L’utopie d’un monde sans frontières
Si l’on examine la période qui a suivi l’effondrement du bloc communiste au tournant des années 1990, il apparaît clairement que le terme « frontière » est devenu l’un des mots clés des sciences humaines et sociales, et plus largement de la vie sociale.

Peu après la fin des frontières apparemment immuables de la guerre froide et le démantèlement rapide du rideau de fer qui divisait l’Europe entre un Ouest capitaliste et un Est socialiste, un nouvel optimisme a semblé régner quant à un avenir pacifique, en particulier dans une Europe de plus en plus intégrée. Malgré les terribles guerres nationalistes et ethniques qui ont accompagné l’éclatement de la Yougoslavie, dans lesquelles des centaines de milliers de personnes ont trouvé la mort, les perceptions relatives aux frontières ont commencé à changer.
D’innombrables spécialistes en sciences sociales, représentant des disciplines universitaires telles que la géographie, les sciences politiques, les relations internationales, l’anthropologie et l’histoire, sont devenus des « spécialistes des frontières ». Plusieurs instituts de recherche sur les frontières ont été créés en Europe et au-delà. L’ouverture croissante des frontières et l’introduction de l’euro ont facilité les déplacements au sein de l’Union européenne.
Un exemple de ce nouvel « esprit du temps » (Zeitgeist) est la notion de « monde sans frontières », qui est devenue une expression à la mode dans la littérature en sciences sociales dans les années 1990. Elle a été rapidement utilisée dans des discussions allant de la mondialisation à l’immigration, de l’économie à la propagation des maladies infectieuses, ou encore à la gestion d’Internet. Le gourou japonais des affaires Kenichi Ohmae a initialement promu ce slogan en réaction à l’intensification de la mondialisation, au développement rapide des technologies de l’information, de la communication et d’Internet, ainsi qu’à l’effondrement du fossé politique entre Ouest et Est, qui semblait effacer l