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Les anarchistes, penseurs et penseuses de la violence politique

américaniste

La multiplication d’actes violents à l’encontre de figures politiques aux États-Unis défie les interprétations univoques. Il y a un siècle, les anarchistes, dont la doctrine a longtemps été réduite à la promotion de l’action violente, ont développé des réflexions sur la violence politique, sur ce qu’elle rend visible et ce qu’elle masque, qui peuvent encore nourrir les nôtres aujourd’hui. Un article publié en partenariat avec le Congrès de l’Institut des Amériques.

L’assassinat du militant d’extrême droite Charlie Kirk le 10 septembre 2025 est le plus récent exemple de la violence politique qui agite les États-Unis depuis quelques années, et fait craindre, de part et d’autres de l’Atlantique[1], une recrudescence des actes violents et leur plus grande acceptation par une part croissante de la population, encouragée parfois par ses dirigeant·es[2].

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Au cours de la dernière année, ces actes se sont multipliés : Donald Trump a été victime d’une tentative d’assassinat en juillet 2024 en Pennsylvanie, pendant la campagne pour les élections présidentielles. Le 4 décembre de la même année, Brian Robert Thompson, dirigeant de United Healthcare, l’une des principales compagnies d’assurance santé des États-Unis, est abattu à New York[3]. Le 14 juin 2025, la représentante à la Chambre du Minnesota Melissa Hortman et son époux Mark Hortman sont tués, le sénateur du Minnesota John Hoffman et sa femme Yvette Hoffman attaqués, vraisemblablement par le même homme. Enfin, Charlie Kirk est mort d’une balle dans la nuque lors d’un événement auquel il participait à l’Université Utah Valley.

Chacun de ces actes est singulier, le résultat d’une multiplicité de facteurs, et leur intention politique n’est pas toujours avérée ; il est donc périlleux de vouloir leur attribuer une signification univoque. Néanmoins, ils frappent par leur dimension symbolique, leur retentissement médiatique et ce qu’ils révèlent du contexte politique contemporain. Ce type particulier de violence agit comme révélateur d’un climat politique dégradé, où les institutions ne semblent plus pouvoir jouer leur rôle de médiation et de débat ; il contribue aussi, par son retentissement et l’effet de sidération qu’il peut provoquer, à masquer d’autres formes de violence, structurelle, systémique, voire peut autoriser, au nom de la défense de « valeurs démocratiques » parfois trop sommairement définies comme une adhésion aux systèmes politiques existants, une répression de t


[1] Aux États-Unis, les diverses formes de violence à l’égard des élu·es sont cartographiées par le projet « Bridging Divides » de l’Université de Princeton.

[2] Celle-ci a été constatée par plusieurs études : Robert Pape, spécialiste de la violence politique états-unien, mène ainsi des enquêtes régulières au sein du Chicago Project on Security and Threats, dont il rend compte dans un article du New York Times du 16 juin 2025. En France, Luc Rouban a publié les résultats de son enquête sur les violences politiques dans Les Racines Sociales de la violence politique (La Tour d’Aigues : Éditions de l’Aube, 2024).

[3] Pour une discussion approfondie de l’acte de Mangione en écho au mouvement anarchiste par la spécialiste de l’anarchisme Constance Bantman, voir le podcast « Everyday Anarchism : Luigi Mangione and Anarchist Terrorism ».

[4] « « I hate my opponent » ; Trump’s Remarks at Kirk Memorial Distill His Politics », New York Times, 24 septembre 2025 ; « Trump Invokes Kirk’s Killing in Justifying Measures to Silence Opponents », New York Times, 18 septembre 2025.

[5] Les spécialistes de l’anarchisme le déplorent régulièrement, comme le politologue québécois Francis Dupuis-Déri, pour qui l’anarchisme doit « toujours s’expliquer au sujet de quelques bombes à la fin du XIXe siècle », quand le républicanisme et le libéralisme « peuvent évacuer toute responsabilité quant à l’esclavagisme, au colonialisme, au sexisme et au racisme », Thomas Déri et Francis Dupuis-Déri, L’anarchie expliquée à mon père, Montréal, Lux Éditeur, 2018, p. 67.

[6] Comme l’a montré Richard Bach Jensen dans The Battle Against Anarchist Terrorism. An International History, 1878-1934, Cambridge University Press, 2014.

[7] Carlo Cafiero, « L’Action », Le Révolté, 25 décembre 1880.

[8] Errico Malatesta, « Anarchy and Violence », Liberty, 10 octobre 1894.

[9] Élisée Reclus, « L’Anarchie », Les Temps nouveaux, 1896, p. 23.

[10] Emma Goldman, « The Tragedy at Buffalo », Free Society, 1901.

Alice Béja

américaniste, maîtresse de conférence en anglais à Sciences Po Lille, rattachée au laboratoire CERAPS (UMR 8026)

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Notes

[1] Aux États-Unis, les diverses formes de violence à l’égard des élu·es sont cartographiées par le projet « Bridging Divides » de l’Université de Princeton.

[2] Celle-ci a été constatée par plusieurs études : Robert Pape, spécialiste de la violence politique états-unien, mène ainsi des enquêtes régulières au sein du Chicago Project on Security and Threats, dont il rend compte dans un article du New York Times du 16 juin 2025. En France, Luc Rouban a publié les résultats de son enquête sur les violences politiques dans Les Racines Sociales de la violence politique (La Tour d’Aigues : Éditions de l’Aube, 2024).

[3] Pour une discussion approfondie de l’acte de Mangione en écho au mouvement anarchiste par la spécialiste de l’anarchisme Constance Bantman, voir le podcast « Everyday Anarchism : Luigi Mangione and Anarchist Terrorism ».

[4] « « I hate my opponent » ; Trump’s Remarks at Kirk Memorial Distill His Politics », New York Times, 24 septembre 2025 ; « Trump Invokes Kirk’s Killing in Justifying Measures to Silence Opponents », New York Times, 18 septembre 2025.

[5] Les spécialistes de l’anarchisme le déplorent régulièrement, comme le politologue québécois Francis Dupuis-Déri, pour qui l’anarchisme doit « toujours s’expliquer au sujet de quelques bombes à la fin du XIXe siècle », quand le républicanisme et le libéralisme « peuvent évacuer toute responsabilité quant à l’esclavagisme, au colonialisme, au sexisme et au racisme », Thomas Déri et Francis Dupuis-Déri, L’anarchie expliquée à mon père, Montréal, Lux Éditeur, 2018, p. 67.

[6] Comme l’a montré Richard Bach Jensen dans The Battle Against Anarchist Terrorism. An International History, 1878-1934, Cambridge University Press, 2014.

[7] Carlo Cafiero, « L’Action », Le Révolté, 25 décembre 1880.

[8] Errico Malatesta, « Anarchy and Violence », Liberty, 10 octobre 1894.

[9] Élisée Reclus, « L’Anarchie », Les Temps nouveaux, 1896, p. 23.

[10] Emma Goldman, « The Tragedy at Buffalo », Free Society, 1901.