6] On sait que les mouvements politiques écologistes recrutent principalement parmi les classes moyennes blanches et diplômées, notamment des femmes, et tendent à ignorer l’écologie populaire : Sylvie Ollitrault, Militer pour la planète, Presses universitaires de Rennes, 2008.

[7] Je m’appuie sur un travail de lecture interdisciplinaire et sur une enquête longitudinale autour des (non) usages sociaux des institutions bureaucratiques et politiques dans la France contemporaine : Lorenzo Barrault-Stella, Faire avec l’État. Étatisations, résistances et conformations des gouverné·e·s à l’ordre politique dans les sociétés différenciées, Habilitation à diriger des recherches, Sciences Po, 2023.

[8] Anaïs Collet, Aurélie Delage, Max Rousseau, Mobilités résidentielles post-Covid, rapport pour le PUCA et le Réseau Rural Français, septembre 2022.

[9] Catherine Rouvière, Retourner à la terre. L’utopie néo-rurale en Ardèche depuis les années 1960, Presses universitaires de Rennes, 2015.

[10] Anaïs Collet, « Trois registres de l’écologie cultivée. Quand la bourgeoisie culturelle parisienne part vivre à la campagne », Genèses, n°139, 2025, p. 7-30.

[11] Aurélie Delage, Max Rousseau, « L’« exode urbain », extension du domaine de la rente », Métropolitiques, 20

Lorenzo Barrault-Stella

Sociologue et politiste, chargé de recherche en sciences sociales du politique au CNRS, chercheur au sein du CSU-CRESPPA

Notes

[1] Bernard Lacroix, L’utopie communautaire. Histoire sociale d’une révolte, PUF, 1981.

[2] Bertrand Hervieu, Danièle Hervieu-Léger, Le retour à la nature en prévision des temps difficiles. L’utopie néo-rurale en France, Éditions de l’Aube, 2023.

[3] Selon la catégorie de désignation en vigueur dans les travaux anglo-saxons à la suite des écrits de Carl Boggs, « Marxism, Prefigurative Communism, and the Problem of Workers’ Control », Radical America, vol. 11, n° 6, 1977.

[4] Erik Olin Wright, Utopies réelles, La Découverte, 2017.

[5] Marianne Maeckelberg, « The prefigurative turn: The time and place of social movement practice », in Ana C. Dinerstein, Social Sciences for an Other Politics, London, Palgrave, 2016, p. 121-134.

[6] On sait que les mouvements politiques écologistes recrutent principalement parmi les classes moyennes blanches et diplômées, notamment des femmes, et tendent à ignorer l’écologie populaire : Sylvie Ollitrault, Militer pour la planète, Presses universitaires de Rennes, 2008.

[7] Je m’appuie sur un travail de lecture interdisciplinaire et sur une enquête longitudinale autour des (non) usages sociaux des institutions bureaucratiques et politiques dans la France contemporaine : Lorenzo Barrault-Stella, Faire avec l’État. Étatisations, résistances et conformations des gouverné·e·s à l’ordre politique dans les sociétés différenciées, Habilitation à diriger des recherches, Sciences Po, 2023.

[8] Anaïs Collet, Aurélie Delage, Max Rousseau, Mobilités résidentielles post-Covid, rapport pour le PUCA et le Réseau Rural Français, septembre 2022.

[9] Catherine Rouvière, Retourner à la terre. L’utopie néo-rurale en Ardèche depuis les années 1960, Presses universitaires de Rennes, 2015.

[10] Anaïs Collet, « Trois registres de l’écologie cultivée. Quand la bourgeoisie culturelle parisienne part vivre à la campagne », Genèses, n°139, 2025, p. 7-30.

[11] Aurélie Delage, Max Rousseau, « L’« exode urbain », extension du domaine de la rente », Métropolitiques, 20